Permanences parlementaires : les abus sont-ils (vraiment) du passé ?
Depuis 2015, le règlement de l'Assemblée nationale interdit aux députés d'acheter leur permanence parlementaire avec leur indemnité de frais de mandat. Si cette règle limite les abus, ces derniers restent toujours possibles.
"Cela sera bientôt un problème du passé". Interrogé cet été par franceinfo sur l'épineuse question des permanences parlementaires achetées avec l'indemnité représentative de frais de mandat (IRFM), l'ancien député René Dosière, spécialiste des dépenses de l'Etat, avait estimé que le problème, mis une nouvelle fois en lumière par l'enquête de franceinfo sur les bonnes affaires immobilières d'anciens députés, serait bientôt réglé. Le 19 février 2015, après une première vague de révélations sur le sujet, le bureau de l'Assemblée nationale a en effet décidé d'interdire l'acquisition de permanences parlementaires via l'IRFM.
Une interdiction qui sera intégrée aux nouvelles règles de frais de mandat qui vont remplacer, le 1er janvier 2018, l'IRFM, supprimée cet été par la loi sur la confiance dans la vie politique. A compter de cette date, les députés seront remboursés sur justificatifs, selon des modalités qui doivent être précisées à l'issue de la réunion de bureau du 29 novembre. Pour les dépenses liées à la permanence, "comme pour l'ensemble des frais, ce sera une avance remboursable sur justificatifs. Il y aura un contrôle, exercé par la déontologue", précise à franceinfo le premier questeur, Florian Bachelier, élu LREM d'Ille-et-Vilaine.
Voilà pour la théorie. Dans la pratique, les choses sont un peu différentes. A la présidence de l'Assemblée, on reconnaît, jusqu'à aujourd'hui, que "personne ne peut vérifier quelle utilisation est faite" de l'IRFM et si l'interdiction de 2015 est bien respectée. Le bureau n'a de toute façon pas interdit à ceux ayant acheté leur permanence parlementaire avant le 19 février 2015 de continuer à rembourser leur prêt ou à se verser un loyer avec leur indemnité. D'actuels députés continuent donc peut-être à utiliser ce mécanisme.
"Une totale hypocrisie"
De nombreux députés, qui ont bénéficié de l'ancien système, doutent de l'efficacité de cette réforme. "Ce changement de règle de 2015 était d'une totale hypocrisie, estime Yves Nicolin, ancien député LR de la Loire et propriétaire de sa permanence. Il suffit de monter une société civile immobilière avec votre fils et de louer votre permanence à cette SCI. L'Assemblée n'a pas mis en place de dispositif pour éviter ça". L'actuel maire de Roanne est bien placé pour le savoir : sa permanence est détenue par la SCI New York, dont il est le gérant. De fait, passer par une SCI permettrait au député propriétaire de ne pas voir apparaître son nom sur la quittance de loyer.
Ancienne députée PS du Finistère, Patricia Adam, propriétaire de sa permanence à Brest, pointe une autre faille de la nouvelle règle. "Si on loue à un tiers, on peut enrichir un époux, une sœur, etc..", souligne-t-elle. "Ma compagne ne porte pas le même nom que moi, j'aurais pu faire ça", abonde Jean Grellier, ancien élu socialiste des Deux-Sèvres. Ancien de la Commission des finances, l'ex-député PS de la Loire Jean-Louis Gagnaire ne se fait guère d'illusions.
Il y en a qui vont trouver des astuces. Il y a un génie français pour ça.
Jean-Louis Gagnaireà franceinfo
Les SCI, point faible de la réforme
Sur ces deux points, la réponse de l'Assemblée est un peu confuse. Dans un premier temps, Florian Bachelier nous avait indiqué qu'il serait toujours possible pour le député d'être locataire d'un bien appartenant à un proche ou à une SCI dont il serait le gérant, "si c'est loué au prix du marché". Une lecture comptable démentie par le président de l'Assemblée nationale, François de Rugy. "Ce qui va être proposé mercredi prochain ne reflète en rien ce qu’on vous a dit", précise-t-on dans son entourage.
Je démens formellement : le projet de délibération, collectivement élaboré, soumis au bureau de l’#AN le 29/11, prévoit bien l’interdiction pr un député d’user de ses frais de mandats pour se louer à lui-même ou à ses proches un bien immobilier #reformesANhttps://t.co/GFlN76jISW
— François de Rugy (@FdeRugy) 24 novembre 2017
Laurianne Rossi, députée des Hauts-de-Seine et questeure, précise que parmi les trois règles "posées en préambule" de la liste des frais autorisés et interdits figure "l'absence d'enrichissement personnel pour le député, ses proches ou ses collaborateurs". "Partant de là, on a proscrit la location à soi-même ou à ses proches", assure l'élue. Quid des SCI, dont le nom figure sur la quittance de loyer et pourrait permettre de masquer celui du député ? "Je suis d'accord avec vous, cela complique le contrôle. Mais on va continuer à réfléchir sur cette question", promet-elle, en évoquant un croisement avec les déclarations de patrimoine, où doivent figurer les SCI détenus par les députés.
Le détail de ces nouvelles règles et leurs modalités de contrôle seront scrutés de près par Hervé Lebreton, président de l'Association pour une démocratie directe, à l'origine de la première vague de révélations de 2015.
La question centrale, c'est celle de la probité. Est-ce qu'un élu peut s'enrichir avec ses frais de mandat ?
Hervé Lebretonà franceinfo
Selon Hervé Lebreton, la seule solution viable serait que l'Assemblée nationale achète elle-même un local dans chaque circonscription, pour le mettre à la disposition des députés. "Cela coûterait moins cher d'acheter plutôt que de louer, à moins de dire que l'Assemblée est mauvaise gestionnaire", ironise ce professeur de mathématiques. Cette option n'a pas les faveurs du premier questeur. "Je milite pour que l'Assemblée nationale ne soit pas propriétaire d'un pâté de maisons à côté du Palais-Bourbon [L'hôtel de Broglie], donc non", justifie Florian Bachelier. A mi-chemin entre ces deux positions, Laurianne Rossi suggère que la gestion des baux soit assurée par l'Assemblée, qui ferait de "l'intermédiation locative" entre le député et son bailleur. Un moyen de contrôler plus facilement l'identité de ce dernier.
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