: Info franceinfo L'ancien ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas visé par une plainte pour l'achat de sa permanence parlementaire avec des fonds publics
L'ex-député du Finistère Jean-Jacques Urvoas a acquis, avec ses frais de mandat parlementaire, un bien évalué aujourd'hui à 212 750 euros.
Elle dénonce "un cadeau de départ de l'Assemblée, un parachute doré". Une association anticorruption a adressé, mercredi 22 novembre, au parquet de Quimper, une plainte pour "détournement de bien public" contre l'ancien député PS du Finistère Jean-Jacques Urvoas. L'ex-garde des Sceaux de François Hollande se voit reprocher l'acquisition de sa permanence parlementaire, en 2008, à Quimper, avec ses frais de mandat parlementaire, et surtout sa décision récente de chercher à vendre ou à louer, à profit, cet appartement entré dans son patrimoine personnel. Contacté par franceinfo, Jean-Jacques Urvoas affirme que l'achat de ce bien "répondait scrupuleusement à la loi et aux normes alors édictées par l'Assemblée nationale".
"Ce spacieux appartement d'environ 126 m² à usage professionnel saura vous plaire !" Depuis le début de l'été, sur les hauteurs du centre-ville de Quimper, une agence immobilière propose le bien en question à la location. "Idéalement situé au 1er étage d'un immeuble bien tenu avec ascenseur", l'appartement est composé d'une entrée, de trois bureaux, d'une salle de réunion, d'une salle de pause, de WC et de deux balcons. Selon l'annonce, le tout est "disponible de suite", moyennant un loyer mensuel de 1 750 euros, charges comprises.
Au cœur de l'automne, son ancienne permanence a finalement été mise en vente. L'ensemble est proposé au prix à 212 750 euros, mais une découpe est possible, avec un lot à 134 375 euros et un autre à 82 125 euros.
Aux frais de l'Assemblée
Lors de l'acquisition de cet ensemble de six pièces, tout était pourtant si facile. Pour devenir propriétaire, le député élu en 2007 n'a pas eu à aller voir sa banque. Quelques semaines avant de signer l'acte de vente, il a obtenu un emprunt de 203 206 euros sur dix ans auprès de l'Assemblée nationale, à un taux avantageux de 2,08% par an (le taux moyen cette année-là en France était de 4,8%). A l'époque, chaque parlementaire pouvait contracter de tels prêts pour le financement d'un logement, d'un bureau ou d'une permanence – une possibilité supprimée depuis 2010. En complément, il a également bénéficié d'un prêt d'honneur de l'Assemblée nationale, d'un montant inférieur à 20 000 euros, à un taux de 3%.
La somme obtenue lui a permis de régler le montant de la vente, des frais de notaire et même des travaux de rénovation. En transformant cet ancien cabinet dentaire en bureaux, il a réussi à accroître de 25% la valeur du bien, qui est passée de 170 000 euros à l'achat à 212 750 euros aujourd'hui. Durant neuf ans, le socialiste y a reçu ses administrés, ses invités et la presse, lors de ses venues dans sa circonscription, à plus de 500 km de Paris. Seule une plaque à l'entrée de l'immeuble indiquait la présence du député.
Pour rembourser les mensualités liées à l'emprunt, Jean-Jacques Urvoas n'a pas eu non plus à puiser dans ses économies. Profitant d'une pratique répandue et légale à l'époque mais interdite depuis 2015, il s'est servi directement dans son enveloppe de frais de mandat destinée à couvrir les dépenses liées à son activité de parlementaire. Chaque mois, il remboursait la somme de 1 950 euros à l'Assemblée nationale – une information qu'il a lui-même révélée en 2009.
"Transparence nécessaire"
A l'été 2009, dans un post de blog, Jean-Jacques Urvoas avait en effet été l'un des très rares députés français à rendre publique son utilisation des frais de mandat. "Je veux apporter ma pierre à la transparence nécessaire", avait-il assuré, tout en reconnaissant qu'"on peut parfaitement critiquer l’usage de ces crédits".
Face à l'avalanche de commentaires déclenchée par cette opération transparence, le député avait rédigé un second billet de blog pour répondre aux interrogations des lecteurs. Aux nombreux internautes lui reprochant l'achat de sa permanence, il avait dit l'avoir fait "par obligation", faute de bien correspondant à ses besoins sur le marché locatif. Jugeant la situation "anormale", il avait affirmé que sa préférence "irait vers un achat d'un local par circonscription par l'Assemblée", où se succéderaient les députés au gré des élections.
Interrogé sur l'utilisation qu'il ferait de l'argent tiré de la permanence après son mandat, le Finistérien avait eu, toujours sur son blog, la réponse suivante : "Je suis ouvert à toutes les suggestions."
