"Je n'ai rien remarqué d'exceptionnel dans mon assiette" : des invités de François de Rugy racontent les dîners à l'hôtel de Lassay
Entre 2017 et 2018, l'ancien président de l'Assemblée nationale a organisé avec son épouse une dizaine de dîners dont le faste est aujourd'hui pointé du doigt.
"Aux tables de la République, il y a toujours eu de très bons cuistots et on a toujours bien mangé", souffle un journaliste qui ne comprend pas la polémique. Les dîners informels organisés entre 2017 et 2018 par François de Rugy alors qu'il était président de l'Assemblée nationale à l'hôtel de Lassay suscitent pourtant beaucoup de réactions depuis les révélations de Mediapart, mercredi 10 juillet.
Le site d'investigation décrit des agapes luxueuses organisées par l'actuel ministre de la Transition écologique et solidaire, au profit, notamment, du cercle "amical" de son épouse Séverine de Rugy. Au travers de témoignages de certains convives – pour la plupart anonymes –, franceinfo a pu reconstituer le déroulé de ces réceptions.
Champagne et jus de tomate
Avocats, journalistes, personnes du monde de la culture, de l'édition, entrepreneurs, chercheurs... la liste d'invités composée par le couple Rugy varie d'un dîner à l'autre. Mais le cérémonial est à peu près toujours le même. Après réception du carton d'invitation, les invités, entre 10 et 20 en fonction des soirs, se présentent entre 20 heures et 20h30 à l'hôtel de Lassay, la résidence du président de l'Assemblée qui jouxte le Palais-Bourbon.
"J'avais donné le numéro de ma plaque d'immatriculation pour pouvoir garer ma voiture dans la cour. Puis, j'ai laissé ma carte d'identité à l'entrée pour pouvoir rentrer", se souvient un journaliste du service public. Les hôtes du couple Rugy passent le perron et pénètrent dans la zone de réception. "Tu arrives dans un salon où on te propose l'apéro et puis sur la gauche, tu as une salle à manger où la table est dressée avec un ou deux bouquets de fleurs", poursuit ce journaliste.
Les invitĂ©s gagnent alors le droit de se dĂ©saltĂ©rer. "On te propose du champagne Ă l'apĂ©ro, mais aussi du jus de tomate", prĂ©cise un autre journaliste. "Je me souviens avoir bu du champagne Drappier, mais je n'ai pas le souvenir de grands crus", ajoute un troisième. Le temps de l'apĂ©ritif permet Ă certains d'obtenir un entretien privilĂ©giĂ© avec le dĂ©tenteur du perchoir. "J'ai mĂŞme pu m'isoler avec lui pendant quinze minutes pour lui poser des questions sur la rĂ©forme de l'Etat", se fĂ©licite un journaliste. "J'ai obtenu un apartĂ© de 20-30 minutes avec François de Rugy pour lui parler d'un sujet qui me tenait Ă cĹ“ur", renchĂ©rit un autre, qui ne cache pas entretenir par ailleurs des liens avec SĂ©verine de Rugy, journaliste Ă Gala : "C'est une copine de boulot."Â
"Rien d'exceptionnel dans mon assiette"
Les médias viennent d'abord glaner des informations. "Cela permet d'avoir un certain nombre d'infos et de mieux connaître le personnage", explique un journaliste politique. De leur côté, les entrepreneurs, les militants associatifs et autres acteurs du monde culturel avouent se livrer à une sorte de lobbying. "C'est une opportunité pour parler avec des personnes influentes. Dans mes combats, j'ai besoin de visibilité, je passe mon temps à faire du lobbying, explique Yael Mellul, ancienne avocate et militante féministe. Ce soir-là , ça m'a permis de parler à François de Rugy de la notion de 'suicide forcé'."
J’ai été conviée à dîner à l’Hotel de Lassay pour venir parler de mon combat contre les violences faites aux femmes, le même soir que JM Apathie. J’ai été extrêmement sensible de l’attention que François #DeRugy portait à mon discours sur les féminicides.
