"On ne sait pas où on va" : les députés Renaissance divisés face au nouveau Premier ministre Michel Barnier

A l'occasion de leur rentrée parlementaire, les députés emmenés par Gabriel Attal ont confié leurs doutes face au chef du gouvernement issu de la droite. La future politique de Michel Barnier pourrait entraîner de fortes divisions au sein du bloc central.
Article rédigé par Margaux Duguet, Clément Parrot
France Télévisions
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Temps de lecture : 9min
Le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, serre la main du chef du gouvernement sortant, Gabriel Attal, lors de la cérémonie de passation de pouvoirs à l'hôtel Matignon, à Paris, le 5 septembre 2024. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

"Pas une majorité ne peut s'écrire sans nous. Pas un vote ne peut se gagner sans nous." L'ex-Premier ministre Gabriel Attal, désormais patron des députés Renaissance, a une nouvelle fois prévenu son successeur à Matignon, Michel Barnier, dans son mot d'introduction lors de la rentrée parlementaire de son groupe, mardi 10 septembre, à Rosny-sur-Seine. Les élus de l'ex-majorité présidentielle se sont retrouvés au fin fond des Yvelines, au milieu des champs, dans un lieu habituellement utilisé pour des séminaires d'entreprise ou des mariages. Il n'est pas encore question d'une union avec Michel Barnier, issu des Républicains, mais le nouveau chef du gouvernement est tout de même venu dans la soirée pour "un apéritif républicain". "Pour faire face au moment grave dans lequel se trouve notre pays, nous devons travailler ensemble", a exhorté le nouveau locataire de Matignon, promettant de respecter "toutes les sensibilités" du groupe présidentiel.

"On a le droit d'être exigeants", avait réaffirmé plus tôt Gabriel Attal devant ses troupes. "Nous avons le droit de dire que notre soutien ne peut pas être tenu pour acquis (...) Nous ne sommes pas près de brader nos valeurs." L'ex-Premier ministre assume ainsi la ligne du communiqué du parti présidentiel, publié jeudi après l'annonce du choix par Emmanuel Macron d'un homme politique étiqueté à droite pour diriger le gouvernement : "Il n'y aura pas de censure automatique, mais des exigences sur le fond sans chèque en blanc."

L'ancien Premier ministre n'hésite pas à mettre une forme de pression sur son successeur. A la tête du groupe Ensemble pour la République, qui compte 97 députés, il tente d'installer un rapport de force avec Matignon. Lors de la passation de pouvoirs, il a ainsi demandé à Michel Barnier de s'engager sur le dossier de l'école ou sur celui de la "désmicardisation". "Des mesures devaient être présentées cet été, elles sont sur votre bureau, Monsieur le Premier ministre", a-t-il lancé. Avant de se faire recadrer par l'ancien commissaire européen : "Mon bureau, je l'ai trouvé un peu vide tout à l'heure."

"Une déception teintée de colère"

Officiellement, "les relations sont très bonnes, chaleureuses et amicales" entre les deux hommes, assure l'équipe de l'ex-ministre chiraquien. L'entourage de Gabriel Attal n'utilise pas les mêmes mots, mais évacue aussi toute dissension : "Il est faux de laisser penser que les relations sont tendues et qu'ils s'entendent mal, ils se sont parlé quasiment tous les jours." Dans les rangs des députés Renaissance, en revanche, certains expriment leur méfiance à l'égard du nouveau Premier ministre. "C'est une déception teintée de colère et d'amertume", a réagi à l'annonce de la nomination de Michel Barnier le député de la Manche Stéphane Travert, membre de l'aile gauche.

"Il va falloir faire des compromis, mais pas au prix de ses convictions et de ses valeurs." 

Stéphane Travert, député Renaissance

à franceinfo

"C'est un choix de raison, Barnier, on ne cherche pas quelqu'un qui brille, mais quelqu'un qui tienne. Ensuite, je ne suis pas allée en plateau pour dire 'c'est génial'", résume une parlementaire, sans enthousiasme. "Je suis très inquiet quand j'entends le Barnier de 2021 [candidat malheureux à la primaire de la droite pour la présidentielle de 2022]. Est-ce que l'on va avoir ce Barnier-là ou le Barnier négociateur du Brexit ? Pour l'instant, je ne sais pas", ajoute l'un de ses collègues. "On espère une relation de confiance, d'écoute et de respect, notamment par rapport au bilan, à ce qui a été fait jusqu'à présent", ajoute la députée de l'Ain Olga Givernet.

"Le groupe est divisé, avec 20% d'inquiets, 20% qui y voient une super nouvelle, et le gros du groupe qui est vigilant", évalue un député. Plusieurs voix demandent en tout cas de l'indulgence pour le nouveau gouvernement. "On ne peut pas, on ne doit pas être hostiles a priori à Michel Barnier. La réussite du pays, c'est désormais la sienne", estime Mathieu Lefèvre, député du Val-de-Marne et membre de l'aile droite. "On ne peut pas se mettre en opposition vis-à-vis d'un Premier ministre choisi par le président de la République", ajoute l'un de ses collègues.

