Proposition de loi "sécurité globale" : "Il y a un amateurisme en trois temps" sur l'article 24, analyse un spécialiste du droit public
Benjamin Morel, maître de conférence en droit public à l’université Paris II Panthéon-Assas, docteur en science politique à l'ENS Paris-Saclay, était invité sur franceinfo à réagir à l'annonce par la majorité parlementaire de la réécriture de l'article 24 de la loi controversée de "sécurité globale".P
"Il y a un amateurisme en trois temps" autour de l'article 24 de la proposition de loi Sécurité globale, a analysé mardi 1er décembre sur franceinfo Benjamin Morel, maître de conférence en droit public à l’université Paris II Panthéon-Assas, docteur en science politique à l'ENS Paris-Saclay. Il estime notamment qu'il y a eu de l'amateurisme de la part du président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand qui aurait dû, selon lui, saisir le Conseil d'Etat pour un texte sensible rédigé par des députés et de la part de Jean Castex avec sa "commission Théodule" qui était censée réécrire l'article. "Et le troisième moment d'amateurisme, c'est ce moment de proposition d'une forme de rétro-navette avec un texte qui, déposé sur le bureau de Gérard Larcher, serait repris en catimini pour être modifié à la marge avant d'être remis sans qu'il ne s'en rende compte".
franceinfo : Comment comprendre cette décision de réécrire l'article 24 ?
Benjamin Morel : Politiquement, c'est plutôt habile. Cela permet de calmer la majorité parlementaire tout en semblant faire une concession à l'opposition, même si, en réalité, il y a de vrais problèmes de légistique, de clarté dans cet article. Mais sur le fond, le groupe parlementaire et le gouvernement n'ont pas renoncé à grand-chose. D'un point de vue plus pratique, en revanche, on ne voit pas trop ce que ça peut signifier étant donné que le texte est actuellement dans les mains du Sénat. En réalité, la majorité parlementaire à l'Assemblée nationale ne peut plus le modifier. Elle peut, à travers le gouvernement éventuellement ou le groupe LREM comme au Sénat, soumettre un amendement proposant cette nouvelle réécriture. Mais la commission des lois au Sénat et le groupe Les Républicains ont déjà une idée assez précise de comment ils veulent réécrire l'article, et ils ont la majorité. Une fois que le Sénat aura adopté définitivement le texte, on va avoir la réunion d'une commission mixte paritaire, c'est-à-dire sept sénateurs et sept députés qui se réunissent dans une forme de conclave. Il va y avoir une négociation sur les termes de cet article 24. Mais étant donné qu'il aura déjà été réécrit par le Sénat qui ne va pas modifier l'objectif, car le groupe Les Républicains partage les visées de la République en marche sur le contenu, il est assez probable tout de même, que c'est plutôt la rédaction du Sénat qui finisse par s'imposer.
Que peut-il se passer s'il n'y a pas d'accord trouvé entre députés et sénateurs ?
Quand il n'y a pas d'accord en commission mixte paritaire, il y a une procédure du 'dernier mot', c'est-à-dire que le gouvernement peut donner le dernier mot à l'Assemblée nationale. A ce moment-là, l'Assemblée nationale délibère sur le texte qui était sorti de l'Assemblée. Il peut alors y avoir la soumission d'un nouvel amendement modifiant cet article 24, qui viendrait notamment du gouvernement. Mais ça impliquerait tout de même d'acter un désaccord profond avec le Sénat pour une question qui n'est vraiment pas une question de fond entre la majorité LR au Sénat et la majorité LREM à l'Assemblée, qui sont relativement d'accord sur le fond. C'est vraiment une question de pure légistique. Cela apparaîtrait relativement disproportionné et politiquement très compliqué.
Est-ce qu'il y a pour vous une forme d'amateurisme dans la gestion de cette crise autour de cet article ?
D'un point de vue de droit parlementaire, il y a un amateurisme en trois temps en réalité. Le premier amateurisme, c'est de la part du président de l'Assemblée Richard Ferrand de ne pas avoir saisi le Conseil d'État face à une proposition de loi qui était rédigée par des députés qui n'ont pas le staff ministériel pour la rédiger. Depuis 2008, le président de l'Assemblée nationale peut saisir le Conseil d'État qui aurait dit grosso modo que cet article 24 ne tenait pas la route. Le deuxième moment d'amateurisme, c'est cette "commission Théodule" proposée par Jean Castex. Ce qui heurte un peu les grands principes du droit parlementaire et de la séparation des pouvoirs. Et le troisième moment d'amateurisme, c'est ce moment de proposition d'une forme de rétro-navette avec un texte qui, déposé sur le bureau de Gérard Larcher, serait repris en catimini pour être modifié à la marge avant d'être remis sans qu'il ne s'en rende compte. Ce qui, évidemment, relève plus du grand guignol que de la réalité de la procédure parlementaire.
Globalement quel bilan peut-on tirer de cette crise ? Est-ce que la majorité LREM et le chef de l'Etat en sortent affaiblis ?
Grosso modo, la majorité sort assez affaiblie. Ce n'est pas si nouveau, on a une majorité la République en marche, qui est aujourd'hui assez effervescente et qui, au regard pas tant des groupes qui la composent, mais de ses individualités, est une majorité qui est un peu en déliquescence, avec notamment une hémorragie de députés vers des groupes nouveaux qui ont pu se créer ou vers le MoDem, un gouvernement qui était battu sur des amendements et des propositions de loi au mois de février, avant même la crise du Covid, parce que les députés n'étaient pas assez mobilisés en séance.
La tenue de ce groupe parlementaire, qui est nécessaire aujourd'hui pour que le gouvernement continue à gouverner, va être l'un des grands enjeux de la fin de ce quinquennat. Là-dessus, le gouvernement a probablement beaucoup perdu. Emmanuel Macron s'en sort un peu mieux. Il a réussi à la fois à trianguler la droite, en tenant des positions qui sont aujourd'hui majoritaires dans l'électorat de droite, tout en apparaissant à travers ses interventions plutôt en off ou sur Facebook comme étant malgré tout dans son rôle de défenseur des libertés en tant que président de la République. Reste qu'Emmanuel Macron ne pourra avoir une fin de quinquennat normale et apaisée que s'il tient sa majorité parlementaire et que donc, in fine, cette fragilisation de la majorité parlementaire est l'une des grandes difficultés qui est subséquente à cette crise.
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