La gauche peut-elle vraiment "mourir", comme le dit Manuel Valls?
Alors que la majorité doit valider dans les semaines qui viennent l'orientation sociale-libérale de l'exécutif, le chef du gouvernement adopte un ton alarmiste.
"La gauche peut mourir", lance Manuel Valls, samedi, devant le conseil national du PS. "Oui, la gauche, elle peut mourir", persiste-t-il lundi 16 juin sur France Info. Avant des semaines cruciales pour la majorité, invitée à valider l'orientation sociale-libérale du gouvernement, le Premier ministre dramatise l'enjeu. Coup de communication ou véritable péril ?
A regarder les derniers résultats électoraux, difficile de donner tort au chef du gouvernement. La claque des municipales avait poussé François Hollande à changer de Premier ministre. Celle des européennes a agi comme un révélateur. En atteignant péniblement 34%, la gauche – tous partis confondus – retrouve son niveau des législatives de 1993, date de sa pire déculottée électorale sous la Ve République.
Pour la gauche et le PS, tous les voyants sont au rouge. Les défaites électorales se succèdent, l'impopularité du président bat chaque mois des records, le PS a perdu 25 000 adhérents en deux ans... Pour Manuel Valls, la gauche court droit dans le précipice à mesure que la courbe du chômage continue de grimper. Et voit dans le choix d'une politique de l'offre la seule voie possible. "Avec le président de la République, nous considérons que c'est le cap qu'il faut maintenir. Je n'ai qu'une certitude : prendre un autre chemin nous conduirait à l'échec", martèle-t-il. Autrement dit, pour sauver la gauche, il faut sauver la France.
Une gauche "marginalisée pour longtemps" ?
Trois ans avant l'échéance de 2017, les sondages commencent à prédire l'élimination de la gauche au premier tour de la présidentielle, au profit de l'UMP et du Front national. Un remake du 21 avril 2002 signifierait-t-il pour autant la mort de la gauche ? "Si mourir signifie qu'il n'y aura plus de partis de gauche, plus d'idées de gauche, alors non, la gauche ne va pas mourir. Mais elle est extrêmement malade et risque d'être marginalisée ou mise en minorité pour longtemps", décrypte Gérard Grunberg, chercheur spécialiste du PS, interrogé par francetv info.
Devant les orientations prises par le gouvernement, la gauche est totalement divisée. La contestation, au sein même du PS, fait tache d'huile. Début avril, 11 députés socialistes avaient refusé de voter la confiance à Manuel Valls. Un mois plus tard, ils étaient 41 à s'abstenir sur le pacte de responsabilité. Ces derniers jours, une petite centaine de parlementaires ont signé un "Appel des 100 pour plus d'emplois et de justice sociale". Certains prédisent que le projet de loi de finances rectificative, qui sera examiné prochainement à l'Assemblée, ne trouvera pas de majorité.
Chaque jour, les sujets de discorde s'empilent. Rares sont devenues les décisions de l'exécutif qui ne provoquent pas un débat, voire une polémique. Les levées de boucliers contre la nomination de Jacques Toubon, homme de droite, au poste de Défenseur des droits, ou contre celle de Laurence Boone, chef économiste dans une banque, comme conseillère économique à l'Elysée, illustrent une nouvelle fois le divorce entre deux pans de la majorité. "Il y a toujours un défaut, un risque, pour une partie de la gauche : c'est le sectarisme", a commenté Manuel Valls, interrogé sur le dossier Toubon.
La fin "d'un cycle historique" pour le PS
Une gauche sectaire et archaïque face à une gauche réformiste et moderne, tel est le tableau que dresse Manuel Valls. Tandis que pour ses contradicteurs, c'est au contraire la ligne politique du Premier ministre – trop à droite – qui est responsable de la dilution de la gauche et de ses valeurs.
"Il y a bien deux gauches, confirme Gérard Grunberg. L'une qui est prête à prendre en compte les contraintes de la mondialisation et à accepter des compromis, l'autre qui refuse les compromis et pense pouvoir imposer une autre politique. Le problème, c'est que la coupure ne se situe pas entre le PS et les autres partis de gauche, mais au sein même du PS."
La situation actuelle du Parti socialiste renvoie à un vieux débat : celui de son aggiornamento, souvent évoqué, mais jamais réalisé. "Le PS paie aujourd'hui une insuffisante adaptation de ses idées aux réalités", analyse le chercheur. Manuel Valls semble pourtant bien décidé à s'y attaquer. "Nous sentons bien que nous sommes arrivés au bout de quelque chose, au bout peut-être même d'un cycle historique pour notre parti", lâche-t-il.
Enfin une mutation idéologique ?
Lui faisant écho, le premier secrétaire du parti, Jean-Christophe Cambadélis, reconnaît que le PS "n'est plus un parti de propositions et de positions" et n'a plus "la force propulsive du parti d'Epinay de 1971". Il appelle de ses vœux un "nouveau parti socialiste", ayant une nouvelle "carte d'identité". Interrogé sur France Inter dimanche soir, il précise ce à quoi ressemblerait la "gauche rêvée" : elle "aurait le sens du compromis social-démocrate allemand, l'inventivité à l'italienne telle que nous la connaissons aujourd'hui et la combativité grecque ou espagnole. Je vais le faire !"
Chiche ? "C'est sans doute trop tard. On fait difficilement un aggiornamento lorsque l'on exerce le pouvoir et que l'on est accaparé par le combat contre la crise", estime Gérard Grunberg. En onze ans passés à la tête du PS (1997-2008), dont six dans l'opposition, François Hollande n'a pas su imposer la mutation idéologique. Un échec à retardement qu'il paie aujourd'hui au prix fort en ne parvenant pas à faire accepter ses orientations par son propre camp.
Mais au fond, le PS a-t-il vraiment besoin de faire sa mue pour échapper à la mort qui lui est promise ? En 2012, l'opinion a dit "stop" à Sarkozy plutôt que "changeons la gauche", estime Denis Pingaud, spécialiste de la communication politique, qui voit dans le discours de Manuel Valls une "stratégie de communication électorale habile dans la perspective de 2017". Or "il n’est pas certain que [les Français] créditent les actuels gouvernants d’une lucidité particulière sur l’état moribond de la gauche ou la nécessité impérieuse de réformes", écrit-il sur son blog. Ce qu’ils souhaitent, c’est qu’on les entende, qu’on les aide et, surtout, qu’on les entraîne, avec des mots simples et des gestes signifiants, à croire de nouveau en leur avenir." La gauche n'est peut-être pas morte, mais elle n'a pas fini d'en débattre.
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