Crise en Guadeloupe : pourquoi l'exécutif surveille la situation comme le lait sur le feu
A quelques mois de l'élection présidentielle, la crise aux Antilles, si elle venait à s'enliser, pourrait devenir un vrai danger pour le chef de l'Etat et sa majorité.
"Il était obligé de monter en première ligne", note le politologue Stéphane Rozès. En visite dans sa ville natale d'Amiens (Somme), lundi 22 novembre, Emmanuel Macron a été contraint de réagir à la situation en Guadeloupe qu'il a qualifiée de "très explosive". L'île est secouée depuis plusieurs jours par des violences urbaines sur fond de contestation contre le pass sanitaire et l'obligation vaccinale des soignants. Au-delà de ces revendications, les protestataires expriment aussi une défiance latente vis-à-vis de l'Etat et une détresse sociale. Le président de la République a d'ailleurs reconnu lui-même que la situation en Guadeloupe est "liée à un contexte local, à des tensions qu'on connaît, qui sont historiques, et aussi à certains intérêts qui cherchent un peu à utiliser ce contexte et l'anxiété".
Face à cette "extrême violence", selon les mots du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, mardi sur France Inter, des renforts policiers (GIGN et Raid) ont été envoyés sur place pour contenir les émeutiers. Les deux dernières nuits semblent avoir été moins agitées que les précédentes, même si des policiers ont été visés par des tirs à balle réelle. "Oui, la situation est source d'inquiétude car les violences urbaines sont extrêmement graves. Nous les condamnons fermement", explique l'entourage du ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu. "Nous prenons ça très au sérieux."
Embrasement et contagion ?
En pleine pré-campagne présidentielle, le risque est grand pour la majorité. "Cela pose un double problème pour l'exécutif, analyse Stéphane Rozès. Pour le gouvernement, il ne faut surtout pas laisser accréditer l'idée que ces territoires d'outre-mer seraient en sécession par rapport aux normes républicaines. Deuxièmement, il ne faudrait pas que ces événements ancrent l'idée qu'Emmanuel Macron a une inclinaison, dans sa façon de faire, à diviser le pays." Or, constate le politologue, l'exécutif a déjà commis plusieurs erreurs dans ce dossier.
"Il y a eu un problème de non-anticipation de ces sujets, comme cela avait été le cas avec les 'gilets jaunes'. Et puis, il y a eu un retard en termes de réaction, ce qui fait que les réponses sécuritaires sont au premier plan et non les réponses politiques."
Stéphane Rozès, politologueà franceinfo
La priorité est effectivement de rétablir l'ordre au plus vite. Si le Premier ministre, Jean Castex, a bien annoncé lundi la création d'une "instance de dialogue" pour accompagner les professions de santé de la Guadeloupe vers la vaccination, il reste que l'arrêt des violences, le plus rapidement possible, est dans toutes les têtes. "Ce qui nous serait reproché, c'est si l'ordre républicain n'était pas respecté. Il doit être maintenu", martèle un conseiller ministériel. L'est-il actuellement ? "Tout est mis en œuvre pour qu'il le soit", botte-t-il en touche. "Il y a en l'espèce deux choses sur lesquelles nous devons être intransigeants : le rétablissement de l'ordre public et l'égalité en matière sanitaire", estime de son côté le député LREM Sacha Houlié.
L'exécutif marche sur un fil. Le pire scénario serait de voir les violences perdurer en Guadeloupe et gagner d'autres territoires des Antilles. La Martinique fait ainsi face, depuis lundi, à une grève générale lancée à l'appel d'une vingtaine de syndicats qui protestent eux aussi contre l'obligation vaccinale des soignants. Si la situation est bien moins explosive qu'en Guadeloupe, la mobilisation a pris de l'ampleur en ce deuxième jour de mobilisation. "Chaque territoire des Antilles est sensible. En revanche, on ne croit pas à la tache d'huile. Ce n'est pas parce que la Guadeloupe s'embrase que la Martinique va suivre", assure un conseiller ministériel. Des forces de l'ordre et des pompiers ont pourtant été la cible de tirs d'armes à feu dans la nuit de lundi à mardi à Fort-de-France, sans faire de blessés, selon la sécurité civile.
Un enjeu de campagne
S'il est impossible de prédire la suite des événements, force est de constater que la situation en Guadeloupe est déjà devenue un enjeu de campagne. L'opposition a trouvé là un angle d'attaque contre Emmanuel Macron. "Le gouvernement a toujours la même méthode, qui consiste à laisser pourrir une situation, comme celle des 'gilets jaunes', comme celle des retraites, et à attendre que la violence que ça génère discrédite les revendications", a, par exemple, affirmé Marine Le Pen sur France Inter, mardi. "On aurait dû anticiper ce besoin de dialogue et de compréhension", a pour sa part regretté Michel Barnier, candidat à l'investiture LR, sur franceinfo. "Le résultat de la politique de Macron, nous l'avons sous les yeux", a de son côté dénoncé à Rennes le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon.
"S'ils apportent un soutien inconditionnel au mouvement, ce sera au prix de l'ordre républicain ou de la protection des populations contre le virus", tacle Sacha Houlié. Il reste que "le tour sécuritaire pris en Guadeloupe", représente "un danger pour le président-candidat Macron, selon Stéphane Rozès. Surtout si le futur candidat LR apparaît en capacité à la fois de rassembler les Français et d'incarner l'ordre."
Derrière la crise en Guadeloupe, il y a le spectre – encore et toujours – des 'gilets jaunes'. De quoi inquiéter dans les couloirs du pouvoir ?
"Tout est un danger à cinq mois des élections, c'est une évidence."
Sereine Mauborgne, députée LREMà franceinfo
"On va rester dans une période très politique où tout va être utilisé contre Macron", relativise une source proche du pouvoir. "On est concentrés sur la gestion de crise, il faut essayer de décapsuler en amont ces potentiels sujets de crise." En réalité, la dangerosité de la situation guadeloupéenne pour l'exécutif tient en un mot : sa durée. "Si c'est quelques jours, ce sera vite oublié. Si c'est plusieurs semaines, c'est plus emmerdant", résume-t-on dans les allées du pouvoir.
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