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La fondation de Ségolène Royal : beaucoup de bruit pour (presque) rien ?

Ségolène Royal la présente comme son "ONG" et promeut régulièrement ses réalisations. Pourtant, l'enquête de la cellule investigation de Radio France sur la fondation Désirs d’avenir pour la planète montre qu'elle a connu pas mal de déboires.

Article rédigé par Sylvain Tronchet - Cellule investigation de Radio France
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 18min
Ségolène Royal inaugure une "maternité solaire" le 13 mai 2019 au Cameroun. (AMBASSADE DE FRANCE AU CAMEROUN)

À la fin du printemps 2017, alors qu’elle n’a plus aucune fonction officielle, Ségolène Royal décide de lancer sa fondation. Le 10 juin, l’ex-ministre réunit autour d’elle ses fidèles. Il y a là quelques anciens membres de son cabinet : l’avocat Jean-Pierre Mignard et une amie de longue date, Karien Hervé, l’épouse de Michel Hervé, créateur du groupe de BTP qui porte son nom.

>> Ses déplacements en province, la promotion de son livre, sa fondation : le mélange des genres de Ségolène Royal, ambassadrice des pôles

Les ambitions de Ségolène Royal sont élevées : "Regardez du côté des fondations de John Kerry ou de Barack Obama. Ce sont nos modèles", leur indique-t-elle. Très vite, une première liste de contributeurs potentiels est dressée : Vincent Bolloré, Michel-Edouard Leclerc, Jean-Bernard Lévy, le PDG d’EDF, ou le très libéral ancien patron d’Axa, grand promoteur de l’exploitation du gaz de schiste, Henri de Castries. Tous reçoivent une lettre sollicitant leur contribution à ce qui doit s’appeler la " Fondation pour l’efficacité et la justice climatique".

Ségolène Royal sollicite Elon Musk et le milliardaire de la finance Stephen Schwarzman


Mais Ségolène Royal vise encore plus haut. Elle veut obtenir le soutien financier du milliardaire américain Elon Musk, créateur de SpaceX et de Tesla, ainsi que du patron de Blackstone, l’un des plus gros fonds d’investissement au monde, Stephen Schwarzman. Ce proche de Donald Trump a notamment présidé un comité de grands patrons chargé de conseiller le président américain. Blackstone est aujourd’hui notamment dans le viseur des Nations unies parce qu’il déstabiliserait les marchés immobiliers de plusieurs pays européens.


Stephen Schwarzman, qui gagne entre 500 et 700 millions de dollars par an, ne fait pas partie, a priori, de la galaxie politique de Ségolène Royal. Mais elle le connaît pour l’avoir croisé discrètement à Chambord un matin de février 2017. Surprise par une équipe de France 3 qui avait eu vent de sa visite, privée, elle ne leur avait pas expliqué la vraie raison de sa présence ce jour-là. Elle venait remettre, au nom de François Hollande, la cravate de commandeur de la Légion d’honneur au milliardaire américain. Monsieur Schwarzman venait de financer personnellement, pour 3,5 millions d’euros, la reconstitution des jardins de Chambord. En échange, la République lui accordait cette décoration et l’utilisation à titre personnel des chasses présidentielles.


Ségolène Royal ayant gardé le contact de Stephen Schwarzman, elle va donc le rencontrer en marge d’un voyage à New York le 20 septembre 2017, alors qu’elle accompagne Emmanuel Macron pour sa première intervention devant l’ONU.

