Quand François Bayrou appelle un journaliste pour se plaindre de ses méthodes : la polémique en cinq actes
Le coup de téléphone du ministre de la Justice à Radio France a été interprété comme un moyen de faire pression sur la presse. Il lui vaut les réprimandes du Premier ministre.
C'est une affaire dans l'affaire. Alors que franceinfo enquêtait sur la dizaine d'assistants parlementaires d'eurodéputés MoDem soupçonnés d'avoir travaillé pour le parti tout en étant payés par le Parlement européen, le ministre de la Justice et président du mouvement centriste, François Bayrou, a téléphoné à un journaliste du service public pour se plaindre de cette enquête.
Ce coup de fil vaut au garde des Sceaux, chargé, qui plus est, de rédiger un projet de loi sur la moralisation de la vie publique, d'être rappelé à l'ordre par son Premier ministre, Edouard Philippe, mardi 13 juin. Une première pour le jeune gouvernement. Franceinfo revient sur la polémique.
Acte 1. François Bayrou appelle un journaliste pour se plaindre
Mercredi 7 juin, le ministre de la Justice, François Bayrou, téléphone à Jacques Monin, le directeur de la cellule investigations de Radio France. L'appel survient quelques heures avant que n'éclate le scandale. Le garde des Sceaux "s'est plaint (...) des méthodes inquisitrices" des journalistes, qui interrogeraient les salariés du MoDem "de manière abusive", relate le journaliste.
Jacques Monin réplique au ministre qu'il est "hors de question" de mettre un terme à l'enquête et rétorque que "la description qu'il fait du comportement des journalistes de la cellule investigations ne correspond pas" à la réalité de leur travail.
Le garde des Sceaux ajoute qu'il étudie, avec ses avocats, la possibilité d'une qualification de harcèlement. Je lui réponds que le harcèlement, c'est une qualification pénale, donc que je peux interpréter son coup de fil comme une pression sur moi.
Jacques Monin, directeur de la cellule investigations de Radio Franceà franceinfo
Acte 2. Le garde des Sceaux plaide l'acte "citoyen"
Vendredi 9 juin, Mediapart révèle l'existence de ce coup de téléphone et donne la parole au ministre. François Bayrou reconnaît les faits, mais récuse les accusations de "pression" politique. Il assure avoir agi en simple "citoyen".
Ce n’est pas une menace, ni de l’intimidation. J’ai seulement dit que je trouvais cela choquant. Ce n’est pas le ministre de la Justice ni le président du MoDem qui a appelé, c’est le citoyen.
François Bayrou, ministre de la Justiceà Mediapart
Acte 3. François Bayrou maintient ses propos
Mardi 13 juin, sur CNews, François Bayrou maintient sa ligne de défense. "Je suis un défenseur de la liberté de la presse, je l'ai été toute ma vie, déclare-t-il. Mais il y a aussi une autre liberté, dont les citoyens ressentent le besoin, celle de critique de la presse quand on a le sentiment de pratiques injustes".
Et d'insister : "Lorsqu'il y a des pratiques qui sortent de ce que je considère être le respect des individus, eh bien j'ai le droit de le dire. Parce qu'en devenant garde des Sceaux, je ne suis pas devenu le muet du sérail. Je n'ai pas perdu mes émotions, mes enthousiasmes, je n'ai pas perdu mes indignations, et je ne les perdrai jamais."
Acte 4. Le Premier ministre recadre son ministre
Mardi 13 juin, quelques minutes seulement après l'interview de son ministre sur CNews, le Premier ministre est à son tour interrogé sur la polémique au micro de franceinfo. "Ce coup de fil à un journaliste vous paraît-il une bonne pratique ?" "Non", tranche le chef du gouvernement. "Il se trouve que quand on est ministre, on n'est plus simplement un homme animé par ses passions, sa mauvaise humeur ou son indignation", argumente Edouard Philippe, qui insiste : "Je pense que [François Bayrou] a parfaitement conscience de ça."
Quand on est ministre, on ne peut plus réagir comme quand on est un simple citoyen.
Edouard Philippeà franceinfo
Toutefois, le patron du gouvernement dit comprendre "parfaitement que l'homme François Bayrou ait été agacé par la façon dont les questions étaient posées, avec beaucoup de pression, probablement, sur des gens qui ne s'y attendaient pas."
Acte 5. François Bayrou persiste et signe
Non, il ne se taira pas. François Bayrou a réagi devant la presse, mardi, au recadrage du Premier ministre, en marge d'un déplacement à Lens (Pas-de-Calais) pour soutenir un candidat MoDem aux législatives.
Chaque fois qu'il y aura quelque chose à dire à des Français, des responsables, qu'ils soient politiques, qu'ils soient journalistiques, qu'ils soient médiatiques, chaque fois qu'il y aura quelque chose à dire, je le dirai.
François Bayrou
"Il faut aussi qu'il puisse y avoir le rappel d'un certain nombre de convictions civiques que nous devons partager tous", a-t-il cependant concédé.
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