RECIT FRANCEINFO. "Mister Nobody" en route pour l'Elysée : comment François Fillon est revenu de nulle part
C’est l’histoire d’un homme que personne ne prenait au sérieux. Un candidat raillé pour sa poisse, brocardé pour son manque d’enthousiasme, moqué pour ses mauvais sondages et qui a continué de croire en sa bonne étoile jour après jour, meeting après meeting. François Fillon n’a rien lâché, et s’est systématiquement relevé des défaites, des trahisons, des désillusions.
L’abnégation du député de Paris a fini par payer et les électeurs en ont fait le vainqueur de la primaire de la droite, dimanche 27 novembre. Une victoire dessinée dès le premier tour avec l'obtention de 44,1% des suffrages. Un score qui a surpris tout le monde, y compris dans son propre camp. "C’est incroyable", confirme son fidèle soutien Bernard Debré, au lendemain du premier tour. Il faut dire que François Fillon revient de loin.
Au fil des mois, l’ancien Premier ministre a su laisser de côté les sobriquets de ses adversaires – les "Mister Nobody", "Droopy" et autres "courage Fillon". Il a ignoré les oiseaux de mauvais augure, les anciens soutiens partis rejoindre d'autres chapelles. Au lieu de se laisser décourager, il a cherché à faire mentir les enquêtes d’opinion. En bout de course, il a su laisser au vestiaire son costume étroit de "collaborateur", cadeau empoisonné de Nicolas Sarkozy, pour enfiler l’armure du candidat de la droite. Voici le récit de ce retournement.
Les bénéfices de la guerre
François Fillon profite de sa longue campagne pour soigner ses plaies causées par la guerre fratricide menée contre Jean-François Copé fin 2012. "Nous devons tous refaire nos preuves et moi le premier", lâche-t-il devant ses partisans réunis à La Mutualité, à Paris, le 26 février 2013.
Il faut dire que cette élection entachée de fraudes l'a conduit à deux doigts de la rupture définitive. Il crée, notamment, un groupe parlementaire indépendant – l'éphémère RUMP. "J'ai beaucoup hésité (...), mais j'ai pensé que casser ma famille politique, c'était faire prendre un risque à la droite très important", confie-t-il dans le documentaire François Fillon, la dernière course, diffusé sur France 3.
Dans cette cacophonie, François Fillon perd d'abord beaucoup de crédit. Mais il parvient finalement à transformer l'échec en atout décisif. Pour enterrer la hache de guerre, l'ancien Premier ministre négocie le principe d'une primaire ouverte inscrite dans les statuts de l'UMP – son principal objectif au moment où il se lance dans la conquête du parti.
François Fillon a la conviction que ce mode de désignation lui sera plus favorable qu'un seul vote des militants. Il a d'ailleurs envoyé Jérôme Chartier aux Etats-Unis en 2012 pour observer les primaires du camp républicain. "J’ai vu l’engouement populaire, j’ai vu les files d’attente, raconte à franceinfo le porte-parole de la campagne. Dans les débats, les candidats parlent à leur famille politique et leurs électeurs." Il remarque aussi que les concurrents sont en permanence au contact des citoyens.
François Fillon lui-même se rendra outre-Atlantique pour rencontrer un membre de l'équipe de Barack Obama. Les enseignements venus d'Amérique vont être soigneusement appliqués pendant la campagne. D'autant que la défaite pour la prise de l'UMP permet à François Fillon de se tenir à l’écart des difficultés rencontrées par le parti. Pendant que Jean-François Copé se débat dans la tempête Bygmalion, le député de Paris travaille sur son projet présidentiel et marque sa différence.
L'émancipation
François Fillon va rapidement exercer son droit d’inventaire du quinquennat Sarkozy. Trois mois après la défaite à la présidentielle, il se démarque déjà, dans une interview au Point, en définissant le "fillonisme" par rapport au sarkozysme : "Cela pourrait être une approche plus sereine et pragmatique des choses." Puis, au fil du temps, il se détache. "Moi, en 2007, j'ai totalement soutenu Sarkozy, mais cela ne veut pas dire que son projet était totalement le mien", lâche-t-il à l’automne 2013 au magazine Valeurs actuelles.
L'ancien Premier ministre assume officiellement le bilan, mais martèle ses différences, notamment sur sa volonté de réduction des déficits. Il ne manque pas de rappeler qu’il s’était dit dès 2007 à la tête d’un Etat "en situation de faillite", provoquant à l’époque – selon ses dires – la colère du président : "Nicolas m'appelle pour me dire (...) que je suis en train de dénigrer mon propre pays, que je suis trop pessimiste…"
Les coups se font de plus en plus durs envers Nicolas Sarkozy. Selon des journalistes du Monde, François Fillon aurait même demandé en 2014 à Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l'Elysée, d'accélérer les poursuites judiciaires à l'encontre de ce concurrent gênant pour la primaire. Lors d’un meeting, en août, l'ancien Premier ministre lance : "Qui imagine un seul instant le général de Gaulle mis en examen ?" Cette référence aux ennuis judiciaires de Nicolas Sarkozy constitue un tournant dans la campagne. François Fillon passe à l’offensive et n’hésite plus à montrer les dents.
