Inutiles ? Proches du pouvoir ? Trop chères ? On passe au crible les critiques faites aux autorités administratives indépendantes
La décision de Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public, de ne plus piloter le grand débat national, à la suite de la polémique sur son salaire, a mis en lumière ces instances administratives.
AAI, comme Autorités administratives indépendantes, et API, comme Autorités publiques indépendantes. Ces acronymes ont surgi dans l'actualité, depuis la polémique sur le salaire de Chantal Jouanno, la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), chargée d'organiser le grand débat national à la suite de la mobilisation des "gilets jaunes". Car la CNDP fait partie de ces entités méconnues. Voici ce qu'il faut savoir de leur composition et de leur fonctionnement.
1A quoi servent les AAI et les API ?
Le site Vie publique explique leurs rôles : comme leurs noms l'indiquent, ce sont des autorités, car elles "disposent d'un certain nombre de pouvoirs (recommandation, décision, réglementation, sanction)". Elles sont administratives ou publiques, car "elles agissent au nom de l'Etat" et disposent de certaines compétences dévolues à l'administration. Mais elles sont indépendantes, car "elles sont placées en dehors des structures administratives traditionnelles et ne sont pas soumises à l'autorité d'un ministre". "Les pouvoirs publics ne peuvent pas leur adresser d'ordres, de consignes ou même de simples conseils", précise Vie publique.
Les AAI ont vu le jour à la fin des années 1970 : le terme est apparu pour la première fois dans la loi du 6 janvier 1978 créant la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Au nombre d'une quarantaine pendant plusieurs années, elles sont limitées à 26 (19 AAI et 7 API) depuis janvier 2017. Agence française de lutte contre le dopage, Autorité de la concurrence, des marchés financiers, Défenseur des droits, Conseil supérieur de l'audiovisuel… La liste complète est disponible sur l'annuaire du service public.
Pourquoi créer autant d'autorités ? "Si la création de certaines de ces AAI répond à des obligations internationales ou européennes s'imposant à la France, l'existence d'autres trouve son origine dans la volonté des pouvoirs publics de répondre à des 'questions à l'impact médiatique'", peut-on lire dans le rapport (PDF) de la commission d'enquête du Sénat sur ces autorités, qui date de 2015. "Parallèlement, plusieurs AAI sont nées à la suite d'un scandale politique auquel le gouvernement souhaitait apporter une réponse législative. La création d'une AAI a pu aussi répondre à un problème jugé sensible ou à la volonté de lui faire assumer l'impopularité de décisions difficiles", ajoutent les sénateurs dans leurs conclusions.
2Sont-elles vraiment indépendantes ?
C'est l'exécutif qui est chargé de nommer les présidents des AAI, ce qui pose la question de leur indépendance. "S'il est incontestable que d'une manière générale les personnalités en charge de ces autorités ont une compétence, une expérience indiscutables, elles proviennent quasiment toutes du même moule, essentiellement du Conseil d'Etat ou de la Cour des comptes", dénonce dans Le Parisien Jacques Mézard, sénateur du Cantal et rapporteur de la commission d'enquête.
Dans le rapport de 2015, il n'hésitait pas à parler de "consanguinité" et de "sentiment d'entre-soi". "Si l'indépendance est garantie par des règles, elle reste fragile car elle dépend de la coopération des autres pouvoirs publics", soulevait-il. "Par exemple, écrivait-il, depuis octobre 2014, le gouvernement a programmé la disparition de fait de la Commission de la sécurité des consommateurs (CSC), en refusant de nommer ses membres comme l’impose la loi." Cette autorité a finalement été supprimée en 2017.
Autre point qui fragilise l'indépendance de ces instances : l'absence de contrôle. "Les AAI, malgré de réels progrès dans ce domaine depuis quelques mois, ne font pas l'objet d'un véritable contrôle par le Parlement", souligne Le Parisien. D'autant plus que c'est aussi l'exécutif qui décide de leurs ressources financières. Toutefois, depuis 2017, pour éviter les dérives, le gouvernement doit présenter, en annexe du projet de loi de finances de l'année, un rapport sur la gestion de ces autorités.
3Coûtent-elles trop cher ?
Le salaire des présidents et présidentes de ces autorités est au cœur des critiques. "Ces rémunérations sont très variées. Certaines sont exagérées, notamment au regard de la charge de travail de ceux qui les perçoivent, estime Jacques Mézard. Mais d'autres [autorités], comme le Comité national consultatif d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, ne versent rien à leur président."
Le salaire de Chantal Jouanno, fixé par arrêté, est plutôt dans la moyenne. En consultant une annexe à la loi de finances 2019, on peut ainsi voir que la dirigeante du CNDP doit percevoir 176 518 euros brut annuels (en hausse par rapport aux 156 305 euros de 2018). La rémunération la plus élevée est de 238 973 euros, pour le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF). La plus basse est celle de la présidente de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) avec 18 000 euros annuels.
Ces critiques sur les rémunérations ne sont pas nouvelles, tout comme celles sur la maîtrise financière de ces autorités. "Les personnels – fonctionnaires et contractuels – bénéficient, dans la majorité des cas, d'une politique de rémunération attractive, plus avantageuse, et donc plus onéreuse, que celle des autres services de l'Etat", pointait déjà, en 2017, la Cour des comptes, dans un rapport sur la gestion des AAI et des API. De fait, les dépenses de ces autorités n'ont cessé d'augmenter depuis 2010. Selon Le Monde, elles "ont progressé de 10,8% entre 2017 et 2019, passant de 478 millions d'euros à 530 millions d'euros".
Chantal Jouanno a elle-même jugé "légitime", mercredi, que le montant de sa rémunération fasse débat. De son côté, la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a reconnu qu'il fallait "probablement remettre à plat" ces conditions de rémunération, "en fonction des postes et des responsabilités". Mais il ne faudrait pas, a-t-elle prévenu, tomber dans un "poujadisme général qui est que personne ne doit être payé plus que trois fois le smic".
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