Loi "sécurité globale" : comment la commission sur l'article 24 a déclenché une crise politique au sein de la majorité
L'article 24 de la proposition de loi "sécurité globale" est parvenu en quelques jours à fragiliser la solidarité gouvernementale et à opposer le Premier ministre au président de l'Assemblée nationale. Récapitulatif en cinq actes.
Il était voté depuis une semaine par les députés en première lecture. Mais en quelques jours, le fameux article 24 de la loi sécurité globale est devenu un sujet politique en soi. Plusieurs vidéos de violences policières ont fragilisé le soutien de la majorité au gouvernement à propos de cet article. Contesté par une trentaine de sociétés de journalistes et par la plupart des associations de défense des droits humains, il prévoit la possibilité de pénaliser d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende la diffusion de "l'image du visage ou tout autre élément d'identification" d'un policier ou d'un gendarme en intervention, si l'intention du diffuseur est jugée malveillante.
Face au tollé provoqué par cet article, le Premier ministre, Jean Castex, a lancé jeudi l'idée de créer une commission pour "réécrire" le fameux article 24. D'où l'indignation du président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, qui a rappelé à Matignon qu'il s'agissait là d'une prérogative de l'Assemblée ou du Sénat. Voici comment majorité et gouvernement se sont divisés autour de cette annonce.
1L'article 24 est voté avec 162 députés LREM absents de la séance
L'article 24 de la proposition de loi "sécurité globale" est voté en première lecture vendredi 20 novembre à l'Assemblée nationale, mais le scrutin des députés illustre la division au sein de la majorité, comme le rapporte France 3 Centre-Val de Loire. Seuls 103 des 271 députés LREM votent pour. Cinq députés LREM présents dans l'hémicycle s'abstiennent et 162 ne sont pas présents lors de la séance.
2 L'ensemble de la loi est votée en première lecture, sur fond de polémique
Les députés adoptent mardi 24 novembre la loi "sécurité globale" en première lecture, par 388 voix contre 104 et 66 abstentions. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, s'en félicite sur Twitter, avec une allusion à l'article 24 qui "renforce la protection des forces de l'ordre".
La proposition de loi sur la sécurité globale a été très largement adoptée par l'Assemblée nationale. ✅
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) November 24, 2020
Renforcement des compétences des polices municipales
Renforcement de la protection des forces de l'ordre
Interdiction de la vente des mortiers pic.twitter.com/5O73HV4L6t
Mais cet article 24 continue à susciter la controverse après la violente évacuation, la veille, d'un campement de migrants à Paris, place de la République, dont témoignent des images filmées par les journalistes. Gérald Darmanin admet d'ailleurs sur Twitter que certaines images de la dispersion du campement sont "choquantes". Il demande "un rapport circonstancié" au préfet de police et saisit l'IGPN, la "police des polices".
3Jean Castex propose une "commission indépendante" pour faire évoluer l'article 24
Jeudi 26 novembre, Jean Castex annonce dans la soirée la création prochaine d'une commission indépendante pour statuer sur la rédaction de l'article 24. Gérald Darmanin, lui, revendique la paternité de cette idée. Le ministre de l'Intérieur avait en effet envoyé quelques heures plus tôt une lettre en ce sens au Premier ministre, que France Télévisions a pu consulter.
Le ministre de l'Intérieur relève qu'"en l'absence d'un examen préalable par le Conseil d'Etat, des questionnements juridiques subsistent quant à la solidité juridique" de l'article 24. "Tout en maintenant l'article 24 dans la proposition de loi, je vous propose de désigner une commission ad hoc visant à étudier des pistes possibles d'évolution de sa rédaction dans le cadre de l'examen au Sénat prochain", écrit-il.
4Des députés expriment leur colère
Cette commission chargée de réécrire l'article 24 suscite la colère de plusieurs parlementaires, dont celle du président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand (LREM). Le ministre chargé des Relations avec le Parlement, Marc Fesneau, lui fait écho via un message sur Twitter citant l'article 24 de la Constitution : "Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques."
Un autre Article 24 (Constitution de 1958 celui là) : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». Voilà. Simple, clair, net. Confiance pleine et entière à la démocratie représentative. @AssembleeNat et @Senat https://t.co/JT3wowkSVS
— Marc Fesneau (@MFesneau) November 27, 2020
Dans Le Figaro, la présidente déléguée du groupe LREM à l'Assemblée, Aurore Bergé, s'irrite, elle aussi, du mépris supposé de l'exécutif envers les députés. "Le Parlement et la majorité parlementaire ne sont pas des paillassons sur lesquels on s'essuie. Nous serons condamnés à suivre l'avis de cette commission qui s'imposera à nous immédiatement", estime-t-elle. Dans le même journal, une autre députée LREM, Yaël Braun-Pivet, juge la création de cette commission "insupportable".
A cette fronde s'en ajoute une autre, sur le fond, pour contester la ligne du ministre de l'Intérieur, selon Le Monde. "La commission indépendante, c'est une idée de Gérald. Tout comme l'article 24, qui était une idée de Gérald", s'agace un ministre, cité par le quotidien. Dans Le Figaro, le vice-président de l'Assemblée nationale Hugues Renson (LREM) estime qu'il ne faut pas "s'obstiner" quand une "mesure [l'article 24] suscite autant de résistance".
Cette ligne est-elle alimentée par le chef de l'Etat ? Réagissant sur Facebook aux révélations de Loopsider sur l'affaire Michel Zecler, le président Emmanuel Macron "demande au gouvernement de faire rapidement des propositions pour réaffirmer le lien de confiance qui doit naturellement exister entre les Français et ceux qui les protègent".
5 Jean Castex précise à quoi doit servir la commission
Dans une lettre que France Télévisions s'est procurée, Jean Castex assure à Richard Ferrand que la commission doit servir au gouvernement à "nourrir sa réflexion". "Je vous confirme qu'il n'entrera pas dans le périmètre de cette commission le soin de proposer une réécriture d'une disposition législative, mission qui ne saurait relever que du Parlement", écrit-il.
La commission, dont le résultat des travaux est attendu pour le 15 janvier 2021 "au plus tard", "pourra formuler des propositions de nature juridique, procédurale, ou relevant des champs de la formation, de l'éducation ou tout autre domaine qui lui apparaîtrait pertinent, s'agissant notamment des conditions de travail et d'intervention de la presse et des forces de l'ordre". Pas sûr que cette lettre suffise à calmer la fronde de la majorité, échaudée par son soutien à un texte largement mis en cause depuis une semaine.
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