<span>Les Français ne veulent pas du match de 2012. Moi, je ne suis pas le candidat de la revanche, je ne suis pas celui du consensus, je viens sérieusement casser la baraque pour la reconstruire autrement.</span>
Il faut se souvenir qu’entre 2007 et 2012, le locataire de Matignon a enduré les remontrances et les petites humiliations de l’hyper-président Sarkozy. Qualifié de "collaborateur", bridé dans ses initiatives, repris sur ses déclarations, François Fillon supporte sans broncher. Il affirme avoir remis plusieurs fois sa démission, mais il est resté jusqu’au bout du quinquennat pour finalement battre le record de longévité des Premiers ministres de la Ve République.
Comment expliquer une telle capacité à encaisser, frisant le masochisme politique ? "C’est quelqu'un qui croit à la rédemption par la douleur, (...) il pense qu’il faut souffrir pour être sauvé", estime le député LR Henri Guaino, dans le documentaire François Fillon, la dernière course. Une conception christique de la politique qui s’accorde bien avec les discours churchilliens du candidat de la droite, autrement dit "du sang, des larmes et de la sueur".
Aujourd'hui, François Fillon relativise cette période difficile de presque "cohabitation" avec Nicolas Sarkozy. "Tout le monde décrit nos relations comme épouvantables, en réalité ce n’est pas vrai (...), sinon je ne serais pas resté cinq ans", argumente-t-il dans l'émission "Une ambition intime" diffusée sur M6.
Un programme de combat
Pour relancer l'économie française, François Fillon se convainc de la nécessité d'un choc libéral. Fin des 35 heures, retraite à 65 ans, refonte du Code du travail, suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, baisse de cotisations pour les entreprises, disparition de l'impôt sur la fortune, dégressivité des allocations chômage… "La France a besoin d’un choc", répète-t-il en boucle pour justifier ces réformes "brutales", selon son propre qualificatif. Cette potion vigoureuse lui vaut d’être souvent comparé à Margaret Thatcher, l’ancienne Première ministre du Royaume-Uni.
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— Libération (@libe) 21 novembre 2016
"La France est exsangue, il n'y a pas d’autre solution qu’un remède de cheval", justifiait déjà en 2014 son porte-parole Jérôme Chartier. François Fillon enfonce le clou à l'automne 2015 avec un livre-programme intitulé Faire, qui devient de manière inattendue un succès de librairie. Les résultats de la primaire montrent que l’électrochoc proposé par le candidat de la droite rencontre un certain écho, analyse pour franceinfo le directeur du Cevipof, Martial Foucault : "Les principales mesures proposées (...) semblent en ligne avec les aspirations du peuple de droite."
Lors du débat de l'entre-deux-tours, le candidat Fillon a confié sa fierté "d'avoir réussi à imposer une partie des thèmes de cette campagne". L'ancien Premier ministre a effectivement marqué des points en mettant l’économie au cœur de son programme, contrairement à Nicolas Sarkozy, par exemple, qui a misé sur l'identité. Six Français sur dix se déclarent plus préoccupés par l'économie que par l'identité ou la sécurité, selon un sondage publié en septembre 2016. La proportion est à peu près équivalente chez les électeurs de la droite et du centre.
Mais le député de Paris ne se contente pas de ce volet économique. Sur le plan sociétal, il se montre conservateur en promettant de réécrire la loi Taubira, avec une modification des règles de filiation. Opposé à la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes et les femmes seules, le candidat souhaite aussi durcir les sanctions pénales à l'encontre de ceux qui ont recours à la gestation pour autrui ou qui la promeuvent. Des positions qui lui ont permis d'obtenir le soutien du mouvement Sens commun, une émanation au sein de LR de La Manif pour tous.
Je suis hostile à la procréation médicale assistée généralisée. C'est ma position, c'est mes convictions. (...) La question, c'est le droit de l'enfant.
François Fillon, qui ne s'est pourtant pas rendu dans les cortèges pour manifester contre la loi Taubira, est parvenu à capter une part de cette nouvelle rébellion catholique. L'ancien Premier ministre a recueilli au premier tour de la primaire 53,6% des suffrages chez les catholiques pratiquants réguliers, selon une étude OpinionWay citée par La Croix. Le candidat Fillon a su consolider ses positions dans cet électorat en mettant sa foi en avant ou en défendant les chrétiens d'Orient.
