Intransigeant, "daté au carbone 14"... Qui est Gérard Collomb, le ministre en première ligne sur le projet de loi antiterroriste ?
Avec son style démodé et ses orientations droitières, le ministre de l'Intérieur détonne. Surtout pour un militant socialiste historique.
Il a passé sa première épreuve du feu sans encombre à l'Assemblée nationale. Sous les coups de boutoir de La France insoumise d'un côté, et de la droite de l'autre, Gérard Collomb a dû retrousser les manches pour défendre son projet de loi sur la lutte contre le terrorisme. A l'issue d'un débat sans réel coup d'éclat, le texte doit être approuvé, mardi 3 octobre, à une large majorité.
C'est en réalité lors de la discussion en commission, quelques jours plus tôt, que le nouveau ministre de l'Intérieur avait déminé les réticences qui avaient pu émerger au sein de la majorité sur ce texte controversé. "Il a été à notre écoute, a approuvé certaines de nos propositions et nous avons pu faire évoluer le texte", se réjouit le rapporteur du projet de loi, Raphaël Gauvin. Le député LREM assure avoir rencontré à cette occasion "un bon ministre, à l'aise avec ses dossiers, qui met toujours en avant l'aspect concret des choses".
Et pourtant, depuis le début du quinquennat, Gérard Collomb n'était pas forcément apparu sous son meilleur jour. Avec ses longues tirades monotones, son phrasé lent, sa voix nasillarde et son accent lyonnais, le numéro deux du gouvernement souffre forcément de la comparaison avec ses prédécesseurs, le dynamisme d'un Manuel Valls ou l'humour pince-sans-rire d'un Bernard Cazeneuve.
"Une culture qui n'est plus tout à fait à la page"
A 70 ans, l'ancien maire de Lyon, farouche opposant à la fin du cumul des mandats, représente difficilement le "nouveau monde" dans lequel le pays est censé avoir basculé depuis l'élection d'Emmanuel Macron. "C'est vrai qu'il incarne une culture qui n'est plus tout à fait à la page", convient un député LREM pour décrire ce fin lettré, professeur agrégé de lettres classiques.
Collomb, c'est le XIXe siècle au gouvernement... Il est daté au carbone 14 !
Un ancien adjoint de Gérard Collomb à Lyonà franceinfo
Mais qu'importe : ses lapsus (en mai, il s'était emmêlé les pinceaux à propos des deux finalistes de la présidentielle, "Emmanuel Le Pen" et "Madame Macron") et ses bourdes (la divulgation d'informations confidentielles après l'attentat de Manchester) n'entament en rien la confiance que le chef de l'Etat place en "Gégé". Son statut de premier grand élu à avoir soutenu Emmanuel Macron dans son pari fou de conquérir l'Elysée lui octroie une liberté de ton dont peu peuvent se targuer. Et il en fait régulièrement usage.
De fait, Gérard Collomb semble peu à son aise avec les débats de société qui divisent l'opinion en ce début de millénaire. Au point parfois de frôler le couac gouvernemental. En juin, alors qu'Emmanuel Macron insiste à Bruxelles sur "le devoir et l'honneur" de la France à accueillir des réfugiés, Gérard Collomb se rend à Calais pour s'opposer à la réouverture d'un centre d'accueil qui conduirait les migrants à "s'enkyster" et invite les associations humanitaires à aller "déployer leur savoir-faire ailleurs".
A la rentrée, c'est une sortie sur la procréation médicalement assistée (PMA) qui fait polémique. Dans les médias, il renvoie dans les cordes la jeune secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, qui avait évoqué la date de 2018 pour l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, notamment aux couples de lesbiennes. Avec ses mots maladroits – "la problématique du mariage pour tous", le risque que "des gens puissent se retrouver cousins sans le savoir" –, il élude la question : "Je proposerai que l'on puisse résoudre le problème du chômage avant de s'attaquer aux problèmes civilisationnels", lâche-t-il sur RTL.
L'économie le passionne, pas les sujets de société
Gérard Collomb est-il un réac qui s'ignore ? "Il est d'un classicisme absolu", juge Olivier Brachet, qui a démissionné en 2015 de son poste de vice-président au Logement à la métropole de Lyon pour divergences de vues. "Le mariage pour tous, la PMA, l'écologie… Il n'est pas fondamentalement contre. C'est juste que ça ne l'intéresse pas", note pour sa part un observateur avisé du milieu politique lyonnais.
Ce qui passionne réellement Gérard Collomb, c'est l'économie. "Son truc à lui, c'est bâtir, c'est construire", observe l'ancien journaliste Régis Guillet, auteur de Gérard Collomb : Le Baron rebelle (Armand Colin, 2013), devenu depuis attaché de presse à la métropole de Lyon. "Il est fasciné par l'économie et l'entreprise", confirme Olivier Brachet. "Son raisonnement tient en une phrase : 'Plus l'économie fonctionne, plus cela va créer de l'argent, plus cela va ruisseler et bénéficier aux classes populaires."
L'an dernier, dans une interview à Libération, Gérard Collomb expliquait préférer parler d'"équité" plutôt que d'"égalité" : "L'égalité de la pénurie ne profite à personne. Il ne s'agit pas seulement de partager un gâteau en parts les plus égales possible, il faut aussi penser à faire grossir le gâteau pour servir des parts plus grosses à chacun." Des propos qui ne choqueraient pas dans la bouche d'un responsable politique de droite.
