Cet article date de plus de sept ans.

Reportage A Mimizan, le vote blanc explose parce que "les gens sont écœurés"

Dans cette petit commune des Landes, dans le sud-ouest de la France, le nombre de bulletins blancs a atteint 15,71% des votants, un des records de l'Hexagone. Franceinfo est allé à la rencontre de ses habitants, qui ne croient plus en la politique. 

Article rédigé par franceinfo - Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
A Mimizan (Landes), 15,71% des votants ont fait le choix du bulletin blanc lors du second tour de la présidentielle, dimanche 7 mai 2017. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

"Je leur ai trouvé un sigle !", nous annonce-t-elle fièrement. A 88 ans, Claire trottine joyeusement au bras d'une amie en direction du bar-tabac de Mimizan (Landes), l'un des seuls commerces ouverts en ce lundi 8 mai. Cette habitante de la petite commune du Sud-Ouest rassemble ses mots avant de s'écrier à toute vitesse : "Ce sont des APPPI. A pour Ambition, P pour Pouvoir, P pour Prestige, P pour Profit et I pour Immunité, pour toutes leurs malversations." Ils ? Les hommes et femmes politiques bien sûr.  "Je les mets tous dans le même sac", raconte Claire qui a trouvé le moyen de voter sans choisir un candidat : le vote blanc. 

Et elle n'est pas la seule. Mimizan, terre de gauche et ancien bastion d'Henri Emmanuelli, député des Landes mort le 21 mars 2017, fait sensation avec ses 15,71% de votes blancs. C'est près de deux fois le score national : 8,51%. Un record. Et ce alors que glisser un bulletin blanc n'est même pas reconnu en France. Côté résultat, Emmanuel Macron est arrivé largement en tête à Mimizan, avec 70,43% des voix, loin devant Marine Le Pen et ses 29,57%. Mais l'ampleur du vote blanc surprend parmi les 4 398 votants. Franceinfo est allé à la rencontre de ces Mimizannais qui en ont "ras-le-bol" des politiques mais qui ont pourtant choisi de ne pas s'abstenir. 

"Les politiques ne tiennent pas compte des gens"

Il est tout juste passé midi lorsque Josiane et son petit caniche blanc arrivent à "l'hôtel-restaurant du centre". Lunettes rouges et long manteau brun, cette habitante de Mimizan depuis trois ans a longuement hésité. Après avoir voté François Fillon au premier tour de l'élection présidentielle, la retraitée âgée de 71 ans a fait son choix dans l'isoloir. Ce sera "blanc". "Marine Le Pen, j'y ai pensé mais j'ai eu peur", confesse-t-elle. 

Josiane, 71 ans, a glissé un bulletin blanc, lors du second tour de l'élection présidentielle, dimanche 7 mair 2017, à Mimizan (Landes).  (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

N'allez pas lui parler d'Emmanuel Macron : "C'est pas le jeune de 39 ans qui va régler les problèmes des Français", assure-t-elle. Josiane n'a plus foi dans la politique : "Ils ne tiennent pas compte des gens." Pourquoi s'est-elle malgré tout déplacée à son bureau de vote ? "En fait, j'attends un logement. A la mairie, ils regardent si on se déplace", veut-elle croire. Mais, pour les législatives, c'est terminé : "Je n'ai pas envie d'y aller, moi qui ai toujours voté."

Quelques minutes après avoir quitté Josiane, des notes de musique résonnent dans le centre de Mimizan. La Marseillaise. Derrière l'église et devant le monument aux morts, quelques dizaines de Mimizannais, dont beaucoup d'anciens combattants, sont réunis à l'occasion de la commémoration du 8 mai 1945. Les élus municipaux sont également présents. 

Commémoration du 8 mai 1945 à Mimizan (Landes), le 8 mai 2017.  (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

Si certains refusent de s'exprimer sur leur vote, d'autres se laissent tenter, à condition de rester anonyme. C'est le cas de Simon*, électeur de droite qui a voté blanc "pour la première fois" de sa vie. Après avoir glissé un bulletin François Fillon dans l'urne le 23 avril, il n'a pas pu choisir entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Mais pas question, pour autant, de s'abstenir.

Je suis élu municipal. C'est mon devoir de citoyen d'aller voter. Mais j'ai voté blanc car aucun des deux candidats ne me plaisait.

Simon*, conseiller municipal à Mimizan

à franceinfo

Et Simon d'énumérer tout ce qui ne lui convenait pas chez les deux candidats. Marine Le Pen ? "Je n'aime pas sa philosophie. Elle s'est dévoilée lors du débat telle qu'elle a toujours été. Elle était violente." Emmanuel Macron ? "Il y a des choses qui ne me conviennent pas, comme la taxe d'habitation. Il y a aussi son inexpérience et tout le flou qui reste derrière lui."

