"Ils ont des boulets aux pieds, j'y vais léger comme l'air" : Fabien Roussel, le candidat communiste à la présidentielle qui détonne à gauche
Pour la première fois depuis 2007, le PCF présente sa propre candidature à la présidentielle avec Fabien Roussel. Cet ancien journaliste de 52 ans se démarque de ses concurrents de gauche par des prises de position singulières. Sans que cela soit, pour le moment, payant dans les sondages.
Fabien Roussel tient à le faire savoir, il est "au taquet, au top". "Je vais super bien", répète le candidat communiste dans son bureau du 5e étage situé au siège historique du parti, place du Colonel-Fabien, dans le 19e arrondissement de Paris. Quelques étages plus bas, dans le hall du célèbre bâtiment édifié par l'architecte brésilien Oscar Niemeyer, se presse une foule de visiteurs venue admirer l'exposition "Libres comme l'art" qui raconte 100 ans de relations entre les artistes et le Parti communiste français. "On a 100 ans et c'est comme si on était les petits nouveaux", se marre Fabien Roussel. Pour la première fois depuis 2007, le PCF sera présent à l'élection présidentielle.
Un café à la main, celui qui est aussi député du Nord depuis 2017 prend une pause entouré de ses proches, dont Olivier Marchais, coordinateur des événements de la campagne et fils de Georges Marchais, secrétaire général du PCF entre 1972 et 1994. Quelques instants plus tard, c'est le photographe de son affiche officielle qui vient lui rendre visite. "Fabien Roussel, la France des jours heureux", proclame le visuel de campagne aux couleurs criardes qui a été placardé sur la façade du siège. L'ancien journaliste, originaire de Béthune (Pas-de-Calais), a hésité en pleine flambée épidémique à maintenir ce slogan à rebours du climat actuel. "Et puis, pourquoi on n'y croirait pas ? Pourquoi reculer ? (…) On a vécu les Trente Glorieuses, je veux les Trente Heureuses", martèle le secrétaire national du PCF.
Un buzz à base de fromage et de bon vin
Fabien Roussel a donc du bonheur à revendre. Un défi dans la période actuelle.
"J'ai les pieds dans la glaise mais comme je suis communiste, j'ai la tête dans les étoiles et je rêve de bonheur pour tous."
Fabien Roussel, candidat du PCFà franceinfo
Avant de rendre la banane aux Français, Fabien Roussel peut au moins se vanter de rendre de nouveau visible un vieux parti qui avait disparu des radars médiatiques. Notamment grâce à un buzz gastronomique. Le 9 janvier, sur France 3, il affirme qu'"un bon vin, une bonne viande et un bon fromage, c'est la gastronomie française" avant d'ajouter que "le meilleur moyen de la défendre, c'est de permettre aux Français d'y avoir accès". "Et là, paf", mime Fabien Roussel avec ses mains. Tollé sur les réseaux sociaux, où certains à gauche ne goûtent guère ce ton franchouillard.
"Beaucoup de militants écologistes et LFI m'ont tapé dessus, certains m'ont même traité de suprémaciste blanc", dit-il en levant les yeux au ciel. L'écologiste Sandrine Rousseau lui rappelle que le couscous est le plat préféré des Français et qu'il est aussi "question de symbole, de symbolique, et de mots en politique". Au PCF, on tombe des nues. "La polémique aberrante sur la gastronomie révèle le fait qu'une partie de la gauche flotte à mille lieues au-dessus du réel et a tourné le dos aux questions de vie quotidienne", fustige Ian Brossat, le directeur de campagne de Fabien Roussel. "Cette polémique montre qu'il ne se laisse pas enfermer dans une espèce de boboïsation de la pensée", renchérit André Chassaigne, le président du groupe PCF à l'Assemblée. Elle permet surtout de faire parler de la candidature Roussel, et personne ne s'en cache.
"Cette polémique n'était pas préméditée mais oui, c'est un bon buzz, il y a un effet incontestable."
