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"Je n'ai rien remarqué d'exceptionnel dans mon assiette" : des invités de François de Rugy racontent les dîners à l'hôtel de Lassay

Entre 2017 et 2018, l'ancien prĂ©sident de l'AssemblĂ©e nationale a organisĂ© avec son Ă©pouse une dizaine de dĂ®ners dont le faste est aujourd'hui pointĂ© du doigt. 

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une vue générale de l'hôtel de Lassay, la résidence du président de l'Assemblée nationale, à Paris, le 19 mars 2018. (LUDOVIC MARIN / AFP)

"Aux tables de la République, il y a toujours eu de très bons cuistots et on a toujours bien mangé", souffle un journaliste qui ne comprend pas la polémique. Les dîners informels organisés entre 2017 et 2018 par François de Rugy alors qu'il était président de l'Assemblée nationale à l'hôtel de Lassay suscitent pourtant beaucoup de réactions depuis les révélations de Mediapart, mercredi 10 juillet.

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Le site d'investigation décrit des agapes luxueuses organisées par l'actuel ministre de la Transition écologique et solidaire, au profit, notamment, du cercle "amical" de son épouse Séverine de Rugy. Au travers de témoignages de certains convives – pour la plupart anonymes –, franceinfo a pu reconstituer le déroulé de ces réceptions.

Champagne et jus de tomate

Avocats, journalistes, personnes du monde de la culture, de l'édition, entrepreneurs, chercheurs... la liste d'invités composée par le couple Rugy varie d'un dîner à l'autre. Mais le cérémonial est à peu près toujours le même. Après réception du carton d'invitation, les invités, entre 10 et 20 en fonction des soirs, se présentent entre 20 heures et 20h30 à l'hôtel de Lassay, la résidence du président de l'Assemblée qui jouxte le Palais-Bourbon.

"J'avais donné le numéro de ma plaque d'immatriculation pour pouvoir garer ma voiture dans la cour. Puis, j'ai laissé ma carte d'identité à l'entrée pour pouvoir rentrer", se souvient un journaliste du service public. Les hôtes du couple Rugy passent le perron et pénètrent dans la zone de réception. "Tu arrives dans un salon où on te propose l'apéro et puis sur la gauche, tu as une salle à manger où la table est dressée avec un ou deux bouquets de fleurs", poursuit ce journaliste.

Les invités gagnent alors le droit de se désaltérer. "On te propose du champagne à l'apéro, mais aussi du jus de tomate", précise un autre journaliste. "Je me souviens avoir bu du champagne Drappier, mais je n'ai pas le souvenir de grands crus", ajoute un troisième. Le temps de l'apéritif permet à certains d'obtenir un entretien privilégié avec le détenteur du perchoir. "J'ai même pu m'isoler avec lui pendant quinze minutes pour lui poser des questions sur la réforme de l'Etat", se félicite un journaliste. "J'ai obtenu un aparté de 20-30 minutes avec François de Rugy pour lui parler d'un sujet qui me tenait à cœur", renchérit un autre, qui ne cache pas entretenir par ailleurs des liens avec Séverine de Rugy, journaliste à Gala : "C'est une copine de boulot." 

"Rien d'exceptionnel dans mon assiette"

Les médias viennent d'abord glaner des informations. "Cela permet d'avoir un certain nombre d'infos et de mieux connaître le personnage", explique un journaliste politique. De leur côté, les entrepreneurs, les militants associatifs et autres acteurs du monde culturel avouent se livrer à une sorte de lobbying. "C'est une opportunité pour parler avec des personnes influentes. Dans mes combats, j'ai besoin de visibilité, je passe mon temps à faire du lobbying, explique Yael Mellul, ancienne avocate et militante féministe. Ce soir-là, ça m'a permis de parler à François de Rugy de la notion de 'suicide forcé'."

Les invités passent alors à table. Loin des crustacés et du château d'Yquem présents sur les photos diffusées par Mediapart, le contenu de l'assiette ne marque aucun des hôtes interrogés par franceinfo. "Ce soir-là, il n'y avait pas de grand vin ou de homard", assure une journaliste. "Il m'est arrivé de dîner dans un restaurant deux étoiles et, sans faire insulte aux cuisines de l'Assemblée, c'est autre chose !", complète un autre. "Je n'ai rien remarqué d'exceptionnel dans mon assiette ou dans les bouteilles. Cela dit, je n'ai pas fait particulièrement attention", résume le sociologue Jean-François Amadieu, invité lors d'un dîner sur le thème "Universités et recherches". 