Intransigeant sur la sécurité
"C'est un homme de gauche, sans aucun doute", objecte l'un de ses anciens collaborateurs, rappelant ses origines modestes (son père était ouvrier, sa mère, femme de ménage), et son engagement constant, depuis mai 68, pour une gauche réformiste, confrontée au réel. Mais Gérard Collomb a toujours occupé une place à part au PS. Plutôt rocardien que mitterrandien, il sera longtemps mis sur la touche par le fondateur du parti d'Epinay. Sa proximité avec Pierre Mauroy lui permettra en 1992 de participer à la création de la Fondation Jean-Jaurès, dont il devient le secrétaire général. Mais, au PS, son positionnement souvent en rupture avec la doxa du parti le cantonne pendant des années à un rôle ultra-minoritaire.
Car, en plus de ne pas partager les thèses économiques de ses camarades, Gérard Collomb se montre intransigeant sur les questions sécuritaires. Maire de Lyon, il a répandu les caméras de vidéosurveillance dans toute la ville et multiplié les arrêtés, ici pour chasser les Roms, là pour bannir la prostitution…
Dans la capitale des Gaules, les options droitières du maire socialiste ne font pas que des heureux au sein de la majorité municipale. Mais Gérard Collomb fait peu de cas des avis divergents. "Avant de se forger un avis, il consulte beaucoup, raconte un ancien membre de son cabinet à la mairie. Mais une fois qu'il a tranché, il avance sans faiblesse." Un euphémisme : à l'hôtel de ville, les coups de colère du maire ont souvent fait trembler les murs. "Lorsque les dossiers qui lui sont présentés ne sont pas conformes à ses attentes, il est capable de surréagir et de traiter ses collaborateurs comme des incapables, raconte Régis Guillet dans son livre. Il peut exploser à tout moment, parfois pour de bonnes raisons, parfois pour des motifs invraisemblables. Tout comme il peut pleurer à chaudes larmes à l’évocation de ses parents, il peut tout aussi bien se mettre hors de lui, taper du poing sur la table, agonir d’injures un adjoint ou un membre du cabinet."
Un redoutable animal politique
Place Beauvau, ses interlocuteurs ont déjà pu toucher du doigt le caractère difficile du nouveau ministre.
C'est quelqu'un de spécial. Pour l'instant, il ne nous donne pas de preuves d'amour. Et son humour particulier n'est pas du genre à détendre l'atmosphère, bien au contraire…
Un syndicaliste policierà franceinfo
"En bon politicien, il a l'art de dire des choses très désagréables avec le sourire et la politesse de circonstance", note le député de La France insoumise Ugo Bernalicis, qui a croisé le fer à l'Assemblée nationale contre le projet de loi sur la lutte contre le terrorisme.
A Lyon, partisans et opposants s'accordent à dire qu'il est un redoutable animal politique. Entré au conseil municipal de Lyon en 1977, Gérard Collomb a dû patienter plus de vingt ans avant de voir son rêve de devenir maire s'accomplir. Malgré un mandat de député glané lors de la vague rose de 1981, la suite ressemble à un long chapelet de désillusions. Législatives, municipales... Les défaites s'enchaînent. Mais pendant ce temps, dans ce 9e arrondissement de Lyon qu'il n'a jamais quitté, Gérard Collomb laboure le terrain. Et, en 1995, une première éclaircie survient : ses listes remportent trois arrondissements sur les neuf que compte la ville, dont le sien.
L'éternel loser de la politique lyonnaise a mis un pied dans la porte et il ne laissera pas sa chance s'échapper six ans plus tard. Aux municipales de 2001, fort d'un bon bilan dans son arrondissement, il tire pleinement profit de la division de la droite, obtient même le soutien tacite du maire sortant Raymond Barre et s'impose sur le fil. La victoire est inattendue. Un mandat plus tard, en 2008, il transforme l'essai avec brio en remportant l'élection dès le premier tour. A la ville, il ratisse large, construit des majorités allant des communistes au centre-droit. Une sorte de macronisme avant l'heure, cuisiné à la sauce locale. A la métropole, il assure son siège de président à coups de subventions pour les petites mairies sans-étiquette de la périphérie.
Un cœur toujours à Lyon
Habile et fin tacticien, Gérard Collomb est devenu au fil des années un patron incontesté. Et ce n'est pas près de changer. Contraint de quitter ses fonctions locales après son arrivée au ministère de l'Intérieur, il surveille encore tout ce qui s'y passe. Début septembre, alors que l'ouragan Irma faisait rage dans les Antilles françaises, il a jugé bon de revenir dans sa ville pour inaugurer un forum des associations et participer à la traditionnelle messe des échevins présidée par le cardinal Barbarin.
Après avoir personnellement choisi les quatre candidats qui porteraient les couleurs de La République en marche aux législatives à Lyon (tous confortablement élus), l'ancien maire est soupçonné par la presse locale de vouloir installer sa jeune épouse, Caroline, au poste de référente du parti macroniste dans le Rhône.
Si longtemps banni du pouvoir national – François Hollande avait osé nommer deux de ses adjoints au gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem et Thierry Braillard, mais pas lui –, Gérard Collomb assure au Monde avoir réfléchi pendant trois jours avant d'accepter le poste, pourtant prestigieux, proposé par Emmanuel Macron. Mais est-il seulement capable d'enfiler le costume à 100% et d'oublier un temps les affaires lyonnaises ? "Il n'a pas abandonné Lyon et il n'abandonnera jamais. Il voudra y revenir pour voir l'aboutissement de ses projets", assure un observateur local qui se livre à un pronostic : "S'il le peut, il replongera aux municipales de 2020."
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