"On n'a ni programme, ni majorité"

Pourtant, la loyauté vis-à-vis du chef de l'Etat pourrait s'effriter. "On n'est plus dans la situation d'un groupe parfaitement aligné avec l'exécutif, en état de symbiose. On doit avoir notre propre liberté de ton", analyse un député. La dissolution décidée avant l'été par Emmanuel Macron a eu pour conséquence de libérer un certain nombre de députés de la tutelle élyséenne. "On a pris une grosse veste et on a perdu beaucoup de nos collègues, cela a été d'une violence inouïe", rappelle une autre. "La situation dans laquelle on est, c'est en partie sa faute", lâche un de ses collègues.

"On a le droit d’en vouloir au président et à ses errements. C’est le moment de prendre toute sa place par rapport à l’exécutif."

Un député Renaissance

à franceinfo

Ce ressentiment nourrit la méfiance. Loin de se faire enivrer par le "parfum de cohabitation", les parlementaires Renaissance sont dans l'expectative. "On ne sait pas où on va. Je ne sais pas si on est dans l'opposition ou dans la majorité. On sent qu'il peut y avoir une fracture dans le groupe si on va sur certains sujets", avoue un député un peu perdu. "L'ambiance est compliquée au sein du groupe. On n'a pas fait le plus difficile avec la désignation de Barnier. On n'a ni programme, ni majorité", complète un autre. "On regardera avec attention la composition du gouvernement et sa déclaration de politique générale", ajoute Olga Givernet.

"Un gouvernement Les Républicains, ce sera un peu compliqué. [Michel Barnier] a intérêt à ne pas s'appuyer uniquement sur les 47 députés de droite et les ministres démissionnaires ex-LR, ça ne suffit pas pour rassembler", prévient un autre député. Et tous les LR ne sont pas les bienvenus. "Le nom de Bruno Retailleau revient pas mal comme étant un repoussoir pour certains chez nous", confie un député. De même, l'éventualité d'un ministère de l'Immigration inquiète une cadre du groupe : "C’est un symbole, un chiffon rouge. Même s’ils démentent, ça ne vient pas de nulle part." Pourtant issu de LR, le ministre de l'Intérieur démissionnaire, Gérald Darmanin, a suggéré devant les députés Renaissance de poser des conditions à la participation au gouvernement, avec un engagement des futurs ministres à démissionner si elles ne sont pas respectées.

"Le clivage gauche-droite reprend le dessus"

Quelles seront leurs lignes rouges ? Beaucoup de députés surveilleront l'attitude du nouveau gouvernement concernant les positions du Rassemblement national, notamment sur l'immigration. "Ce qui importe, ce sont les textes. Je ne mêle pas ma position à celle du RN. (...) Et si, demain, LR veut revenir sur l'AME [l'aide médicale de l'Etat], ce sera sans moi", assure Stéphane Travert. "En aucun cas, je ne voterais un texte qui serait négocié par le RN", appuie un ministre démissionnaire. "Je suis sur un territoire où sans immigration, il n'y a pas d'économie, où on ne récolte pas les concombres, les tomates ou encore le muguet", explique une députée.

"Soit Michel Barnier comprend nos positions sur l'immigration, soit il fait le programme du RN et ferme tout, et c'est la fin."

Une députée Renaissance

à franceinfo

Dans les mois à venir, Renaissance n'est pas à l'abri de nouvelles divisions, avec, notamment, l'élection pour la présidence du parti, en novembre, qui devrait voir s'affronter Gabriel Attal et Elisabeth Borne. "Le clivage gauche-droite reprend le dessus. Des gens de l'aile droite de l'ancienne majorité peuvent se retrouver dans le message de Barnier et ils l'ont fait savoir sur les réseaux sociaux", constate Stéphane Travert avec une pointe d'amertume. "C'est toujours le même conflit de base gauche-droite qui réapparaît sous des formes diverses, que ce soit le conflit Attal-Darmanin ou les pro et anti-Barnier", observe un cadre de Renaissance.

Deux députés ont déjà annoncé leur départ de Renaissance, lundi, pour rejoindre Horizons, le groupe d'Edouard Philippe. Les cadres d'Ensemble pour la République évoquent des "batailles internes" liées à la répartition des postes à l'Assemblée et des "enjeux locaux" avec les municipales prévues en 2026. "Pour l'instant, je crois qu'il n'y a pas d'autres menaces de départ", se rassure une députée. Mais de nouvelles tensions pourraient agiter le bloc central, notamment en cas d'hésitations sur le vote d'une motion de censure contre le futur gouvernement Barnier. Les députés du Nouveau Front populaire ont promis d'en présenter une dès la reprise de la session parlementaire et le Rassemblement national laisse planer la menace. "Il faut qu'on évite le piège. L'électorat attend qu'on soit constructifs et ne nous pardonnerait pas l'instabilité, estime un député proche du président. Mais il faut aussi s'affirmer en tant que groupe sur nos lignes rouges et ne pas subir la séquence." Une ligne de crête que les députés Renaissance sont condamnés à emprunter.

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