Dans son programme, l'ancien chef du gouvernement n'oublie pas les questions d'identité, de sécurité et les dossiers internationaux. Il publie fin septembre un essai, Vaincre le totalitarisme islamique, où il propose notamment de déchoir les jihadistes de la nationalité française et de leur interdire le "séjour sur notre sol".
Il réaffirme aussi dans ce livre sa volonté de dialogue avec la Russie pour trouver une solution au conflit syrien. Des propositions que l'ancien Premier ministre a développées lors de déplacements à l'étranger pendant sa campagne, que ce soit à Moscou ou sur la ligne de front à Erbil, en Irak.
L'ancien Premier ministre a bûché et les sympathisants de droite lui en rendent grâce. "Quand on allait sur le terrain distribuer des tracts, on avait des gens très réceptifs qui nous disaient 'il a un très bon programme'", assure Bernard Debré. Mais le réformateur thatchérien est parfois confronté aux reproches des militants sur son bilan à Matignon et sur le psychodrame causé par sa défaite face à Jean-François Copé lors de l’élection pour la présidence de l’UMP.
Passage obligé
A deux semaines du premier tour de la primaire, le passage de François Fillon, le 6 novembre, dans le programme "Une ambition intime" marque un changement de style. Lui qui ne goûte que très peu à "l'infotainment", ce mélange des genres qui amène les politiques dans les émissions de divertissement, accepte pour les besoins de la campagne de se confier pendant près d'une demi-heure à une Karine Le Marchand tout sourire. Même s'il réaffirme pour le principe son opposition à la "politique spectacle", il s'épanche sur son parcours, sa famille, ses passions, et se livre même devant la caméra à une démonstration de pilotage de drone.
Je pense que la politique ne doit pas être mélangée avec la vie privée. C'est une des explications du désamour des Français pour leurs responsables politiques.
L'émission revient sur la construction politique de celui qui aspire aujourd'hui à la plus haute fonction de l'Etat. Alors qu'il était assistant parlementaire du député de la Sarthe Joël Le Theule, ce dernier est mort d'une crise cardiaque quasi dans ses bras à la sortie de l'ambulance, comme le raconte L'Express. "C'est comme perdre son père", se souvient le Sarthois dans "Une ambition intime".
François Fillon récupère progressivement les mandats de son premier mentor et devient le benjamin de l'Assemblée nationale en 1981. Sa carrière se poursuit de mandats locaux en postes ministériels. Il met ses pas dans ceux de Philippe Séguin, de Jacques Chirac, puis de Nicolas Sarkozy en 2005, au moment où Dominique de Villepin lui refuse une place dans son gouvernement. Il prendra sa revanche en entrant à Matignon deux ans plus tard.
Pour les Français, "Une ambition intime" est aussi l'occasion de découvrir un François Fillon adepte d'alpinisme, de formule 1 et de photographie. "Je ne peux absolument pas comprendre les gens qui pensent à la politique du matin jusqu'au soir. Je pense que ce sont des obsédés", tranche ce père de cinq enfants, marié depuis ses 24 ans avec Penelope, une Galloise rencontrée au cours de ses études.
Si l'ancien Premier ministre accepte de s'exprimer pour une fois sur sa vie privée, c'est d'abord pour combler son déficit d'image. Sur le terrain, les militants réclament au candidat Fillon de donner un peu plus de lui-même, de se dévoiler. "Au début, les gens me disaient 'ce qu'il dit est bien, mais il manque de charisme'", avoue le filloniste Bernard Debré.
François Fillon lui-même le concède sur le canapé de Karine Le Marchand. Les Français ont de lui "une image trop sérieuse, peut-être même ennuyeuse". Il tente donc de se montrer sous un autre jour dans les médias. Pour autant, il ne sacrifie pas le sérieux associé à son image, notamment au cours des trois débats organisés dans le cadre de la primaire.
Contre vents et sondages
Pendant de longs mois, François Fillon reste à la traîne dans les enquêtes d'opinion. Bloqué autour de 10%, le député de Paris inquiète ses plus fidèles soutiens au point de devoir les rassurer régulièrement. "On était un peu moroses. On se demandait s'il y arriverait, certains se disaient que la présidence de l'Assemblée c'était pas si mal..." se remémore Bernard Debré.
Le moral des troupes est au plus bas, d'autant que de nombreux soutiens abandonnent le navire Fillon pour rejoindre les écuries de Sarkozy ou Juppé, à l'image d'Eric Ciotti, Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez, Eric Woerth ou encore Pierre Lellouche. Mais François Fillon continue d'y croire et son abnégation finit par payer. Pour Bernard Debré, la bascule de l'opinion intervient au cours du dernier mois de la campagne : "Il a tracé son sillon tranquillement et il a fini par gagner des points à l'issue des trois débats."