Ségolène Royal avec le mécène américain Steven Schwarzman, au château de Chambord, le 19 février 2017. (CAPTURE ECRAN FRANCE 3 CENTRE-VAL DE LOIRE)



Mais aucun des deux mécènes américains ne financeront la "Segolene Royal Foundation" comme il est écrit sur les documents de présentation. Dans un courrier que la cellule investigation de Radio France s’est procuré (voir ci-dessous), Elon Musk "regrette de devoir décliner (…) étant dans l’obligation de se consacrer à [ses] activités". Dans un mail qui accompagne ce courrier, un responsable de Tesla en France explique qu’il ne peut pas faire non plus de ristourne ou de mise à disposition gracieuse d’une de ses berlines de luxe, sa "politique de prix [étant] parfaitement transparente et égale pour tous nos clients sans exceptions". Quant à Stephen Schwarzman, son entourage nous a confirmé que même s’il avait financé dans le passé la Fondation Carla-Bruni-Sarkozy (au travers d’un don de trois millions d’euros pour des actions d’éducation), il n’a pas donné suite à la demande de l’ex-ministre française, préférant se concentrer sur d’autres projets.

Extrait de la lettre envoyée par Elon Musk à Ségolène Royal, en septembre 2017. (RADIO FRANCE)



"Ça me semblait trop flou"

En France également, les problèmes semblent s’accumuler. Le spationaute Thomas Pesquet, contacté pour faire partie du "conseil scientifique" de la fondation, refuse.

Un des chefs d’entreprise sollicités, qui nous a parlé sous couvert d’anonymat, raconte : "J’avais donné à son association Désirs d’avenir, il y a quelques années. Mais là, ça me semblait trop flou. On ne comprenait pas bien à quoi allait servir sa fondation et quel allait être son rôle précis auprès des autres ONG qui sont déjà sur ces sujets." De fait, dans le document de présentation envoyé aux mécènes potentiels, sa fondation se donne pour objectif de "promouvoir la connaissance et l’action et la valorisation pour des actions d’efficacité et de justice climatiques" et suit une liste d’une quinzaine de thématiques allant de la "finance verte" à la "lutte contre les pesticides" en passant par les "bonnes pratiques dans les territoires". Mais aucun projet précis n’est avancé à ce stade.


Difficile de savoir, donc, combien d’argent a réussi à récolter la fondation. D’autant plus que celle-ci n’a pas déposé ses comptes annuels comme elle y est normalement tenue. D’après nos informations, Ségolène Royal a également rencontré Jean-Emmanuel Sauvée, le patron de la compagnie Ponant, spécialisée dans les croisières de luxe en Arctique, notamment à la mi-septembre 2017 dans un établissement du 16e arrondissement de Paris où elle a ses habitudes. Contactée, la compagnie n’a pas souhaité nous dire si elle avait signé, ou non, un partenariat avec la fondation de Ségolène Royal, "afin de ne gêner personne". Ségolène Royal a en tout cas gardé de bonnes relations avec la compagnie, propriété de la famille Pinault, puisqu’elle est allée inaugurer un de leurs navires en Islande en juillet 2018.

Ségolène Royal lors de l’inauguration du Lapérouse, le 10 juillet 2019 en Islande. (COMMUNICATION PONANT)



Seule certitude : le groupe Hervé a apporté une participation financière à la fondation. Karien Hervé nous l’a confirmé au téléphone "sans pouvoir nous préciser combien", avant de raccrocher. Elle n’a pas davantage répondu à notre mail de demande de précision. Dans un "projet de lettre d’intention" daté de juillet 2017 que la cellule investigation de Radio France a pu consulter, la société financière Hervé envisageait de faire un don de 200 000 euros à Désirs d’avenir pour la planète. Ce don s’est-il concrétisé ? Le groupe Hervé met en tout cas à disposition de Ségolène Royal un grand appartement, à deux pas de la Tour Eiffel, qui sert de siège à la fondation.

Des projets encore inexistants ou effectués en réalité par d’autres fondations


Interrogée en octobre 2018 sur Radio Canada, Ségolène Royal assurait que sa fondation était engagée sur quatre projets : "les maternités solaires en Afrique", "un appel à projet cinéma et climat", "une plateforme d’ingénierie financière pour les communes" et "des actions en Méditerranée".


