: Vrai ou faux La renationalisation des autoroutes rapporterait-elle des milliards d'euros à l'Etat, comme l'affirment Arnaud Montebourg et Marine Le Pen ?
Le coût de la reprise en main de la gestion du réseau autoroutier par une régie publique est estimé entre 20 et 40 milliards d'euros. Des incertitudes planent sur la capacité de l'Etat à être un bon gestionnaire.
Renationaliser les autoroutes. Arnaud Montebourg comme Marine Le Pen ont fait de cette promesse l'un de leurs premiers arguments au moment de lancer leur campagne pour l'élection présidentielle. La candidate du Rassemblement national a même chiffré, dans un entretien au Figaro le gain potentiel, pour les automobilistes comme pour l'Etat. La reprise en main par la puissance publique permettrait de "faire baisser de 10 à 15% le prix des péages" et de "livrer un milliard et demi d'euros par an au budget de l'Etat". La renationalisation est-elle possible ? La fin des concessions privées serait-elle si profitable ? Comme souvent, lorsque l'on regarde en détail les conséquences d'une telle proposition, les réponses ne sont pas si simples.
Pas de nationalisation sans indemnisation "juste"
Si Marine Le Pen parle de "nationalisation des autoroutes", ces dernières sont en réalité toujours propriétés de l'Etat, qui en a confié la gestion et l'exploitation à des sociétés privées via des concessions. Arnaud Montebourg propose donc de nationaliser les sociétés d'autoroutes. "Le Parlement a le pouvoir, dans la Constitution, de nationaliser ce qu'il entend", fait valoir sur France Inter l'ancien ministre socialiste de l'Economie. Cette prérogative figure bien dans l'article 34 de la Constitution : "La loi fixe les règles concernant (...) les nationalisations d'entreprises". Il a fallu passer par une loi pour procéder aux grandes nationalisations, en 1982, au début de la présidence de François Mitterrand.
Mais une nationalisation n'est pas une confiscation. En 1982, le Conseil constitutionnel, saisi par l'opposition de droite, a rappelé que le droit de propriété, garanti par la Constitution comme par la Déclaration des droits de l'homme, devait être respecté. La nationalisation ne pouvait donc avoir lieu qu'en échange d'une indemnisation "juste". A l'époque, l'indemnité était égale à la valeur des actions en bourse et des dividendes versés, majorée de 14%. "Les indemnisations, c'est une négociation", balaie Arnaud Montebourg.
Des indemnités estimées à 20, voire 40 milliards d'euros
L'Etat pourrait simplement choisir de ne pas renouveler les contrats de concessions. Les plus anciens arriveront à échéance au cours de la décennie 2030, rappelle l'Autorité de régulation des transports. Pour aller plus vite, l'exécutif pourrait décider de résilier ces contrats. Mais là encore, "il y a des indemnités à la clé", prévient, interrogé par franceinfo, le sénateur centriste Vincent Delahaye, auteur en 2020 d'un rapport sur les concessions autoroutières. "Le rachat des concessions suppose forcément le versement d'une indemnité pour le préjudice subi. Cette indemnité est prévue à l'article 38 des contrats de concession", confirmait Jean-Paul Chanteguet, rapporteur d'une mission d'information de l'Assemblée nationale en 2014. "Ce serait un contentieux assez long et coûteux. Il pourrait même y avoir des pénalités", avertit Vincent Delahaye.
Le sénateur estime le montant de ces indemnisations entre 30 et 45 milliards d'euros. "Les dividendes représentent environ 3 milliards d'euros par an, il reste encore dix à quinze ans de concession selon les contrats, le calcul du manque à gagner pour l'exploitant est vite fait", résume-t-il. Le ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, a lui évoqué un coût de "plus de 47 milliards d'euros", en mai au Sénat. Le rapport de l'Assemblée nationale de 2014 évaluait pour sa part à 40 milliards d'euros environ la somme à mobiliser pour indemniser les sociétés concessionnaires, jugeant toutefois que des négociations pourraient faire baisser la facture.
Le rapporteur, Jean-Paul Chanteguet, avançait cependant un chiffrage deux fois moins élevé, estimant "le coût de l'opération à 20 milliards d'euros". Les autoroutes ayant rapporté 3,1 milliards d'euros de dividendes en 2019, selon l'Autorité de régulation des transports, il faudrait à l'Etat entre six et quinze ans environ pour rentrer dans ses frais, selon les estimations. A condition de ne rien changer, ni aux recettes ni aux dépenses.
L'Etat serait-il bon gestionnaire ?
En 2019, les recettes des péages représentaient 97,4% des 10,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires des sociétés concessionnaires, selon l'Autorité de régulation des transports. En renationalisant la gestion des autoroutes, l'Etat récupèrerait l'intégralité de ces sommes : libre à lui de réduire les tarifs "de 10 à 15%", comme le propose Marine Le Pen. Soit de se priver de 1 à 1,6 milliard d'euros. Reste qu'une diminution des recettes grèverait le budget de la régie publique, gestionnaire du réseau autoroutier. Le contribuable serait alors mis à contribution pour compenser le cadeau fait à l'usager, souligne le rapport sénatorial.
La renationalisation des autoroutes ferait surtout peser sur la régie publique la lourde charge financière de l'entretien et de l'aménagement du réseau autoroutier, souligne le rapport. "La gestion directe et la construction des grandes infrastructures sont extrêmement coûteuses pour l'Etat, qui peine à trouver les financements", relevait le président de la section des travaux publics du Conseil d'Etat, Philippe Martin, lors de son audition par le Sénat. Le rapport sénatorial conclut par conséquent que "confier la gestion des autoroutes à l'Etat n'apparaît donc guère comme la solution la plus adéquate pour garantir le maintien du niveau actuel d'entretien, et donc de sécurité, de ces infrastructures".
Autre option : réviser les contrats
Le sénateur Vincent Delahaye plaide pour un maintien des concessions, à condition d'avoir "des contrats bien mieux ficelés". La Cour des comptes a déjà pointé en 2019 la "position de faiblesse" des pouvoirs publics dans leurs négociations avec les sociétés concessionnaires. Dès 2014, l'Autorité de la concurrence dénonçait la "rentabilité exceptionnelle" et "pas justifiée par le risque de leur activité" de ces entreprises. Les concessions "récentes" sont cependant moins avantageuses pour les exploitants que les concessions "historiques" : leur taux de rentabilité était de 6,4%, contre 7,8% en 2019, selon l'Autorité de régulation des transports, qui plaide elle aussi pour une révision des contrats de concession.
Le rapport sénatorial suggère – à l'instar du ministre de l'Economie Bruno Le Maire – de réduire la durée à quinze ans au lieu de vingt-cinq ou trente. D'introduire une clause de revoyure, tous les cinq ans, afin notamment de réduire les tarifs des péages ou la durée de la concession, si celle-ci s'avère trop rentable. Il propose aussi de prévoir une clause de partage des gains, comme dans les contrats de concessions conclus depuis 2001, par exemple sous forme de redevance annuelle sur le chiffre d'affaires. D'inclure également dans le contrat des clauses visant à encadrer les tarifs des péages ou à plafonner la rentabilité. "Le métier de concessionnaire suppose des savoir-faire financiers et techniques, notamment parce qu'il faut réaliser des travaux très lourds, plaidait le conseiller d'Etat. La concession me semble donc un outil tout à fait approprié pour une bonne gestion du service public, à condition de bien s'en servir".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.