Au cours de ces échanges, l'ancien Premier ministre maîtrise ses dossiers, décline avec constance son programme de rigueur et refuse la polémique politicienne. "Arrive progressivement l'idée qu'il peut finalement gagner" , raconte Bernard Debré, qui se souvient d'avoir vu les meetings se remplir. Offensif et autoritaire, François Fillon va également marquer les esprits en s'en prenant à plusieurs reprises à la sphère médiatique, une astuce qui permet de gagner avec facilité quelques points dans l'opinion vu le rejet que suscitent les médias traditionnels.
Invité de "L'Emission politique", il s'agace contre les sondages et accueille froidement l'humoriste Charline Vanhoenacker. Il hausse encore le ton face à David Pujadas lors du troisième débat, en reprochant aux journalistes leur conception de la politique "spectacle". "C'est tombé à bon escient et ça a fait un effet bœuf", se félicite Bernard Debré.
La stratégie fonctionne et la candidature Fillon prend de plus en plus d'épaisseur dans l'opinion. "Mon candidat de cœur, c’était Sarkozy, mais voyez-vous, pour le premier tour dimanche dernier, j’ai changé, et j’ai voté pour François Fillon. C’est un homme sincère qui ne cède pas à l’air du temps", confie Philippe, un sympathisant LR de 53 ans, venu à Lyon pour un meeting dans l'entre-deux-tours.
Il s’est révélé, je découvre un autre homme, à poigne, autoritaire, mais pas dans la polémique à deux sous. Ça me plaît. Il a un côté dur, mais apaisant.
La mayonnaise finit par prendre. François Fillon, qui ne cesse depuis le début de la campagne d'annoncer que tout se jouera dans la dernière ligne droite, parvient à rattraper son retard pendant la semaine précédant le premier tour. Les instituts de sondages enregistrent la dynamique, mais pas son ampleur. Au soir du 20 novembre, le député de Paris écrase la concurrence avec 44,1% des voix contre 28,6% pour Alain Juppé.
L'ancien "collaborateur" confirme cette avance déterminante lors du second tour, avec une campagne maîtrisée face à un maire de Bordeaux offensif. En quelques jours, "Mister Nobody" réussit son pari en déjouant tous les sondages, et peut désormais tourner son regard vers l'Elysée.
Le début d'une longue marche
Parti vers la présidentielle dès le début de l’année 2013 sous les regards dubitatifs de nombre d’observateurs, François Fillon prend le pari d'une campagne précoce et s'expose aux coups de ses adversaires. L'ancien Premier ministre opte pour le temps long avec ces 1 200 jours de campagne, dans l'optique de se forger une stature et une crédibilité.
Il y a trois ans, quand j'ai commencé ma campagne, j'étais seul. J'ai sillonné la France, j'ai rencontré des milliers de Français.
Entre février 2013 et novembre 2016, le Sarthois arpente le terrain pour "prendre le pouls des Français", selon les mots de son entourage. En trois ans, le candidat Fillon a organisé plus de 300 meetings, selon son entourage. Ce passionné de formule 1 engage une course de fond, à l'image d'un Jacques Chirac en 1994 ou d'un François Hollande en 2009, et bat la campagne sans prêter attention aux mauvais sondages.
Casque de chantier sur la tête ou verre de bière à la main, il rencontre les entrepreneurs, les agriculteurs ou le monde associatif. L'ancien Premier ministre n'oublie personne, même si cela l'oblige à porter un bandana violet sur la tête lors d'une rencontre avec la communauté sikhe de France. Une scène qui provoquera des moqueries sur les réseaux sociaux, comme le relate Le Huffington Post.
Finalement, un conseiller en com', ce n'est pas toujours superflu :-) #compol #Fillon pic.twitter.com/Un6LlqgrR0
— Christian Delporte (@chdelporte) 26 septembre 2016
Rennes, Bourgoin-Jallieu, Châteauroux, Haguenau... François Fillon se déplace sans toujours susciter l'attention des journalistes. "On ne noue pas le même contact avec les gens quand il y a derrière vous une caméra ou des micros", confie-t-il au Figaro pour relativiser cette indifférence médiatique. Il trace sa route et établit un diagnostic pour élaborer son programme.
"Sa longue campagne lui a permis d’installer un projet très complet et très dense", se félicite le filloniste Hervé Novelli au lendemain du premier tour. En août 2015, le candidat Fillon dévoile le socle de son projet libéral, un "Manifeste pour la France" centré sur les questions économiques et sociales.