La décennie mouvementée de Manuel Valls, de Matignon au gouvernement Bayrou, en passant par une succession d'échecs

L'ancien Premier ministre de François Hollande a été nommé aux Outre-mer, en pleine crise à Mayotte. Il fait ainsi son retour au pouvoir après plusieurs tentatives ratées depuis son départ de Matignon en 2016.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Manuel Valls, après la cérémonie de passation de pouvoir au ministère de l'Outre-mer, à Paris, le 24 décembre 2024. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Il n'a pu s'empêcher de sourire lors de la passation de pouvoir, mardi 24 décembre. Manuel Valls a été nommé lundi ministre des Outre-mer dans le gouvernement de François Bayrou. Un joli cadeau de Noël pour celui qui a tenté inlassablement de revenir au pouvoir depuis son échec à la présidentielle en 2017. Franceinfo revient sur des dernières années mouvementées et le retour inattendu du Franco-Espagnol de 62 ans, qui va devoir gérer la crise à Mayotte, dévastée par le cyclone Chido mi-décembre.

Deux ans à Matignon puis un échec total à la présidentielle

Manuel Valls entre dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault comme ministre de l'Intérieur après la victoire de François Hollande à la présidentielle. Devenu incontournable, comparé à Nicolas Sarkozy pour sa présence médiatique et son statut de "premier flic de France", il est nommé à Matignon au printemps 2014. Premier ministre pendant plus de deux ans, il démissionne, après que François Hollande a annoncé qu'il renonçait à briguer un nouveau mandat. S'il se montre déterminé à devenir président de la République, Manuel Valls vit pourtant une campagne cauchemardesque lors de la primaire de la gauche. Enfariné à Strasbourg, giflé à Lamballe (Côtes-d'Armor), il est finalement largement battu par Benoît Hamon. Plutôt que de parrainer le vainqueur, le perdant décide finalement d'apporter son soutien à son ancien ministre de l'Economie : Emmanuel Macron. De quoi s'aliéner une grande partie de ses soutiens et lui valoir durablement des accusations de traîtrise.

Un départ du PS pour siéger à l'Assemblée avec les macronistes en 2017

La présidentielle passée, Manuel Valls remonte en selle et se présente pour être réélu comme député dans l'Essonne. Fort de son soutien à Emmanuel Macron, il espère obtenir l'investiture de La République en marche. Mais l'ex-Premier ministre, qui a déjà effectué trois mandats parlementaires, ne répond pas aux critères fixés par LREM. Le parti rejette sa demande, mais n'aligne aucun candidat dans sa circonscription. Le fervent défenseur de "la sécurité, la laïcité, le vivre-ensemble" est réélu d'une très courte tête. L'annonce des résultats vire à la bataille rangée. Son adversaire au second tour, Farida Amrani, candidate de La France insoumise, conteste cette victoire, demande un recomptage des voix, et dépose un recours pour tenter de faire invalider le scrutin. En vain.

Une dizaine de jours après l'élection, il annonce qu'il rejoint le groupe LREM à l'Assemblée, en tant que député apparenté. Le divorce avec le PS est consommé, sur la forme comme sur le fond. Manuel Valls, partisan de la déchéance de nationalité et de la très contestée loi Travail, théoricien des "gauches irréconciliables", préférant un rapprochement des "progressistes" de gauche et de droite, laisse un souvenir amer au PS.

Une nouvelle démission en 2018 pour briguer, sans succès, la mairie de Barcelone

L'autre trahison de Manuel Valls, selon ses opposants, c'est celle vis-à-vis de ses électeurs de l'Essonne. Alors qu'ils l'ont élu d'un cheveu aux législatives, il quitte l'Assemblée nationale en 2018 pour tenter de conquérir la mairie de Barcelone. Né dans la capitale catalane en 1962, ce fan du Barça a grandi à Paris et a été naturalisé français à 20 ans, perdant sa nationalité espagnole. Mais celui qui a fait toute sa carrière politique en France entend bien la poursuivre en Espagne. Après l'obtention de son passeport espagnol, il déclare sur France 2 partir "sans aucune amertume et sans aucun regret".

