Violences en Guadeloupe : les raisons d'une colère qui n'est pas uniquement liée à la crise sanitaire
Mobilisés contre le pass sanitaire et la vaccination obligatoire des soignants, les protestataires expriment aussi une défiance latente vis-à-vis de l'Etat et une détresse sociale.
La Guadeloupe s'invite dans l'agenda de Matignon. Le Premier ministre, Jean Castex, préside une rencontre avec des élus guadeloupéens, lundi 22 novembre, dans la soirée, aux côtés des ministres des Outre-mer, de la Santé et de l'Intérieur. L'exécutif entend recueillir "l'analyse" des élus locaux sur la situation dans le département, secoué depuis plus d'une semaine par un mouvement contestant le pass sanitaire et l'obligation vaccinale pour les soignants et les pompiers.
Dans l'archipel, où la grève générale a viré en violences et pillages et où un couvre-feu a été rétabli, la puissante Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG) clame que l'obligation vaccinale n'a été que "la goutte qui a fait déborder le vase". Voici les différentes difficultés exposées ces derniers jours pour analyser la cause des violences urbaines locales.
Une obligation vaccinale jugée inadaptée
En Guadeloupe, l'obligation vaccinale pour les professionnels des secteurs sanitaire, social et médico-social, en vigueur depuis cet automne, est largement critiquée, y compris au sein de la majorité présidentielle. "Nous ne pouvons l'appliquer en l'état", a défendu le député LREM Olivier Serva, vendredi sur franceinfo. Pour lui, le taux de vaccination dans le département est trop "insuffisant" pour permettre une application de la règle nationale : seulement 43% de la population éligible en Guadeloupe avait reçu au moins une première dose au 16 novembre, selon la préfecture, contre 89% à l'échelle nationale.
"On ne va pas appliquer bêtement et méchamment une situation qui ne fonctionne pas en Guadeloupe. Il faut tenir compte des spécificités."
Olivier Serva, député LREM de Guadeloupeà franceinfo
Parmi les professionnels guadeloupéens concernés par l'obligation, les niveaux de vaccination sont plus élevés que dans le reste de la population locale. Au CHU de Pointe-à-Pitre, le taux de personnel vacciné atteignait les 88% la semaine passée. Suffisant pour perturber l'activité de l'établissement : "On a dû trouver des modes dégradés pour préparer les repas, s'assurer que la blanchisserie fonctionne encore et puis revoir un peu la capacité au niveau médical et au niveau chirurgical", décrivait son directeur général adjoint, Cédric Zolezzi, mercredi dernier sur franceinfo. Pour permettre le retour du personnel suspendu, plusieurs élus réclament la possibilité de tests Covid réguliers.
Une méfiance ancienne à l'égard de l'Etat
Derrière la remise en cause de l'obligation vaccinale se cache la remise en cause du discours officiel, surtout s'il vient de Paris. "Pourquoi ? Vous savez, nous, Français de Guadeloupe, nous avons vécu le scandale du chlordécone, rappelle le député Olivier Serva. C'est l'Etat qui, il y a une vingtaine d'années, nous a dit que cet insecticide ne poserait aucun problème. Finalement, cette molécule a empoisonné nos terres, nos mères, a donné des cancers à nos hommes, à nos femmes, a créé des malformations et ceci pour 600 ans. C'est une expérience qui conduit à une méfiance de la parole de l'Etat."
Dans le dossier du chlordécone, comme dans celui des sargasses, des algues toxiques qui envahissent le littoral des Antilles, "on ne voit pas l'Etat bouger", déplore le président de la région, Ary Chalus, sur franceinfo. Par conséquent, "les gens n'ont plus confiance", souligne-t-il. Pour lui, les Guadeloupéens se sentent "laissés pour compte" par l'Etat.
"Si nous avions trois ou quatre millions d'habitants, nous serions traités d'une autre manière."
Ary Chalus, président de la région Guadeloupeà franceinfo
"La nation est en solidarité" avec la Guadeloupe, a assuré Emmanuel Macron, lundi, citant "les soutiens, les moyens, les matériels, les lits" déployés "quand c'était nécessaire" sur l'île antillaise face à la pandémie de Covid-19. Le chef de l'Etat a reconnu que la "situation explosive" dans le département était liée "à des tensions qu'on connaît et qui sont historiques", tout en déplorant aussi "certains intérêts [syndicaux] qui cherchent un peu à utiliser ce contexte et l'anxiété".
Une crise sociale aggravée par la crise sanitaire
En appelant à poursuivre le mouvement de contestation, samedi, l'UGTG a soutenu que cette mobilisation traduisait "la profondeur des souffrances, des inégalités, de la pauvreté et de l'exclusion subies par la population". Un constat que ne réfute pas le président de la région : "Nous avons plus de quarante ans de retard par rapport à l’Hexagone concernant notre développement économique", résume-t-il, ajoutant que la Guadeloupe "a beaucoup perdu" de revenus du fait de la pandémie.
"Cette crise sporadique pourrait être le détonateur d'une crise sociale beaucoup plus profonde", prévient l'économiste Olivier Sudrie, spécialiste de l'outre-mer et maître de conférences à l'université Paris-Saclay. Pour lui, l'un des ferments de cette révolte est "l'augmentation des inégalités liée à la crise sanitaire". Dans un territoire où l'économie informelle est très importante, les acteurs de ce secteur "n'ont pas été sous le robinet des aides sociales : mécaniquement, les inégalités ont augmenté".
Dès lors, la réponse sécuritaire apportée à la colère en Guadeloupe ne suffit pas, selon le sénateur socialiste Victorin Lurel. "L'Etat nous a mis 10 millions d'euros sur un plan de relance, alors qu'il faut 800 millions d'euros, estime-t-il. Il y a une sorte d'indifférence de l'Etat, qui ne comprend pas." Des propos qui font écho à ceux d'un manifestant rencontré près du Gosier : "Dans ce quartier, il n'y a pas d'électricité ni d'éclairage public depuis six mois. Depuis des années, il y a des coupures d'eau pendant parfois une semaine. (...) Et en face, l'Etat n'existe pas. Nous sommes livrés à nous-mêmes."
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