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Quatre questions sur le vol Tokyo-Paris à 350 000 euros affrété pour Edouard Philippe

Le Premier ministre a dû justifier, mercredi, l'utilisation d'un avion A340 pour un retour de déplacement de Nouvelle-Calédonie. Voici ce que l'on sait de ce déplacement et de sa facture très critiquée.

Article rédigé par franceinfo - Hugo Cailloux
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le Premier ministre, Edouard Philippe, lors de la séance des questions au gouvernement, le 19 décembre 2017, à l'Assemblée nationale, à Paris. (PATRICK KOVARIK / AFP)

Il assume. Le Premier ministre, Edouard Philippe, s'est justifié, mercredi 20 décembre, sur son choix de louer un avion de luxe pour revenir d'une visite officielle en Nouvelle-Calédonie. "C'est compliqué de déplacer le Premier ministre, et c'est cher, a-t-il concédé sur RTL, mercredi, avant d'ajouter qu'il comprenait "parfaitement à la fois la surprise et les interrogations des Français".

Dans la nuit du 5 au 6 décembre, la délégation du Premier ministre, qui fait route vers Paris, fait une escale technique à Tokyo (Japon). Les ministres et la soixantaine de personnes qui l'accompagnent descendent de l'A340 de l'armée de l'air, utilisé pour faire le trajet Nouméa-Tokyo, et changent d'appareil. Ils embarquent dans un autre A340, cette fois-ci de luxe, pour finir le trajet vers Paris. C'est l'utilisation et la facture de cet avion, loué à une entreprise privée pour 350 000 euros, qui font polémique aujourd'hui. Franceinfo répond à quatre interrogations sur ce voyage du Premier ministre.

Pourquoi ce déplacement a-t-il coûté 350 000 euros ?

"Ça coûte redoutablement cher et j'en suis parfaitement conscient", a concédé Edouard Philippe en personne, mercredi sur RTL. Mardi, le cabinet du Premier ministre a confirmé que la délégation, "composée de 60 personnes", avait bien "fait le vol Tokyo-Paris sur un vol loué pour la somme de 350 000 euros, soit 6 000 euros par personne".

Un prix excessif ? En comparaison, franceinfo a pu constater qu'un vol Tokyo-Paris, pris pour la même date l'année prochaine en classe "Business" sur la compagnie Air France, coûte 3 334 euros pour un seul adulte. Mais la délégation qui accompagnait Edouard Philippe était composée de soixante personnes : impossible d'accueillir tout le monde à la dernière minute sur un vol commercial.

"On savait qu'il n'y avait pas de vol commercial à l'heure où on allait rentrer, a par ailleurs affirmé Edouard Philippe. Selon Matignon, l'A340 de l'armée de l'air, utilisé pour relier Nouméa à Tokyo, assez ancien et sans sièges business, a servi "justement pour faire des économies". "Au total, le coût des vols pour ce déplacement ministériel a coûté 30% moins cher pour l'Etat que le dernier voyage similaire en Nouvelle-Calédonie", celui de Manuel Valls en 2016, précise encore le cabinet du Premier ministre. 

Qui participait au voyage ?

"On était un peu plus de 50 dans la délégation, il y avait des ministres, des conseillers, un certain nombre d'officiers de sécurité qui assurent la protection du Premier ministre et des ministres qui étaient présents", a affirmé Edouard Philippe sur RTL. Lors des déplacements du Premier ministre, comme ceux du président, en régions ou à l'étranger, une délégation plus ou moins imposante est susceptible de faire le voyage.

Si l'équipe du Premier ministre le suit, il est également souvent accompagné de ministres mais aussi de chefs d'entreprise, ou d'invités de la société civile. Les journalistes peuvent parfois monter à bord de l'avion, mais doivent ensuite envoyer la facture à leur rédaction, comme l'expliquait Libération en 2016. De son côté, le cabinet d'Edouard Philippe a évoqué, mardi, le chiffre de 60 personnes dans la délégation, sans donner plus de détails sur la composition du groupe.

Pourquoi ce déplacement fait polémique ?

