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"C'est un piège" : avec sa proposition de loi sur l'endométriose, le Rassemblement national embarrasse encore la majorité et la gauche

Article rédigé par Margaux Duguet, Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Les députés du Rassemblement national à l'Assemblée nationale, à Paris, le 8 novembre 2022. (ARTHUR NICHOLAS ORCHARD / HANS LUCAS / AFP)
En choisissant un thème qui va au-delà des clivages, le groupe de Marine Le Pen à l'Assemblée oblige ses adversaires politiques à se positionner une fois de plus sur le comportement à adopter face au RN.

"Ce sont des textes emmerdants", dixit un cadre de la majorité. Dans le camp présidentiel, on redoute les propositions de loi qui seront portées le 12 octobre par le Rassemblement national, lors de sa niche parlementaire. Ce jour-là, le parti d'extrême droite pourra fixer l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, avec des textes qu'il a choisis. Et pour le groupe dirigé par Marine Le Pen, qui a présenté mardi 19 septembre le programme de cette journée, rien de mieux que d'y glisser des textes consensuels pour embarrasser ses adversaires politiques. Et ainsi poursuivre son entreprise de normalisation.

Dans cette niche parlementaire, il y a notamment une proposition de loi qui symbolise cette stratégie du Rassemblement national de ne pas cliver pour gagner en respectabilité : le texte "visant à soutenir les femmes qui souffrent d'endométriose", pour que cette maladie soit reconnue comme une affection de longue durée (ALD).

Le sujet n'a pas été choisi au hasard : il fait consensus au sein de tous les groupes représentés au Palais-Bourbon. En janvier 2022, une résolution défendue par la députée La France insoumise Clémentine Autain en faveur de la reconnaissance de la maladie comme une ALD avait été votée à l'unanimité des 111 voix exprimées. D'ailleurs, à l'époque, un seul député RN s'était prononcé favorablement, les autres étant absents. "Au RN, ils se réveillent à la 25e heure et découvrent la situation", dénonce aujourd'hui Sandrine Rousseau, députée EELV.

"C'est une proposition de loi d'opportunisme politique, qui ne leur fait pas honneur."

Sandrine Rousseau, députée EELV

à franceinfo

Le Rassemblement national assure défendre une avancée sanitaire pour les femmes qui souffrent de cette maladie liée à la présence de cellules d'origine utérine en dehors de l'utérus. "Personne n'est propriétaire d'un sujet précis, il n'y a pas de chasse gardée", se défend Emmanuel Taché de la Pagerie, député RN des Bouches-du-Rhône et rapporteur du texte.

"Tant pis si c'est le RN"

En attendant cette fameuse niche parlementaire du 12 octobre, chaque groupe tente de définir une stratégie face à ce texte du parti d'extrême droite, avec des réunions prévues dans les prochains jours pour nombre d'entre eux. Au sein de la majorité, l'embarras est palpable et les divisions sur l'attitude à avoir face au RN refont jour. "On n'est pas prêts de voter un texte du RN, mais on peut réécrire", affirme un cadre de Renaissance. En clair : voter un amendement de réécriture qui dise peu ou prou la même chose, mais qui permettrait d'éviter de voter la proposition de loi du groupe de Marine Le Pen. La piste, comme celle du rejet du texte, a été abordée lundi lors d'une réunion du bureau du groupe, selon l'AFP. 

"Ça ne changera pas la perception des gens, s'agace un député macroniste. In fine, si ça arrive en séance, on adoptera une proposition de loi RN, personne ne verra ou comprendra la réécriture". Le même juge "complètement con" de rejeter a priori un texte du RN, alors que la question doit de nouveau être abordée mardi prochain.

"Si on me dit que c'est une bonne chose et que ça fait avancer la cause, je fais plutôt partie des personnes qui pensent qu'il faut le voter."

Un député Renaissance

à franceinfo

Du côté du MoDem, la position du groupe n'est pas encore arrêtée, mais l'opposition de principe à un texte du RN n'est pas de mise. "On doit encore analyser la proposition de loi, mais l'idée, c'est de se prononcer sur le fond du texte et de l'améliorer si nécessaire. Tant pis si c'est le RN, livre l'entourage de Jean-Paul Mattei, le président du groupe MoDem. Mais il faut que ce texte soit utile, car il y a déjà eu un plan sur le sujet [annoncé en janvier 2022 par Emmanuel Macron] et on va analyser son efficacité avant."

Chez Horizons, autre allié du parti présidentiel au sein de la majorité, cet autre député n'est pas loin de partager le même avis : "On est bien contents parfois d'avoir les voix du RN pour faire passer des textes. Si ça marche dans un sens, pourquoi ça ne marcherait pas dans l'autre ? Il faut être lucide !" Ce dernier n'est toutefois pas dupe de la stratégie du groupe de Marine Le Pen.

"Ils utilisent leurs niches parlementaires comme des pièges... C'est la stratégie du coucou : ils se mettent dans le nid des autres."

Un député Horizons

à franceinfo

"C'est un piège qui peut être grossier, mais qui est ennuyeux", traduit, embarrassé, un autre député du parti d'Edouard Philippe.

Un décret pour court-circuiter le texte ?

Faut-il voter une proposition de loi d'un ennemi politique ou maintenir un cordon sanitaire autour des idées d'extrême droite, aux dépens d'une proposition qui fait pourtant l'unanimité ? La Nupes penche pour la seconde solution. "Le Rassemblement national est dans une stratégie de banalisation", a dénoncé lundi la cheffe de file des députés écologistes, Cyrielle Chatelain, s'exprimant au nom de l'alliance des partis de gauche. "On verra comment on réagit à cette niche mais en aucun cas (...) il n'y aura de position commune entre nous et le Rassemblement national", a-t-elle insisté. Le PS, lui, abordera le sujet en réunion de groupe dans les prochains jours.

Pour contrer le texte, la députée LFI Clémentine Autain a demandé mardi au ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, de prendre un décret pour faire reconnaître l'endométriose comme une ALD. "Aucune réponse", assure une semaine plus tard la parlementaire, qui juge le texte du RN "mal fichu". Et elle n'est pas la seule à demander au ministre d'intervenir. "Le RN fait des coups (...) Il faut que le ministère de la Santé prenne un décret", appuie le socialiste Jérôme Guedj. Contacté à ce sujet, le cabinet d'Aurélien Rousseau n'avait pas répondu, mardi en fin d'après-midi, aux questions de franceinfo.

Si cette piste aboutissait, le Rassemblement national assure qu'il n'en prendrait pas ombrage. "Qu'ils prennent un décret, j'en serais très content", affirme même Emmanuel Taché de la Pagerie. "Prendre un décret, ce n'est pas un front républicain. S'il y a un décret, ça veut dire qu'il y a une prise en charge correcte des femmes victimes. C'est dans l'intérêt général", se félicite également le député RN Jean-Philippe Tanguy.

Reste que, dans sa stratégie de normalisation, soigneusement appliquée depuis le début de la législature en juin 2022, le Rassemblement national n'a pour l'instant pas récolté de résultats concrets (pas un seul texte du groupe RN adopté). Même lorsqu'il a tenté de reprendre à son compte la proposition de loi LFI sur la réintégration des soignants non vaccinés, finalement retirée.

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