"On ne va pas laisser la France sans budget" : comment le projet de loi de finances se construit avec un gouvernement démissionnaire

L'été est traditionnellement dévolu à la rédaction du projet de loi de finances, avant sa présentation début octobre au Parlement. Mais la dissolution de l'Assemblée et l'absence de nouveau gouvernement ont gelé les arbitrages politiques, laissant planer un certain flou sur ce dossier crucial.
Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
L'Assemblée nationale, le 21 juillet 2024. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

Il avait eu le temps de recevoir Amélie Oudéa-Castéra, la ministre des Sports, et Stanislas Guerini, en celui de la Fonction publique. Et puis, tout s'est enrayé le 9 juin. La dissolution de l'Assemblée nationale a stoppé net les "conférences budgétaires" menées par Thomas Cazenave, le ministre chargé des Comptes publics. Comme le rappelle le site du ministère, cette première étape de la négociation du budget permet "d'identifier les points d'accord et de désaccord sur les crédits et les dépenses". Avec la dissolution, ce sont "les discussions politiques, à la fois entre ministres et avec les parlementaires" qui ont été gelées, précise à franceinfo Thomas Cazenave. Mais, assure-t-il, "les échanges se sont poursuivis" depuis, "au niveau des conseillers, avec les autres ministères". 

Le projet de loi de finances (PLF) 2025 se construit dans un contexte politique inédit. Les élections législatives anticipées n'ont pas permis de dégager une majorité absolue au Palais-Bourbon et donc la constitution rapide d'un nouveau gouvernement. Le 16 juillet, le Premier ministre, Gabriel Attal, a remis sa démission à Emmanuel Macron qui l'a chargé "des affaires courantes", en attendant la mise en place d'une nouvelle équipe. Une période qui devrait durer au moins quelques semaines, Emmanuel Macron n'ayant pas prévu de nommer un nouveau Premier ministre avant "la mi-août".

Le RN conteste un PLF porté par un gouvernement démissionnaire

Or, le calendrier pour voter le budget est contraint et encadré par la Constitution. En septembre, le projet de loi de finances est transmis au Haut Conseil des finances publiques, puis au Conseil d'Etat, pour qu'ils émettent des avis. Ensuite, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) précise que "le projet de loi de finances de l'année (...) est déposé au plus tard le premier mardi d'octobre de l'année qui précède celle de l'exécution du budget." En clair, le PLF doit arriver cette année à l'Assemblée nationale au plus tard le mardi 1er octobre.

Que se passera-t-il alors si le gouvernement démissionnaire actuel est toujours en poste ? Peut-il présenter un budget ? "Le régime d'expédition des affaires courantes doit permettre d'assurer la continuité de l'Etat. Pour assurer la continuité de l'Etat, il est nécessaire d'avoir un budget", assure l'entourage du Premier ministre. 

"La doctrine considère qu'un gouvernement qui expédie les affaires courantes peut présenter un budget."

L'entourage de Gabriel Attal

à franceinfo

"Comme tous les ans, les administrations travaillent à des propositions afin d’élaborer un budget. Elles seront soumises aux cabinets ministériels en temps et en heure", assure-t-on du côté de Matignon. "La direction du budget travaille, on ne va pas laisser la France sans budget", avance également l'entourage de Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie et des Finances.

Du côté des autres partis, Les Républicains partagent cette vision. "La France ne peut pas s'arrêter de fonctionner. Il me paraît essentiel et indispensable que le processus relatif à l'établissement d'un budget se déroule, pour éviter un blocage", souligne la députée Véronique Louwagie, cheffe de file de son camp à la commission des finances de l'Assemblée. Son équivalent socialiste, Philippe Brun, admet lui aussi que "l'on a besoin d'une base de travail" et qu'"il est bien que Bercy travaille sur le budget, que nos administrations le préparent". Si le Nouveau Front populaire prenait les rênes de Matignon en septembre, il serait "impossible de refaire un budget totalement" reconnaît le député PS. "Si on est au pouvoir la semaine prochaine, là, ce sera possible", ajoute-t-il.

Le Rassemblement national, de son côté, conteste au camp présidentiel la légitimité de porter un PLF. "Je ne vois pas comment le gouvernement démissionnaire peut présenter un projet de loi de finances. Si le budget est une affaire courante, alors que c'est le cœur de la démocratie représentative depuis trois siècles, qu'est-ce qui n'est pas une affaire courante ?", s'agace Jean-Philippe Tanguy, membre de la commission des Finances. 

