L'Assemblée nationale est-elle une grande cour de récré ?
L'examen du projet de loi sur les retraites a été marqué, la semaine dernière, par les cris de poule du député Philippe Le Ray. Reportage au Palais-Bourbon.
"Dans l'hémicycle, on n'a pas le droit de se faire la bise, de poser son sac sur son pupitre, de boire ou de manger, égrène la députée Véronique Massonneau. Par contre, on peut se crier les uns sur les autres." Quitte à déraper. Mardi 8 octobre, vers 22h30, au cours de l'examen du projet de loi sur les retraites, l'élue écologiste a été la cible de caquètements émis par le député apparenté UMP Philippe Le Ray - sanctionné depuis. "Il était torché", raconte à francetv info un témoin de la scène, présent sur les bancs de la majorité. "Ils étaient cinq ou six avec lui, morts de rire ; c'était irréel."
Chahut et imitations
Les députés mesurent-ils l'image qu'ils renvoient, en tant qu'élus de la République, lorsqu'ils dérapent ? "Parfois, on peut oublier", concède Arnaud Robinet, au sujet des huit caméras fixes de l'hémicycle, qui ne manquent pas de filmer les débordements, même en pleine nuit. "Nous sommes des hommes avant tout, il est normal que l'on pète parfois les plombs", poursuit l'élu, porte-parole du groupe UMP à l'Assemblée. En s'excusant pour ses cris de poule, Philippe Le Ray n'a eu d'autre explication, samedi, dans les colonnes de Ouest France : "Nous sommes d'abord des humains."
Les écarts de conduite dans l'hémicycle sont "le triste effet de séances de nuit longues et épuisantes", avance Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS interrogé par francetv info, tout en déplorant "l'inconscience" et le "manque de respect à la fonction" de certains parlementaires. "Il y a des beaufs à l'Assemblée", affirme un conseiller ministériel à francetv info. "Certains trouvent encore illégitime qu'il y ait des femmes députées."
On lève le coude à la cafèt'
La réponse aux coups de sang se trouve aussi à la buvette des députés, une institution née en 1797. On y boit la bière la moins chère de Paris : 80 centimes ("et un euro pour mon Perrier rondelle", glisse Véronique Massonneau). Quand la séance est levée dans l'hémicyle, on s'y presse pour lever le coude. Même pour quelques petites minutes, avant que la cloche ne retentisse à nouveau. Les députés de tout bord défendent ce "lieu de convivialité".
Le Palais-Bourbon ne compte pas que des élèves turbulents, voire avinés. C'est avant tout une classe qui aime le débat et la confrontation d'idées, jusque dans les salles de réunion des commissions. Le public, invité aux séances, découvre la connaissance des dossiers des uns et le talent de repartie des autres. On s'y bat pour de simples amendements et c'est "un vrai plaisir" quand on y arrive, dixit Chantal Guittet.
La passion est palpable chez ces amoureux de la politique. Sauf quand ils n'ont pas choisi d'être là. C'était le cas de Philippe Le Ray, ce 8 octobre. Il était alors "de permanence", explique Arnaud Robinet, c'est-à-dire qu'il devait, comme certains de ses camarades, assister aux séances afin d'assurer un minimum de votants pour son camp. Ces postes de permanence sont occupés à tour de rôle, aussi bien dans la majorité que l'opposition.
Membre de la commission des affaires économiques, Philippe Le Ray assistait ainsi à l'examen du texte sur les retraites, préparé en commission des affaires sociales, qu'il ne maîtrisait pas. Idem pour les deux députés devant lui, amusés par ses caquètements, Eric Straumann (affaires économiques) et Frédéric Reiss (affaires culturelles et de l'éducation). Pour eux, l'hémicycle était alors autant une salle de colle qu'une cour de récré. "Ils auraient pu faire l'effort de s'y intéresser, suggère Chantal Guittet, ou rester chez eux."
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