"Une prise de guerre considérable" : pourquoi l'entrée de Rachida Dati dans le gouvernement Attal est un petit séisme politique
C'est la surprise du chef, celle que personne n'attendait. Jeudi 11 janvier, Rachida Dati a été nommée ministre de la Culture du gouvernement de Gabriel Attal. "C'est énorme, franchement", commente, un brin éberlué, une cadre Renaissance, tandis qu'un poids lourd de la majorité parle d'"un gros coup". Il faut dire que l'ancienne et charismatique ministre de la Justice de Nicolas Sarkozy est extrêmement identifiée par les Français et coche, une nouvelle fois, la case "transfuge de la droite" pour le camp présidentiel.
"Elle a vraiment du caractère et un vrai poids politique", note un conseiller ministériel. L'ex-eurodéputée, aujourd'hui maire du 7e arrondissement de Paris, faisait aussi partie des caciques de LR puisqu'elle était jusque-là présidente du conseil national du parti. Elle est aussi et surtout la présidente du principal groupe d'opposition au Conseil de Paris, après avoir mené la bataille contre Anne Hidalgo en 2020. C'est d'ailleurs devant les élus parisiens LR qu'elle a annoncé, jeudi en fin de journée, sa nomination. "Je vais rester LR, je démissionne du conseil national", a-t-elle notamment déclaré, selon un participant. Mais la réponse du parti a été immédiate, une fois l'officialisation de sa nomination par l'Elysée. Rachida Dati "se place en dehors de notre famille politique. Elle ne fait désormais plus partie des Républicains", a réagi Eric Ciotti, le patron de LR. Nous sommes dans l'opposition, nous tirons donc les conséquences de son choix avec regret".
"LR est mort"
Pour la droite, il s'agit pourtant d'un "tremblement politique majeur", commente un député LR qui se dit "modéré". "La poutre travaille plus vite que prévu, la tripartition (RN, gauche et bloc central) se met en place, et surtout ça veut dire que LR est mort", estime même ce parlementaire. "On devient une queue de comète et on ne fera rien aux européennes", ajoute-t-il. Si Eric Ciotti a vite fermé la porte d'un accord avec le gouvernement en excluant Rachida Dati, celle-ci avait en tout cas elle-même plaidé, à l'instar de Jean-François Copé, pour une alliance avec Emmanuel Macron. "En responsabilité, il faut se mettre autour de la table pour trouver un accord de gouvernement pour pouvoir redresser notre pays", assurait cette ancienne avocate sur France Culture, en mars 2023.
"C'est un coup dur énorme pour LR : c'est quand même une prise de guerre considérable, elle est présidente du conseil national de LR !", réagissait estomaqué un maire LR parisien avant son exclusion. Tous n'ont pas la même lecture de la situation. "Bravo à elle, c'est quelqu'un que j'apprécie mais ça ne fait bouger aucune voix dans le groupe LR", assure le député LR Julien Dive. "Je pense qu'elle est guidée par son ambition personnelle d'être maire de Paris", cinglait son collègue Hubert Brigand, juste avant l'annonce d'Eric Ciotti.
Et malgré le communiqué du président du parti, certains, parmi les plus "Macron compatibles", s'accommodent très bien de cette entrée au gouvernement de l'ancienne porte-parole de Nicolas Sarkozy. "C'est un très bon coup. Ça préfigure une recomposition politique, déjà parisienne mais aussi nationale", veut ainsi croire un autre député LR.
Les cartes rebattues pour Paris en 2026
Il est sans doute encore trop tôt pour mesurer l'impact de la nomination de Rachida Dati sur le plan national mais, sur le plan local, les conséquences sont déjà majeures. "La seule chose que je veux garder, c'est la confiance du groupe LR, j'ai l'assurance de l'enjeu de la mairie de Paris, je m'en suis assurée", a aussi lancé Rachida Dati devant les élus parisiens, juste avant sa nomination. L'entrée au gouvernement de celle qui avait marqué le ministère de la Justice par l'instauration des peines planchers, la réforme du Code pénal des mineurs ou la modification de la carte judiciaire préfigure en effet un deal avec la majorité sur les élections municipales de Paris en 2026. "Ça en prend le chemin", glisse un élu LR parisien.
"Ça veut dire bye bye les ambitions de Beaune", assure une cadre de la majorité, alors que Clément Beaune, ministre des Transports d'Elisabeth Borne, ne faisait pas mystère de ses ambitions parisiennes. "La reconquête de Paris du coup est possible, ça veut dire qu'Hidalgo est finie", commente un député LR. "Le président de la République et Gabriel Attal mettent clairement la prise de Paris comme un objectif politique pour 2026, car seule l'alliance avec Rachida Dati, même sans LR, peut faire basculer la ville", affirme un conseiller ministériel.
Le deal entre Rachida Dati et le camp présidentiel n'inquiète cependant pas Emmanuel Grégoire, premier adjoint d'Anne Hidalgo, à en croire l'entourage de ce dernier. "Ils n'ont pas été capables de s'entendre jusque-là. La majorité rose-vert-rouge reste solide", affirme-t-on. Sur le réseau social X, Emmanuel Grégoire a préféré insister sur les affaires judiciaires de Rachida Dati.
Avant, un ministre mis en examen devait démissionner. Maintenant une mise en examen pour corruption peut être nommée ministre.
— Emmanuel Grégoire (@egregoire) January 11, 2024
Rachida Dati est mise en examen depuis juillet 2021 pour “corruption”… quelle inspiration pour le monde de la culture…
Avec ce coup politique, Emmanuel Macron prend en effet un risque. Rachida Dati est mise en examen depuis juillet 2021 pour "corruption et trafic d'influence passif par personne investie d'un mandat électif public" dans l'affaire Carlos Ghosn. Dans cette information judiciaire ouverte en juillet 2019, des soupçons pèsent sur l'ancienne ministre de la Justice concernant une somme de 900 000 euros que lui a versée entre 2010 et 2012 RNBV, filiale néerlandaise de l'alliance Renault-Nissan, alors qu'elle était avocate et députée européenne. Dans ce dossier, l'enquête est bouclée et le Parquet national financier doit désormais prendre ses réquisitions avant que la juge d'instruction ordonne, ou non, un procès.
"Macron va faire avec Dati une Bayrou : la nommer, faire péter la droite et la virer quand elle sera condamnée dans trois mois", raille un député de droite, en référence au départ prématuré du gouvernement du patron du MoDem, en 2017, mis en cause dans l'affaire des assistants des eurodéputés. Dans la majorité, cette désignation fait en tout cas sourire. "On est de droite, ça nous va très bien, mais il va falloir m'expliquer où est le retour aux sources du macronisme de 2017", fait mine de s'interroger le conseiller d'un ministre de droite.
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