Pragmatique, ambitieux, "vieille France"... Qui est Jean-Michel Blanquer, le ministre qui veut révolutionner le bac ?
Du 8e arrondissement parisien, où il est né, au ministère de l'Education nationale, où il travaille désormais, il n'y a que quelques encablures. Et une carrière de trente ans à l'Education nationale.
Silhouette rigide dans un costume sombre, fines lunettes et porte-documents en cuir marron : le nouveau ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a tout de l'instituteur de la IIIe République. Ce fils d'une professeure d'anglais et d'un avocat parisien, qui dirigeait l'école de management Essec depuis 2013, est au centre des attentions avec la réforme du baccalauréat, qu'il défendra jeudi soir sur le plateau de "L'Emission politique" de France 2.
Enseignant de droit public, recteur puis membre du cabinet de l'ex-ministre de l'Education Gilles de Robien entre 2006 et 2007, il devient trois ans plus tard le bras droit de Luc Chatel comme directeur général de l'enseignement scolaire. S'il a fait son retour rue de Grenelle par la grande porte, Jean-Michel Blanquer reste encore peu connu du grand public. Mais qui se cache derrière ce quinquagénaire réputé pour sa "grande exigence intellectuelle" et son enthousiasme pour l'innovation ?
Un côté "vieille France"
Au ministère, Jean-Michel Blanquer a commencé par un couac. Une interview donnée à l'association SOS Education disparaît mystérieusement deux jours après sa nomination au ministère. Le directeur de l'association, proche de Sens commun selon Les Inrocks, affirme avoir décidé de la retirer de son site internet afin que la réputation de SOS Education ne nuise pas au nouveau ministre. Il faut dire que le choix de ce technocrate de droite pour incarner la "priorité" du quinquennat Macron a fait jaser. Y compris auprès de celle qui l'a précédé, Najat Vallaud-Belkacem. Devant les caméras, l'ex-ministre s'était fendue d'une belle grimace en entendant la nomination de l'ancien directeur de l'Essec.
À ce moment précis, Najat Vallaud-Belkacem apprend le nom de son successeur, Jean-Michel Blanquer. @CamCrosnier #Quotidien pic.twitter.com/nPRaOyM169
— Quotidien (@Qofficiel) 17 mai 2017
"Les 80 000 postes supprimés [durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy], c'était lui. Ce n'est pas rien de le voir arriver à ce poste, s'était justifiée l'ancienne ministre à l'émission "Quotidien". Je lui souhaite de réussir, il faut essayer de faire confiance et vouloir le bien du pays, mais je suis inquiète."
L'image de Jean-Michel Blanquer tranche aussi avec celle de l'ex-benjamine du gouvernement. Avec un petit côté "vieille France", ce père de quatre enfants est situé politiquement comme un "catholique de centre-droit", selon son entourage à franceinfo. Il discourt aussi volontiers sur ses propres souvenirs scolaires et s'est prononcé en faveur de l'apprentissage de La Marseillaise à l'école. Pourtant, selon d'anciens étudiants de l'Essec contactés par franceinfo, "Jean-Michel" n'est pas que ça : "C'est quelqu'un qui a porté des valeurs humaines à l'école", glisse Claire-Sophie Martel, étudiante en dernière année. "Il est aussi très présent sur Twitter. Notre grand jeu, c'était d'essayer de nous faire retweeter par lui", s'amuse Armand Peugeot, également en dernière année.
Pragmatique, féru de neurosciences
Côté méthode aussi, la rupture avec Najat Vallaud-Belkacem est actée. Même si Jean-Michel Blanquer répète à l'envi qu'il ne veut pas d'une loi à son nom, destinée à tout changer ce qui a été fait avant lui. A une grande réforme, cet agrégé de droit préfère le "pragmatisme et l'innovation", résume-t-il dans les colonnes du Figaro, en mai dernier. Le ministre ne cache pas son attrait pour les sciences cognitives, grâce auxquelles il espère "dépasser les querelles dogmatiques", de l'apprentissage de la lecture à l'évaluation des élèves, confie-t-il au Point.
Soutien de l'ex-institutrice Céline Alvarez, auteure d'une expérience inspirée de la méthode Montessori dans une école maternelle de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), il acquiert dans les années 2000 le surnom de "boîte à idées". Alors recteur en Guyane puis à Créteil (Val-de-Marne), Jean-Michel Blanquer lance des expérimentations à tour de bras : internats d’excellence pour élèves méritants issus de milieux défavorisés, "mallette des parents" (PDF), "cartable numérique" pour les collégiens, micro-lycées, "cagnotte" pour récompenser les élèves en décrochage...