Quand elle parle d’"actions en Méditerranée", Ségolène Royal fait probablement référence au partenariat institutionnel qu’elle a signé avec la Fondation Albert II de Monaco. Contacté, son représentant en France confirme l’existence de ce partenariat "qui n’engage à rien", et qui selon lui, "n’a pas donné lieu à quelque chose de concret pour l’instant". Nous avons longuement cherché la "plateforme d’ingénierie financière" évoquée par Ségolène Royal, sans rien trouver. Le site de la fondation n’y fait d’ailleurs pas référence.


Les maternités solaires, elles, existent bel et bien. L’ancienne ministre en a inauguré quatre au Sénégal et trois au Cameroun. Il s’agit de panneaux solaires qui, posés sur les maternités de villages reculés, vont permettre aux femmes de ces régions d’accoucher dans des conditions de sécurité plus satisfaisantes.

Reçue par la radio camerounaise en juillet 2018, Ségolène Royal a détaillé en quoi consistait son action sur place : "Je suis quelqu’un de très concret, de très opérationnel", affirmait-elle. Elle expliquait avoir effectué des constats techniques lors de son déplacement, et annonçait : "Je connais toutes les entreprises du secteur solaire, je vais regarder quelles sont les technologies qui correspondent à la configuration technique de chaque maternité", avant de poursuivre sur son futur rôle de sélection des entreprises.


Pourtant, les installations solaires inaugurées par Ségolène Royal au Cameroun n’ont pas été réalisées par sa fondation, mais par la Fondation EDF qui nous a confirmé avoir financé la totalité de l’opération pour environ 70 000 euros, choisi les prestataires et mis des volontaires à disposition. Ségolène Royal ne cite néanmoins jamais son rôle, tout comme elle ne parle quasiment jamais de la Fondation Géocoton qui a réalisé les projets qu’elle est allée inaugurer au Sénégal et pris en charge leur coût pour environ 30 000 euros. Interrogé sur le rôle effectif de Ségolène Royal, un partenaire d’une opération nous a lâché dans un demi-sourire : "Vous savez comment ça se passe non ? Nous on réalise, et Ségolène Royal, elle inaugure !" Comme le dit un autre acteur de ces projets : "Le grand mérite de Ségolène Royal, c’est de médiatiser ces sujets."

Un festival de cinéma qui tourne à la "catastrophe"


Le dernier projet mis en avant par Ségolène Royal est un appel à projet dont de très nombreux médias se sont fait l’écho à l’été 2018. Sous le titre "Ségolène Royal se lance dans le cinéma", le quotidien Le Parisien annonçait que l’ancienne ministre allait faire jouer son carnet d’adresse hollywoodien pour promouvoir des petites vidéos consacrées à la lutte contre le changement climatique.

"Ségolène Royal se lance dans le cinéma". (CAPTURE ECRAN D'UN ARTICLE DU PARISIEN DU 5 JUILLET 2018)



La présidente de Désirs d’avenir pour la planète promettait un casting de rêve : Leonardo DiCaprio, Sean Penn, Marion Cotillard allaient venir composer le jury qui désignerait le court métrage vainqueur. Une campagne de financement participatif permettrait ensuite au réalisateur de mener à bien un projet plus ambitieux. Si ce projet a été très largement relayé par la presse (ici, ici ou ) aucun de ces médias n’a par la suite parlé de "festival".


► VIDEO : le court métrage vainqueur du concours de vidéos de la fondation de Ségolène Royal :


 


Et pour cause. L’initiative a tourné au fiasco, nous a raconté l’un des partenaires, qui a souhaité garder l’anonymat : "On trouvait ça un peu flou au départ, mais on s’est dit que c’était une belle cause et que ça valait un coup de pouce. Mais ça a été une catastrophe. La sélection a été faite par on-ne-sait-qui, n’importe comment. Il y avait même un film publicitaire pour la Corse au milieu de la sélection !". À l’arrivée, ni Leonardo DiCaprio ni Marion Cotillard ne semblent être venus, et c’est un film réalisé par des élèves d’une classe de CM1/CM2 de l’Ardèche qui a été choisi. Contacté, l’instituteur qui encadrait les enfants nous a expliqué qu’il n’avait même pas été informé que son film était en "compétition". Quant à la campagne de levée de fonds auprès du public, elle a permis de récolter 50 euros.