"Tout ce petit monde nous mène vers une crise de régime qui, bien souvent, a une origine budgétaire."

Jean-Philippe Tanguy, député RN

à franceinfo

"Le PLF est la déclinaison budgétaire d'une vision politique donc pour moi, appuie encore le secrétaire général du groupe RN, Renaud Labaye. Et il y aurait un gros problème constitutionnel puisque l'on ne peut pas censurer un gouvernement démissionnaire." Effectivement, les députés ne peuvent déposer une motion de censure à l'égard d'un gouvernement déjà démis, ce qui signifie également que le recours au 49.3 est impossible pour l'exécutif.

De nombreuses inconnues

Sur le fond, de nombreuses questions restent aussi en suspens. Que contiendra le projet de budget présenté par le gouvernement de Gabriel Attal s'il est toujours en place à la rentrée ? "Le budget que l'on prépare doit tenir nos engagements européens pour réduire le déficit à 3% en 2027. On ne va pas préparer un budget hors des clous", affirme l'entourage de Bruno Le Maire. "Il y a toute une partie très technique dans la construction du budget. Le futur gouvernement pourra faire des arbitrages politiques au dernier moment si le président nomme quelqu'un du NFP à Matignon", précise-t-on. Bruno Le Maire a confié aux Echos qu'il proposerait au Premier ministre, avant le 15 août, "des plafonds par ministère qui permettront de poursuivre la réduction des dépenses de l'Etat en 2025", libre à son successeur de les respecter ou non.

Du côté de la gauche, qui s'est mis d'accord mardi soir sur le nom de Lucie Castets pour obtenir Matignon, le PS est favorable à "un PLF le plus neutre possible". "Il faut que les administrations travaillent sur un budget qui essaye de maintenir les équilibres passés. En revanche, les grosses économies dont parle Bruno Le Maire, c'est non", écarte Philippe Brun. 

"En 2024, nous devons dégager 25 milliards d'euros d'économies pour tenir nos objectifs de finances publiques. Nous devons le faire maintenant, ou bien il sera trop tard, car la France divergera définitivement de ses 19 partenaires de la zone euro", déclarait, le 11 juillet au Figaro, Bruno Le Maire. Jusqu'à présent, 15 milliards d'euros d'économies ont déjà été exécutés.

Reste donc à trouver les 10 milliards d'euros d'économies : 5 milliards vont être demandés aux ministères, deux milliards aux collectivités locales et trois milliards devraient être dégagés par une taxation des rentes plus efficace sur les énergéticiens. Mais, précisait Bruno Le Maire, "ce sera de la responsabilité politique du prochain gouvernement de valider ou non ces options". Que la coalition de gauche décroche ou non Matignon à la rentrée, les députés du NFP préparent le dépôt de nombreux amendements issus de leur programme. Philippe Brun cite par exemple le rétablissement de l'ISF, ou la hausse du point d'indice des fonctionnaires.

Les députés du camp présidentiel travaillent aussi dessus, dans l'espoir de voir naître une coalition allant de la droite modérée à la gauche républicaine. "Quoi qu'il arrive, le prochain budget ne peut être la reconduction de l'existant compte tenu des enjeux qui y sont associés. Il faut donc une équipe politique pour le bâtir après les JO", plaide Mathieu Lefèvre, député Renaissance, membre de la commission des Finances. Les Républicains pourraient constituer un appui précieux concernant la réduction des dépenses. Ils ont affirmé, lors de la présentation de leur pacte législatif, lundi, "à contribuer immédiatement à un plan d'économies de 25 milliards". 

"Au regard de la situation catastrophique de nos comptes publics, du déficit actuel et de l'évolution du niveau de la dette, il n'y a plus de temps à perdre."

Véronique Louwagie, députée LR

à franceinfo

A eux seuls, LR et le camp présidentiel, ne disposent cependant pas de la majorité absolue au Palais-Bourbon. Les inconnues restent donc nombreuses, à cette heure, sur le vote du budget. Pour autant, l'hypothèse d'un "shutdown" à la française, soit la paralysie de l'administration du pays après un blocage politique sur le budget, est impossible. L'article 47 de la Constitution prévoit que si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours sur le budget, le gouvernement peut procéder par ordonnance. De plus, le texte ne pouvait être adopté dans les délais impartis (c'est-à-dire avant le 31 décembre), le gouvernement pourrait demander au Parlement de voter une loi spéciale pour lever l'impôt et assurer la continuité de l'Etat. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.