Emmanuel Macron avait fait de la moralisation de la vie politique un thème majeur de sa campagne pour l'élection présidentielle. Après la révélation dans la presse du prix de la location de l'avion de la délégation du Premier ministre, l'opposition n'a pas tardé à le rappeler. "C'est un peu l'arroseur arrosé, a réagi le député Les Républicains Damien Abad, mardi sur franceinfo. Et que ceux qui nous donnent des leçons tous les jours sont un peu finalement des victimes collatérales." "L'Etat doit être exemplaire", a renchéri Ludovic Pajot, député Front national du Pas-de-Calais, qui souhaite débattre du "train de vie des ministres et du Premier ministre".

Le président de l'association anticorruption Anticor Jean-Christophe Picard déplore à franceinfo un "dérapage", et une "mauvaise utilisation de l'argent public". Il rappelle que c'est Edouard Philippe lui-même qui avait signé une circulaire sur le sujet, en mai. Il demandait à ses ministres de respecter trois principes : "exemplarité", "collégialité" et "efficacité". "Il y avait de bons principes posés, mais on voit bien qu'on ne les respecte pas", déplore Jean-Christophe Picard.

Les justifications apportées par l'équipe du Premier ministre sont également jugées "fumeuses" par Jean-Christophe Picard. Matignon avait alors mis en avant des considérations de calendrier et de confort. "Il n'y avait pas péril en la demeure. On pouvait mieux s'organiser, on ne peut pas louer un avion de luxe pour des questions d'emploi du temps !, lance le président de l'association anticorruption. Comment on peut déplorer, comme le Premier ministre, qu'il manque 8 milliards à l'entrée de ses fonctions et gaspiller comme ça des centaines de milliers d'euros. C'est inacceptable !"

Comment le ministre se défend-il ?

Interrogé sur le déplacement, le Premier ministre s'est employé à déminer une éventuelle polémique, assurant avoir voulu "limiter au maximum les frais""Je l'assume complètement, cette décision", a appuyé Edouard Philippe.

Depuis mardi, le Premier ministre et son cabinet utilisent deux arguments pour justifier l'utilisation de cet avion privé : le confort et le calendrier. Le voyage entre Paris et Nouméa est long, et l'avion militaire n'aurait pas le confort nécessaire pour accueillir la délégation. "24 heures d'avion aller, 24 heures d'avion retour, 11 heures de décalage sur place, non pas du tout pour un voyage d'agrément, mais pour un déplacement que l'ensemble des observateurs et des gens qui connaissent la Nouvelle-Calédonie savaient un déplacement compliqué", a plaidé le chef du gouvernement.

Un argument que récusent plusieurs personnalités, à l'instar de l'ancien ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll. "L'avion de la République, y a de quoi se reposer dedans", a lancé l'ancien ministre sur France Inter. Pourtant, dès mardi, les services de Matignon avaient affirmé que l'A340 de l'armée "ne sert pas en temps normal à transporter ni des autorités militaires, ni des membres du gouvernement en long-courrier et de nuit".

Autre argument utilisé : le calendrier. "On savait qu'il fallait rentrer pour un élément impératif qui est que le président de la République, lui, partait le mercredi matin en Algérie", s'est justifié Edouard Philippe sur RTL. Au final, l'avion de luxe s'est posé le 6 décembre à 7h30 à Orly et a permis au Premier ministre de gagner... deux heures. Celui de l'armée s'est posé à 9h30 à Roissy, presque vide. 

Sollicité par l'AFP mardi, Matignon avait évoqué le besoin de rentrer plus tôt pour assister à un conseil de défense, prévu à 8 heures à l'Elysée. Un argument faux, puisque le conseil de défense avait été, comme le Conseil des ministres, reporté au vendredi suivant, comme le précise Le Lab. Mais l'argument a tout de même été repris, à tort, par Richard Ferrand, président du groupe LREM à l'Assemblée, ce matin sur France 2. "Il devait rentrer plus vite pour un conseil de défense, a-t-il affirmé. Il a fait en sorte d'arriver à l'heure pour travailler, pas pour se promener."

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