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L'Assemblée nationale est-elle une grande cour de récré ?

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Les règles de conduite, à l'image de la prise de parole au micro, ne sont pas toujours respectées dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. (JOEL SAGET / AFP)

L'examen du projet de loi sur les retraites a été marqué, la semaine dernière, par les cris de poule du député Philippe Le Ray. Reportage au Palais-Bourbon.

"Dans l'hémicycle, on n'a pas le droit de se faire la bise, de poser son sac sur son pupitre, de boire ou de manger, égrène la députée Véronique Massonneau. Par contre, on peut se crier les uns sur les autres." Quitte à déraper. Mardi 8 octobre, vers 22h30, au cours de l'examen du projet de loi sur les retraites, l'élue écologiste a été la cible de caquètements émis par le député apparenté UMP Philippe Le Ray - sanctionné depuis. "Il était torché", raconte à francetv info un témoin de la scène, présent sur les bancs de la majorité. "Ils étaient cinq ou six avec lui, morts de rire ; c'était irréel." 

Assemblée : Une députée Ecolo par des imitations du caquetage d'une poule (LCP)
La chambre basse du Parlement peut se transformer en basse-cour. Ou en salle de classe, perméable aux mauvaises ondes de la "cour de récréation", comme l'a décrit le président de l'Assemblée, Claude Bartolone. Certains s'assoient sur le siège rouge qui leur a été désigné ; d'autres, profitant de l'absence de nombreux camarades, prennent place à côté d'un bon copain. Beaucoup arrivent en retard et partent pendant les débats. Comme à l'école, une cloche retentit pour sonner la reprise et on se lève quand le président arrive dans la classe.
 
Mieux qu'à l'école, où passer des petits mots à ses camarades nécessite des trésors de malice et d'ingéniosité, la pratique est institutionnalisée à l'Assemblée : il suffit d'un signe aux huissiers de séance pour que ceux-ci viennent chercher votre message et le distribuer au destinataire, à quelques bancs de là. Sans s'encombrer de ce système de missives, des députés préfèrent discuter à voix haute, parfois avec un parlementaire assis vingt sièges plus loin, sans prêter attention aux débats en cours.
 
Le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, réclame le calme sur les bancs de l'opposition, le 22 mai 2013, lors d'une séance de questions au gouvernement. (PATRICK KOVARIK / AFP)
 
"L'hémicycle est dissipé et les électeurs me le disent, déplore le député UDI Philippe Vigier, interrogé par francetv info. On constate, dans tous les rangs, des comportements qui ne sont pas dignes de l'Assemblée." Les propos sexistes en font partie et les députées ne peinent pas à en exhumer. Véronique Massonneau se souvient d'un "C'est député, ça ?" que lui a adressé Laurent Wauquiez depuis les bancs de l'UMP. La socialiste Chantal Guittet dit à francetv info n'avoir pas digéré les sifflets "d'un autre siècle" sur la robe à fleurs de la ministre du Logement, Cécile Duflot.

Chahut et imitations

Le temps fort de la semaine dans l'hémicycle est la séance de questions au gouvernement (QAG), les mardi et mercredi après-midi, à 15 heures. Ils étaient environ 500 (sur 577) à s'y rendre, mardi 15 octobre, soit bien plus que la petite cinquantaine de députés présente en séance, jeudi, pour l'examen du projet de loi sur les retraites. "Les QAG sont un rendez-vous qui peut donner une mauvaise image des élus", reconnaît auprès de francetv info le député UMP Arnaud Robinet, interrogé, jeudi, dans la salle des Quatre Colonnes, où se croisent parlementaires et journalistes.
 
Les QAG sont retransmises en direct à la télévision, offrant à chacun la possibilité de vivre un instant de gloire cathodique. "Les gens en profitent pour regarder si on est présent en séance, raconte Véronique Massonneau, assise sur une banquette des Quatre Colonnes. Certains députés vont jusqu'à se masser autour du collègue qui s'exprime, comme de petits oiseaux sur un arbre, pour entrer dans le cadre."
 
La forme l'y emporte souvent sur le fond. "C'est bloc contre bloc, à guetter la moindre faiblesse, la moindre arrogance", illustre Philippe Vigier. Ce mardi, impossible d'entendre certaines interventions au micro, tant l'opposition multiplie les apostrophes. Arnaud Robinet s'amuse à imiter Jean-Marc Ayrault appuyant ses propos par de grands gestes du bras, de haut en bas. "Il y a plus de chahut quand une femme s'exprime", ajoute Chantal Guittet. 

Les députés expriment parfois leur mécontentement en faisant claquer leurs tablettes. (FRANCETV INFO)

Les députés mesurent-ils l'image qu'ils renvoient, en tant qu'élus de la République, lorsqu'ils dérapent ? "Parfois, on peut oublier", concède Arnaud Robinet, au sujet des huit caméras fixes de l'hémicycle, qui ne manquent pas de filmer les débordements, même en pleine nuit. "Nous sommes des hommes avant tout, il est normal que l'on pète parfois les plombs", poursuit l'élu, porte-parole du groupe UMP à l'Assemblée. En s'excusant pour ses cris de poule, Philippe Le Ray n'a eu d'autre explication, samedi, dans les colonnes de Ouest France : "Nous sommes d'abord des humains."

Les écarts de conduite dans l'hémicycle sont "le triste effet de séances de nuit longues et épuisantes", avance Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS interrogé par francetv info, tout en déplorant "l'inconscience" et le "manque de respect à la fonction" de certains parlementaires. "Il y a des beaufs à l'Assemblée", affirme un conseiller ministériel à francetv info. "Certains trouvent encore illégitime qu'il y ait des femmes députées."

On lève le coude à la cafèt'

La réponse aux coups de sang se trouve aussi à la buvette des députés, une institution née en 1797. On y boit la bière la moins chère de Paris : 80 centimes ("et un euro pour mon Perrier rondelle", glisse Véronique Massonneau). Quand la séance est levée dans l'hémicyle, on s'y presse pour lever le coude. Même pour quelques petites minutes, avant que la cloche ne retentisse à nouveau. Les députés de tout bord défendent ce "lieu de convivialité".

Le Palais-Bourbon ne compte pas que des élèves turbulents, voire avinés. C'est avant tout une classe qui aime le débat et la confrontation d'idées, jusque dans les salles de réunion des commissions. Le public, invité aux séances, découvre la connaissance des dossiers des uns et le talent de repartie des autres. On s'y bat pour de simples amendements et c'est "un vrai plaisir" quand on y arrive, dixit Chantal Guittet.

La passion est palpable chez ces amoureux de la politique. Sauf quand ils n'ont pas choisi d'être là. C'était le cas de Philippe Le Ray, ce 8 octobre. Il était alors "de permanence", explique Arnaud Robinet, c'est-à-dire qu'il devait, comme certains de ses camarades, assister aux séances afin d'assurer un minimum de votants pour son camp. Ces postes de permanence sont occupés à tour de rôle, aussi bien dans la majorité que l'opposition.

Membre de la commission des affaires économiques, Philippe Le Ray assistait ainsi à l'examen du texte sur les retraites, préparé en commission des affaires sociales, qu'il ne maîtrisait pas. Idem pour les deux députés devant lui, amusés par ses caquètements, Eric Straumann (affaires économiques) et Frédéric Reiss (affaires culturelles et de l'éducation). Pour eux, l'hémicycle était alors autant une salle de colle qu'une cour de récré. "Ils auraient pu faire l'effort de s'y intéresser, suggère Chantal Guittet, ou rester chez eux."

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