Pour moi, c'était une cuisine élégante, mais pas somptueuse.

Jean-François Amadieu

Ă  franceinfo

"Evidemment, c'est un lieu qui est majestueux, splendide. C'est très beau, mais je serais bien incapable de dire ce que j'ai mangé ou bu", assure pour sa part Yael Mellul. "J'ai souvent mangé dans les ministères et je n'ai jamais vu une table où il n'y a pas de bon vin et un bon repas", ajoute un journaliste habitué des déjeuners et des dîners avec les politiques. Plusieurs assurent que François de Rugy ne s'est pas démarqué par un faste particulier. "C'est à l'image de ce que pouvait faire Emmanuel Macron au ministère de l'Economie", ajoute ce même journaliste. "Rien n'était différent des dîners que j'ai connus sous la présidence de Bernard Accoyer. Le même standing, le même protocole", assure également dans Le Point la communicante Delphine Guerlain.

"Dîner d'ambiance"

Entrée, plat, dessert. Les serveurs enchaînent le service des mets tandis que la discussion s'anime entre les convives. "Cela prend une forme assez habituelle : il y a un tour de table et chacun présente ses activités, ses publications", raconte Jean-François Amadieu. "On ne parle pas de nos vacances, mais de sujets politiques, sociétaux ou culturels", ajoute un journaliste. "Je me souviens d'une discussion assez animée à table sur l'immigration. On a un peu parlé d'écologie aussi, se souvient un autre. On ne se met pas autour de la table avec nos calepins, ce sont des discussions plus ou moins informelles autour d'un repas."

Ce n'est ni un déjeuner de travail, ni un dîner mondain. On peut parler de dîner d'ambiance.

Un journaliste

Ă  franceinfo

Plusieurs invités avouent que le dîner se déroule dans une ambiance plus détendue qu'un déjeuner de travail, sans doute aidée par la présence des bouteilles de vin. Mais tous assurent que cela reste professionnel. "Il n'y avait pas des boules à facettes et on n'a pas dansé jusqu'à 2 heures du mat", assure un journaliste. "Personne n'est venu avec son compagnon ou son conjoint. Ce n'était pas un rassemblement d'amis comme on peut le lire", ajoute Jean-François Amadieu.

"Je ne l'imagine pas faire de grandes fiestas"

"Le sous-entendu de l'affaire, c'est qu'on a un couple dont la femme se comportait en Marie-Antoinette en invitant ses amis aux frais de la République, ce n'est pas ce que j'ai ressenti", complète un autre journaliste. Tous précisent en revanche n'avoir participé qu'à un ou deux dîners à l'hôtel de Lassay. "Je ne sais pas ce qu'ils ont fait lors des autres dîners. Peut-être que, parfois, c'était un lâchage total", souligne un convive. Mais plusieurs restent perplexes face au contenu de l'article de Mediapart en raison de la personnalité de l'actuel ministre de l'Ecologie. "Le bonhomme n'est pas un drôle", lâche un journaliste.

C'est plutĂ´t un rabat-joie, Rugy, je ne l'imagine pas faire de grandes fiestas.

Une journaliste

Ă  franceinfo

Après les derniers coups de fourchette, les invités repassent au salon et se voient proposer un café avant de prendre congé. "A 23 heures, j'étais parti. François de Rugy se lève tôt le matin, donc ce n'est pas une soirée où ça s'éternise. Tu ne prends pas racine et tu sens que tu dois partir", raconte un journaliste. S'il ne regrette pas d'avoir accepté l'invitation, un autre reporter estime que toute cette affaire pourrait servir à mieux encadrer la pratique des dîners : "Par exemple, on pourrait encadrer les prix des repas : 150 euros pour un ambassadeur, 500 pour un chef d'Etat, 50 pour un journaliste... Moi, je m'en fous de manger pour 20 euros. J'y vais pour voir le ministre, pas pour l'assiette." 

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