Une fondation qui relaie beaucoup les messages de sa fondatrice


Nous avons contacté à plusieurs reprises Ségolène Royal afin de savoir quel bilan elle tirait de l’action de sa fondation. Elle n'a pas répondu aux questions précises que nous lui avons envoyées. Cette "ONG", comme elle la nomme régulièrement dans les médias, est pourtant singulière. L’activité de son site internet et de ses comptes sur les réseaux sociaux consiste essentiellement à relayer les interventions médias, prises de position et autres coups de gueule de sa fondatrice (voir photo ci-dessous).

Page principale du site de la fondation de Ségolène Royal Désirs d’avenir pour la planète. (CAPTURE ECRAN)



Comme Désirs d’avenir, son ancien mouvement, Désirs d’avenir pour la planète a manifestement aussi pour vocation d’être un relais d’opinion pour une femme politique qui a souvent évolué à l’écart des partis et n’est plus adhérente d’aucun d’entre eux. Sans avoir abandonné l’idée d’être un jour de nouveau candidate à l’élection présidentielle. L’ancienne association de Ségolène Royal qui avait été la rampe de lancement de sa candidature présidentielle en 2007 existe d’ailleurs toujours, du moins officiellement. Niché au fond d’une cour intérieure du 3e arrondissement de Paris, le siège officiel de l’association semble ne pas accueillir souvent des militants. En revanche, c’est en transférant 15 000 euros de son ancien mouvement vers sa nouvelle fondation que Ségolène Royal a pu s’acquitter du versement initial obligatoire pour créer ce type de structure.

Le siège de Désirs d’avenir, dans le 3e arrondissement de Paris. (SYLVAIN TRONCHET/RADIO FRANCE)



Peut-on faire de la politique en étant financé par des entreprises ?


Mais est-il possible d’avoir une activité politique au travers d’une fondation financée par des entreprises, quand la loi interdit tout financement des partis par une personne morale ? "En fait la loi s’intéresse aux périodes électorales, explique Romain Rambaud, professeur de Droit public à l’université de Grenoble et spécialiste du droit électoral (auteur d’un ouvrage de référence sur le sujet). On peut en dehors de ces périodes avoir une activité politique au sens humain en dehors du statut de parti politique. Cela présente l’avantage de ne pas être contrôlé par la Commission des comptes de campagne ou d’avoir, par exemple, accès au financement par des personnes morales. Mais il est vrai que cela peut poser question dans certains cas très précis."


Cette question s’était déjà posée quand, après la campagne de 2007, Ségolène Royal avait transformé son parti politique Désirs d’avenir en association, ce qui permettait à son mécène d’alors, Pierre Bergé, de régler la facture du loyer du siège du boulevard Raspail avant qu’il ne se lasse.


Aujourd’hui, la question se pose à nouveau. Ségolène Royal est hébergée par le groupe Hervé. Cette entreprise de BTP est notamment spécialisée dans l’isolation et la performance énergétique. Quand Ségolène Royal proteste contre la décision du gouvernement de réduire le crédit d’impôt transition énergétique (CITE), elle se bat effectivement pour une mesure qu’elle avait soutenu, alors qu’elle était ministre. Mais elle milite également pour le retour d’une disposition favorable de fait à une entreprise qui finance sa fondation.

Nous avons contacté Ségolène Royal trois semaines avant la publication de cet article et lui avons proposé à plusieurs reprises de la rencontrer. N’ayant aucune réponse de sa part, nous lui avons envoyé une liste de questions précises, factuelles et détaillées. Elle nous a répondu en nous envoyant ce message : "Je ne vois pas de quoi vous parlez. Vos insinuations sont diffamatoires."

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