"Je ne me reconnaissais ni dans Le Pen ni dans Macron"

Si Simon et Josiane avaient tous deux penché pour François Fillon au premier tour, il faut plutôt se tourner vers les électeurs de gauche pour comprendre le taux important de votes blancs à Mimizan. Le 23 avril, Jean-Luc Mélenchon est en effet arrivé deuxième avec 21,3% des voix derrière Emmanuel Macron à 24,6%. Or, le leader de la France insoumise n'a donné aucune consigne de vote pour le second tour, laissant libres ses électeurs... de ne pas choisir entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

Une analyse partagée par le maire en personne. Christian Plantier, édile depuis 2008, sans étiquette, vient de terminer son discours et livre ses impressions à chaud. "Vous savez, c'est une commune qui vote à 70% à gauche. Alors, pour moi, c'est la gauche qui s'est abstenue ou a voté blanc parce qu'elle ne s'est reconnue ni dans Macron ni Le Pen." Il reconnaît aussi que "les gens sont un peu désemparés, écœurés des politiciens". Il y a un "désarroi face aux partis traditionnels", analyse-t-il.

Christian Plantier, maire sans étiquette de Mimizan (Landes), le 8 mai 2017.  (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

François, 59 ans, aurait bien voulu dépasser les partis traditionnels avec Jean-Luc Mélenchon. Il a voté au premier tour pour le leader de la France insoumise car il "représentait" précisément "l'insoumission". Et lui aussi a voté blanc pour la première fois de sa vie au second tour. Alors que ce menuisier, habitant de Mimizan depuis 40 ans, avait voté Jacques Chirac en 2002 pour faire barrage au Front national, il lui a été impossible de réitérer ce même vote quinze ans plus tard."Je ne me reconnaissais ni dans Le Pen, ni dans Macron", explique-t-il.

Macron est trop libéral pour moi, il veut encore accentuer la loi Travail. Et puis voter blanc, ce n'est pas voter Le Pen et je savais qu'elle ne passerait pas.

François, menuisier

à franceinfo

François n'a pas non plus songé à l'abstention. "Il faut y aller, il faut s'y intéresser, car c'est très important dans notre vie politique. Ne pas y aller, c'est dire, je n'en ai rien à foutre", s'emporte-t-il.

François, 59 ans, a voté blanc pour la première fois de sa vie lors du second tour de la présidentielle, dimanche 7 mai, à Mimizan (Landes).  (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

Juste avant de s'engouffrer dans la salle des fêtes qui accueille le traditionnel banquet du 8-Mai, François met en garde Emmanuel Macron. "S'il fait des déçus, il se peut que Marine Le Pen passe en 2022", prédit-il. 

"Si c'était comptabilisé, j'aurais voté blanc"

Ce dernier s'est donc rendu aux urnes, à l'inverse de beaucoup qui n'ont pas mis les pieds dans le bureau de vote : 22,88% des Mimizannais se sont abstenus, soit un peu moins que la moyenne nationale qui s'établit à 25,44%. Pourtant, plusieurs abstentionnistes se seraient rendus aux urnes si le vote blanc était comptabilisé. Les cheveux gris délicatement relevés en chignon, Dominique joue avec sa petite-fille sur un banc. Au premier tour, elle a voté pour un candidat, dont elle refuse de dévoiler le nom, mais au second, cette retraitée s'est abstenue. "Si c'était comptabilisé, j'aurais voté blanc", affirme-t-elle. "J'espère qu'à l'avenir, ça arrivera. On pourrait peut-être annuler une élection si on était majoritaire", se prend-elle à rêver.

Quelques instants plus tard, Alice et Thérence font leur apparition, non loin de Dominique. Eux sont totalement dépolitisés. A 23 ans, Alice fait des ménages et Thérence, 28 ans, travaille à l'usine. "Je ne m'intéresse jamais aux élections", lance tout de go la jeune femme. "La politique, c'est grotesque. Il vaudrait mieux un groupe plutôt qu'un homme seul pour décider", renchérit son compagnon. Mais eux non plus ne sont pas insensibles au vote blanc. 

La politique pourrait m'intéresser si le vote blanc était comptabilisé.

Alice, 23 ans

à franceinfo

Une attitude pas si éloignée de celle de leur aînée et voisine Claire, notre retraitée de 88 ans, elle qui croyait pourtant à la politique "dans le temps" . En s'éloignant au bras de son amie, cette dernière avait lancé : "De toute façon, les politiques ne cherchent que l'ambition et le pouvoir. Et moi, je dis ce que je pense." Dimanche dernier, elle l'a encore dit. Mais avec un vote blanc.

* Le prénom a été changé à la demande l'intéressé

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.