C'est un 'monstre froid', au mode de comportement presque scientifique.
un membre de l'entourage de Jean-Michel Blanquerà franceinfo
"Aux antipodes de l'égalitarisme"
En Guyane, Jean-Raymond Horth, enseignant en primaire, se souvient pour franceinfo d'un "recteur assez à l'écoute, qui connaissait le métier et n'hésitait pas à aller rencontrer les professeurs en pirogue". Quitte à chavirer, comme c'est le cas un jour où il se rend dans une école isolée. L'Ecole d'économie de Paris salue, de son côté, la mise en place de la "mallette des parents" à Créteil en 2008-2009, qui a permis une amélioration du comportement des élèves. "C'est le nouveau Richard Descoings !", confie alors au Monde son ami François Baroin, en référence à l'ex-directeur de Sciences-Po. Ses anciens étudiants à l'Essec abondent : "Il a beaucoup poussé au développement de notre programme d'égalité des chances", un système de tutorat pour encourager les élèves de Cergy (Val-d'Oise) à poursuivre des études supérieures.
Pourtant, la comparaison avec le défunt directeur de l'institution parisienne, auquel Jean-Michel Blanquer a tenté de succéder en 2013, fait aussi grincer des dents. Jean-François Teissier, ancien dirigeant du SE-Unsa Créteil, n'oublie pas que les internats d'excellence, autre expérimentation de l'ancien recteur, ont "mangé beaucoup de moyens financiers".
"Au lieu de prendre une poignée de gamins pour les sortir de leurs quartiers défavorisés, il vaut mieux essayer d'aider les établissements pour faire grandir tous les élèves", estime auprès de franceinfo l'un des anciens collègues du ministre. Mais Jean-Michel Blanquer, promoteur de l'excellence scolaire, tient en horreur "l'égalitarisme", comme il le confiait au Figaro, le 26 mai. Rien d'étonnant pour ce libéral, proche de l'institut Montaigne, think tank situé à droite, dont le rôle dans la victoire d'Emmanuel Macron a souvent été évoqué.
Ma vision est aux antipodes de l'égalitarisme, mais résolument attentive aux plus fragiles et donc à la véritable égalité.
Jean-Michel Blanquerau Figaro
"Il se voit rester ministre pendant cinq ans"
Arrivé rue de Grenelle à la fin de l'année scolaire 2017, Jean-Michel Blanquer "aurait pu se contenter de préparer la rentrée 2018. Mais non, il s'y est mis tout de suite et a imposé des changements" dès la rentrée, constate encore un ancien collègue du ministre contacté par franceinfo, qui souligne sa volonté de "vouloir faire évoluer le système". Classes de CP de 12 élèves en zone prioritaire, réforme du bac, évaluations à l'entrée au primaire et au collège... Jean-Michel Blanquer ne dément pas sa réputation de réformateur. Quitte à froisser les syndicats. "Il est très à l'écoute dans les rencontres, mais prend des positions beaucoup plus tranchées et polémiques devant les médias", regrette Stéphane Crochet, secrétaire national du SE-Unsa. "Sur la méthode de lecture, sur le redoublement, il enfonce des portes ouvertes et parle de faux problèmes parce que c'est médiatique", assure aussi Jean-François Teissier.
Car Jean-Michel Blanquer ne veut plus rester dans l'ombre. A l'heure où les ministres trentenaires se comptent presque par poignées, cet intellectuel féru d'Amérique latine, qui a fréquenté les meilleurs établissements, a attendu son 52e anniversaire pour décrocher le sésame d'une institution qu'il connaît si bien. "Il se voit rester ministre pendant cinq ans", confie un membre de son entourage à franceinfo. "Alain Juppé, Nicolas Sarkozy, François Fillon, Emmanuel Macron et même Bruno Le Maire... Il les a tous rencontrés" durant la campagne, croit aussi savoir Le Parisien, qui affirme que le directeur de l'Essec leur avait proposé "ses services".
Pressenti pour devenir le ministre de l'Education du candidat de la droite, c'est finalement Emmanuel Macron qui lui a offert le poste. Jean-Michel Blanquer lui avait fait parvenir son dernier livre, L'Ecole de demain, véritable programme ministériel, puis avait rencontré le candidat fin 2016, raconte Le Parisien. Dans le programme du candidat d'En marche ! figuraient d'ailleurs de nombreuses mesures évoquées dans L'Ecole de demain : la priorité donnée au primaire et à l'autonomie des établissements, la diminution des effectifs des classes de zones prioritaires, les stages de remise à niveau pour les élèves en difficulté, le principe du dispositif "devoirs faits", la réforme du baccalauréat... Jean-Michel Blanquer, inspirateur du programme ? Pas de doute, à en croire plusieurs interlocuteurs contactés par franceinfo. Reste à savoir si son sort sera lié à celui du président qui, depuis le début d'année, dégringole encore dans les sondages.
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