En mai 2019, sa liste arrive en quatrième position des municipales barcelonaises. A défaut d'être maire, Manuel Valls est élu conseiller municipal de la ville catalane. "Ma candidature était un défi difficile, et je le savais depuis le début. Mais maintenant, mon engagement pour Barcelone continue", assure-t-il après sa défaite. Par ailleurs, la justice s'intéresse à sa campagne électorale. Condamné fin 2022 pour financement illicite, Manuel Valls est contraint de payer une amende de 277 000 euros.

Un retour (raté) en France pour concourir aux législatives de 2022

Après trois ans au poste de conseiller municipal de Barcelone, Manuel Valls quitte ses fonctions une nouvelle fois et envoie des signaux d'un éventuel retour en politique en France. Cela lui vaut une chanson parodique par une chaîne de télévision catalane.

"Maintenant, je sais que je suis majoritairement français : dans mes valeurs, dans ma façon de penser et de faire de la politique", explique Manuel Valls, cité par El Periodico, pour justifier son retour de l'autre côté des Pyrénées. Avant de se réengager sur le terrain politique français, il fait un détour par les médias. En septembre 2021, il devient chroniqueur politique sur BFMTV et RMC.

L'année suivante, il se lance et brigue un nouveau mandat de député de la cinquième circonscription des Français de l'étranger. Pourquoi pas l'Essonne ? Cela "n'avait pas de sens. J'avais passé la main", explique-t-il alors à l'AFP. Est-ce le scrutin de trop ? Manuel Valls est éliminé dès le premier tour. Il ne manque pas de s'attirer de nouveau les foudres de la gauche en appelant à faire barrage au deuxième tour contre le candidat de l'alliance de gauche, la Nupes.

Un retour au gouvernement comme ministre d'Etat

A chaque remaniement, une éventuelle nomination de Manuel Valls est évoquée sur le ton de l'humour par de nombreux internautes sur les réseaux sociaux. Pourtant, fin 2024, Manuel Valls revient bel et bien de plain-pied dans la vie politique nationale, à la faveur de la crise politique que connaît le pays depuis les élections européennes et la dissolution de l'Assemblée nationale. "Manuel Valls est une personnalité un peu kamikaze, j'aime bien les personnalités audacieuses", a commenté sur BFMTV François Bayrou lundi soir, exprimant son "estime" pour un ministre qui va se charger d'"une des questions les plus lourdes", la situation des outre-mer.

Invité lui-même à revenir sur son parcours sur France inter, mardi matin, Manuel Valls se décrit comme un amateur de "défis" et de "prises de risque". "La vie, ce sont des réussites et surtout des échecs. C'est ça la beauté de la vie", a philosophé celui qui estime ne représenter "ni l'aile gauche, ni l'aile droite" au sein du gouvernement.

Quelques heures plus tard, l'air solennel à son arrivée à la tribune de l'hôtel de Montmorin, il dévoile une mine réjouie lors du discours de son prédécesseur, François-Noël Buffet. "L'Outre-mer est un grand ministère de l'Etat. C'est pour cela que le Premier ministre a souhaité que le ministère des Outre-mer soit un ministère d'Etat, incarné par un ancien Premier ministre", a-t-il lancé.

Sa nomination est diversement appréciée par les principaux intéressés. Pour Mansour Kamardine, ancien député de Mayotte et vice-président LR en charge des Outre-mer, elle "s'apparente pour les Mahorais à un Chido 2 qui s'abat sur Mayotte". Plus nuancé, Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, espère que Manuel Valls "saura trouver les voies de l'apaisement en Nouvelle-Calédonie, celles d'une assistance accrue et d'une reconstruction durable à Mayotte et la force d'imposer, enfin, une feuille de route ambitieuse pour l'ensemble des territoires des Outre-mer".

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