Nouvelle direction, affaire Quatennens, élections européennes… Pourquoi La France insoumise traverse une zone de turbulences
Ce devait être le point de départ d'une nouvelle manière de fonctionner pour une formation politique qui se veut le moteur de la gauche. Pourtant, l'assemblée représentative de La France insoumise (LFI), samedi 10 décembre, a surtout montré les divisions qui agitent le mouvement. Deux jours auparavant, Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône, avait annoncé qu'il allait "probablement assumer" la direction opérationnelle de LFI, déclenchant la colère et l'incompréhension de plusieurs cadres évincés des premières loges.
Parmi eux figurent Clémentine Autain et François Ruffin. Leurs ambitions personnelles, de plus en plus assumées, énervent une partie des fidèles de Jean-Luc Mélenchon, toujours actif au cœur de LFI. Avant l'épreuve majeure de la réforme des retraites, où les "insoumis" entendent se présenter comme les leaders de l'opposition au gouvernement, franceinfo passe en revue les difficultés que rencontre le mouvement.
Sa réorganisation interne est vivement critiquée
C'est la dernière secousse en date au sein de La France insoumise. De fortes critiques ont été émises en interne depuis jeudi, après l'annonce par Manuel Bompard à l'AFP de sa reprise probable de la direction opérationnelle du mouvement. A l'occasion de l'assemblée représentative de LFI, samedi, une nouvelle coordination de 21 cadres a été mise en place. Parmi les absents les plus notables figurent les députés Clémentine Autain, Eric Coquerel, Alexis Corbière, François Ruffin et Raquel Garrido. "C’est presque une purge", s'est insurgée auprès du Monde (article pour les abonnés) Leïla Chaibi, qui mène la délégation "insoumise" au Parlement européen.
"Le repli et le verrouillage ont été assumés de façon brutale", a dénoncé Clémentine Autain dans un entretien à Libération (article pour les abonnés), lundi, soulignant une "marginalisation de ceux qui ont une parole différente du noyau dirigeant actuel" et le risque d'"un bloc monolithique". Sur LCI, dimanche, François Ruffin s'est dit "triste que, plutôt qu'un élargissement, on ait un rétrécissement". En l'état, c'est un "consensus d'un petit groupe qui peut-être s'est mis d'accord avec lui-même", a-t-il regretté. "Qu'ils ne pensent pas une seconde qu'on se laissera faire", a même prévenu Raquel Garrido auprès de l'AFP.
Face à eux, la nouvelle direction défend ce mode de désignation, à rebours des congrès des autres partis de la Nupes. "Est-ce qu'ils auraient formulé ces critiques s'ils avaient été dans la coordination ?" , interroge Antoine Léaument, député de l'Essonne.
"Le mouvement n'est pas nécessairement un espace dans lequel s'exerce une forme de démocratie au sens du vote."
Antoine Léaument, député de l'Essonneà franceinfo
"Que certaines personnes qui souhaitaient être membres de cette direction opérationnelle ne le soient pas, c'est un problème de riches", a dénoncé Manuel Bompard sur France Inter, lundi matin. "Pour se distinguer, autant briller dans l'action et la prise de parole sans se sentir obligé de dénigrer les autres ou de rendre la vie commune impossible par des confidences de presse", a critiqué Jean-Luc Mélenchon sur son blog. "Toute la une pour nous salir", a-t-il également lancé sur Facebook, en commentaire de la une de Libération où apparaît Clémentine Autain.
Les stratégies personnelles de François Ruffin et Clémentine Autain agacent
Peut-on parler d'"insoumis" au sein de La France insoumise ? Clémentine Autain et François Ruffin, respectivement à la tête des micromouvements "Ensemble !" et "Picardie debout", ne sont pas proches. Mais ils cultivent la même indépendance à l'égard de Jean-Luc Mélenchon et de La France insoumise.
Leur volonté de faire entendre leur voix critique dans les médias agace en interne. "Ces méthodes, dans un groupe à 75, passent mal", pointe Antoine Léaument. Jean-Luc Mélenchon a fustigé dimanche sur son blog "une mêlée confuse d’ambitions présidentielles", une référence à peine masquée aux deux députés très médiatiques. "Ils ont clairement des ambitions présidentielles", appuie sans ambages Antoine Léaument. "Quand la question se posera, si je pense que je dois prendre mes responsabilités, ne vous inquiétez pas, je vous le dirai", a répondu Clémentine Autain à Libération, à propos de la prochaine élection présidentielle. Sans confirmer, ni démentir ses ambitions.
L'affaire Adrien Quatennens embarrasse toujours le mouvement
Ces débats étalés sur la place publique interviennent alors que l'avenir judiciaire d'Adrien Quatennens se joue mardi. Le député du Nord comparaît à Lille dans une procédure de "plaider-coupable", trois mois après les révélations sur la main courante déposée par Céline Quatennens contre son mari pour des violences conjugales. L'arrêt de travail du parlementaire s'est terminé en novembre, mais il n'est toujours pas revenu à l'Assemblée nationale. "Je pense qu'il doit revenir à l'Assemblée nationale. Je souhaite que le lynchage cesse", expliquait Jean-Luc Mélenchon, début octobre.
De nouvelles accusations ont été portées par Céline Quatennens, en novembre, et le sujet complique toujours la vie du groupe LFI à l'Assemblée nationale. "La question de son retour ne semble pas faire débat, mais il faut voir sous quelle forme cela se fait", explique Antoine Léaument à franceinfo. "Dans notre groupe (...) personne ne considère que toute hypothèse de retour est impossible", a assuré Manuel Bompard, sur France Inter, lundi matin.
Là encore, une voix se fait singulière, celle de Clémentine Autain. "Une fois que nous serons éclairés par la décision de justice, nous prendrons à nouveau une décision politique sur sa place à nos côtés, a déclaré la députée de Seine-Saint-Denis dans Libération. Je dis 'éclairés', car nous ne nous en remettons pas totalement à la justice. Dans ce genre d’affaires, c'est souvent parole contre parole, et il peut être très difficile d’établir une vérité."
La volonté d'une liste unique aux européennes est contrariée
Pour La France insoumise, l'élection de Marine Tondelier à la tête d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV) n'est pas une excellente nouvelle. D'une part, elle affiche un soutien modéré à la Nupes, la coalition de gauche formée avant les élections législatives. D'autre part, la conseillère municipale d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) s'est d'ores et déjà prononcée contre une liste unique de la gauche aux élections européennes de 2024. "Nous présenterons une liste écologiste" lors de ce scrutin, a-t-elle assuré, samedi, consciente que les écologistes ont largement devancé leurs partenaires de gauche au dernier scrutin, en 2019.
Cette liste unique représente pourtant aux yeux des cadres de LFI un moyen de renforcer la Nupes. "On peut encore espérer convaincre, a défendu Manuel Bompard, lundi matin. La Nupes doit se poursuivre, s'approfondir, et pour cela, elle doit se présenter ensemble aux prochaines élections." "Les écologistes auront la pression avec les sondages, pronostiquait fin novembre une députée LFI, quand la volonté d'EELV de faire cavalier seul était déjà connue. La victoire, ce serait d'avoir un accord-package : aux écologistes les européennes de 2024, aux socialistes les municipales de 2026 et aux 'insoumis' la présidentielle de 2027." Une feuille de route ambitieuse, mais loin d'être évidente, surtout pour un mouvement politique au sein duquel les tensions se multiplient.
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