Plus député mais toujours propriétaire
L'après-mandat ? Nous y voilà. Réélu député en 2012, Jean-Jacques Urvoas s'est de nouveau présenté aux législatives de juin dernier. Malgré sa notoriété acquise en tant que ministre de la Justice en 2016 et 2017, le Finistérien a été balayé par la vague En marche ! et a dû faire ses adieux au Palais-Bourbon. Dès lors, comme tous les battus, il a dû réfléchir au sort de sa permanence – louée depuis 2016 à sa suppléante à l'Assemblée.
Le lendemain de sa défaite, l'ex-député a rencontré la nouvelle élue, Annaïg Le Meur, et lui a proposé de reprendre sa permanence. Gracieusement ? "Il m'a proposé de la louer", répond à franceinfo la députée macroniste, qui a préféré s'installer dans un autre local, plus accessible aux personnes en fauteuil roulant. Jean-Jacques Urvoas a donc confié le bien à une agence immobilière, pour une vente ou une location à un loyer hors charges de 1 650 euros, légèrement supérieur aux dernières échéances prévues jusqu'à l'été prochain dans le cadre de son emprunt à l'Assemblée (1 600 euros).
Dès lors, que compte-t-il faire des loyers ou du fruit d'une éventuelle vente ? Sollicité par franceinfo en septembre, le socialiste, ex-rapporteur du projet de loi sur la transparence de la vie publique en 2013, n'a pas souhaité répondre aux questions sur sa vie d'ex-député. "Avoir été battu est suffisamment difficile, s'en remettre est suffisamment délicat pour ne pas avoir envie, en plus, de le commenter", s'est-il excusé. De nouveau contacté jeudi 23 novembre après le dépôt de la plainte, Jean-Jacques Urvoas a affirmé avoir agi dans les règles et a promis une "réponse" de son avocat, "certain que [sa] réputation ne peut être impunément bafouée".
Une procédure au civil entre l'association et le député
Le 17 août, l'histoire de cette permanence a pris un tournant judiciaire. Comme l'a révélé le site d'investigation Le Lanceur, Jean-Jacques Urvoas a assigné en référé un membre de Cicero 29, une association finistérienne anticorruption. Ce militant, Jérôme Abbassene, bien décidé à rendre public ce qu'il qualifie d'"enrichissement personnel", s'est attiré les foudres de l'ex-parlementaire en transmettant à la presse locale et en dévoilant sur Twitter des extraits de documents relatifs à cette permanence. Parmi les textes figurait un document consécutif au divorce de Jean-Jacques Urvoas, dont la divulgation a constitué, selon la défense du socialiste, "une atteinte à l'intimité de la vie privée". Cette affaire a été examinée, mercredi 22 novembre, au civil et le jugement a été mis en délibéré au 6 décembre.
Sans se laisser impressionner par cette procédure civile, Jérôme Abbassene a poursuivi son enquête et constitué un dossier sur la permanence. Mercredi 22 novembre, il a saisi le parquet de Quimper d'une plainte contre Jean-Jacques Urvoas pour "détournement de biens publics". La procédure ne porte que "contre la mise en location du bien mal acquis", précise-t-il à franceinfo, pour des raisons de prescription. "Lorsqu'il était ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas a changé les modalités de prescription, souligne Jérôme Abbassene. Le délai ne court plus pendant trois ans à compter de la découverte du fait litigieux, mais six ans à compter de la commission de l'infraction. Dans le cas de la permanence, l'acte de vente, par exemple, est donc prescrit."
"Qu'il rende l'argent à l'Assemblée !"
Les suites données à cette plainte seront observées de près par une autre organisation, l'Association pour une démocratie directe, dont les révélations avaient abouti, en 2015, à de nouvelles règles sur les frais de mandat à l'Assemblée. "A mon sens, la prise illégale d'intérêts est constituée, affirme à franceinfo son président, Hervé Lebreton. Les frais de mandat sont de l'argent public qui ne doit pas aller dans la poche du parlementaire."
Là, c'est comme si Jean-Jacques Urvoas s'était fait des chèques à lui-même.
Hervé Lebretonà franceinfo
Au-delà de la plainte, qu'attend l'association Cicero 29 de la part de Jean-Jacques Urvoas ? "Qu'il rende l'argent à l'Assemblée nationale", répond Jérôme Abbassene, qui appelle l'ancien élu à "retourner sa permanence à la communauté nationale", soit en "restituant la valeur actuelle du bien", soit en en faisant don en nature. Aucun dispositif de ce type n'est toutefois prévu par l'Assemblée nationale. Et par ailleurs, cette utilisation de l'IRFM pour des investissements immobiliers était même alors autorisée – voire encouragée – par le Palais-Bourbon.
Il appartient désormais au procureur de la République de décider des suites données à la plainte déposée contre Jean-Jacques Urvoas. En attendant, l'ancien député se concentre sur son retour à sa carrière d'enseignant en droit, à Quimper, Brest, Rennes et Paris. Depuis la rentrée, il a notamment entamé un cycle de conférences pour les étudiants de l'ENS et de l'université Paris 1 préparant le concours d'entrée à l'Ena. L'un des thèmes abordés dans ce cours : "La transparence est-elle une vertu ?"
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