— Yael Mellul (@YaelMellul) July 10, 2019
Les invitĂ©s passent alors Ă table. Loin des crustacĂ©s et du château d'Yquem prĂ©sents sur les photos diffusĂ©es par Mediapart, le contenu de l'assiette ne marque aucun des hĂ´tes interrogĂ©s par franceinfo. "Ce soir-lĂ , il n'y avait pas de grand vin ou de homard", assure une journaliste. "Il m'est arrivĂ© de dĂ®ner dans un restaurant deux Ă©toiles et, sans faire insulte aux cuisines de l'AssemblĂ©e, c'est autre chose !", complète un autre. "Je n'ai rien remarquĂ© d'exceptionnel dans mon assiette ou dans les bouteilles. Cela dit, je n'ai pas fait particulièrement attention", rĂ©sume le sociologue Jean-François Amadieu, invitĂ© lors d'un dĂ®ner sur le thème "UniversitĂ©s et recherches".Â
Pour moi, c'était une cuisine élégante, mais pas somptueuse.
Jean-François Amadieuà franceinfo
"Evidemment, c'est un lieu qui est majestueux, splendide. C'est très beau, mais je serais bien incapable de dire ce que j'ai mangé ou bu", assure pour sa part Yael Mellul. "J'ai souvent mangé dans les ministères et je n'ai jamais vu une table où il n'y a pas de bon vin et un bon repas", ajoute un journaliste habitué des déjeuners et des dîners avec les politiques. Plusieurs assurent que François de Rugy ne s'est pas démarqué par un faste particulier. "C'est à l'image de ce que pouvait faire Emmanuel Macron au ministère de l'Economie", ajoute ce même journaliste. "Rien n'était différent des dîners que j'ai connus sous la présidence de Bernard Accoyer. Le même standing, le même protocole", assure également dans Le Point la communicante Delphine Guerlain.
"Dîner d'ambiance"
Entrée, plat, dessert. Les serveurs enchaînent le service des mets tandis que la discussion s'anime entre les convives. "Cela prend une forme assez habituelle : il y a un tour de table et chacun présente ses activités, ses publications", raconte Jean-François Amadieu. "On ne parle pas de nos vacances, mais de sujets politiques, sociétaux ou culturels", ajoute un journaliste. "Je me souviens d'une discussion assez animée à table sur l'immigration. On a un peu parlé d'écologie aussi, se souvient un autre. On ne se met pas autour de la table avec nos calepins, ce sont des discussions plus ou moins informelles autour d'un repas."
Ce n'est ni un déjeuner de travail, ni un dîner mondain. On peut parler de dîner d'ambiance.
Un journalisteĂ franceinfo
Plusieurs invités avouent que le dîner se déroule dans une ambiance plus détendue qu'un déjeuner de travail, sans doute aidée par la présence des bouteilles de vin. Mais tous assurent que cela reste professionnel. "Il n'y avait pas des boules à facettes et on n'a pas dansé jusqu'à 2 heures du mat", assure un journaliste. "Personne n'est venu avec son compagnon ou son conjoint. Ce n'était pas un rassemblement d'amis comme on peut le lire", ajoute Jean-François Amadieu.
"Je ne l'imagine pas faire de grandes fiestas"
"Le sous-entendu de l'affaire, c'est qu'on a un couple dont la femme se comportait en Marie-Antoinette en invitant ses amis aux frais de la République, ce n'est pas ce que j'ai ressenti", complète un autre journaliste. Tous précisent en revanche n'avoir participé qu'à un ou deux dîners à l'hôtel de Lassay. "Je ne sais pas ce qu'ils ont fait lors des autres dîners. Peut-être que, parfois, c'était un lâchage total", souligne un convive. Mais plusieurs restent perplexes face au contenu de l'article de Mediapart en raison de la personnalité de l'actuel ministre de l'Ecologie. "Le bonhomme n'est pas un drôle", lâche un journaliste.
C'est plutĂ´t un rabat-joie, Rugy, je ne l'imagine pas faire de grandes fiestas.
Une journalisteĂ franceinfo
Après les derniers coups de fourchette, les invitĂ©s repassent au salon et se voient proposer un cafĂ© avant de prendre congĂ©. "A 23 heures, j'Ă©tais parti. François de Rugy se lève tĂ´t le matin, donc ce n'est pas une soirĂ©e oĂą ça s'Ă©ternise. Tu ne prends pas racine et tu sens que tu dois partir", raconte un journaliste. S'il ne regrette pas d'avoir acceptĂ© l'invitation, un autre reporter estime que toute cette affaire pourrait servir Ă mieux encadrer la pratique des dĂ®ners : "Par exemple, on pourrait encadrer les prix des repas : 150 euros pour un ambassadeur, 500 pour un chef d'Etat, 50 pour un journaliste... Moi, je m'en fous de manger pour 20 euros. J'y vais pour voir le ministre, pas pour l'assiette."Â
Commentaires
Connectez-vous Ă votre compte franceinfo pour participer Ă la conversation.