Ian Brossat, directeur de campagne de Fabien Rousselà franceinfo
La controverse lui vaut aussi les compliments de la droite et de la majorité présidentielle. "Total soutien", tweete par exemple le très droitier Eric Ciotti. "Si je dis que la Lune est ronde et que la droite le dit aussi, ce n'est pas pour autant que je vends mon âme", défend André Chassaigne. "Ils s'amusent à nous diviser, à nous opposer à gauche", fait mine de déplorer Fabien Roussel, qui n'est pourtant pas le dernier à jouer la différence à gauche.
Le quinquagénaire multiplie les prises de position singulières. Pro-chasse, pro-nucléaire, contre le revenu universel et "l'assistanat" mais pour "une France des hauts salaires et du travail", il veut aussi "investir dans la tranquillité publique et garantir à chacun le droit à la sécurité", "un sujet en partie abandonné par la gauche", dit-il. Il ne regrette d'ailleurs absolument pas sa participation à la manifestation des policiers devant l'Assemblée nationale qui avait fait polémique jusque dans son propre camp. "Les policiers dans ma ville de Saint-Amand-les-Eaux (Nord), je vis avec, je ne les traite pas de fascistes comme Mélenchon."
L'ombre du leader "insoumis"
Jean-Luc Mélenchon : le nom est lâché. C'est derrière le patron des "insoumis" que s'étaient rangés les communistes en 2012 et 2017, sous la bannière du Front de gauche. C'était alors la ligne de Pierre Laurent, l'ancien secrétaire national du PCF, avant qu'il ne soit remplacé, fin 2018, par Fabien Roussel, partisan de l'autonomie face à LFI. Entre les deux candidats à la présidentielle, les rapports sont devenus exécrables.
"Je ne mets pas d'odeur synthétique dans mes meetings. Moi, mes meetings, ils sont au naturel."
Fabien Roussel, candidat du PCFà franceinfo
"Ce serait triste si on ne présentait à la présidentielle que des gens connus qui ont fait trois tours", dit encore le patron du PCF pour mieux se démarquer de son concurrent. "La parole communiste n'est pas une décalcomanie de ce que peut porter Mélenchon", assène André Chassaigne, persuadé que son champion parle mieux à l'électorat populaire que le leader "insoumis".
"Je suis frappé de voir que sur le Facebook de Mélenchon, ils ne mettent que des trucs sur Fabien. Ils ne doivent pas être sereins", se réjouit un cadre communiste. Chez les "insoumis" justement, on temporise beaucoup. Fabien Roussel "marque fortement sa campagne pour essayer de se démarquer de nous, ça l'entraîne sur des critiques à notre égard et on franchit un palier qui me désole", soupire le député LFI Eric Coquerel.
"Il veut à tout prix prouver la nécessité d'être candidat en montrant que l'on aurait des désaccords importants. Il les surjoue un peu."
Eric Coquerel, député LFIà franceinfo
Les "insoumis" espèrent encore raccrocher le wagon Roussel à la locomotive Mélenchon. "Pas de polémiques publiques avec lui. Si on refait ensemble la même chose qu'en 2017, le second tour est atteignable", affirme le député LFI Alexis Corbière. C'est peu dire que Fabien Roussel leur oppose une fin de non-recevoir. "C'est impossible. No way. Never. Niet. Dans toutes les langues. Jamais. En aucune manière nous ne pourrons envisager de retirer la candidature, surtout à un moment où nous sentons que ça frémit."
"Ils s'auto-plombent"
Pour l'heure, le frémissement est tout relatif. Dans les sondages, le candidat communiste tourne autour des 2%. "Il y a une dynamique de popularité avec une vraie progression dans le dernier baromètre Ifop [où il gagne 5 points de bonnes opinions]. Plus il sera connu, plus il progressera", veut croire Ian Brossat. Le récent buzz autour de la gastronomie est à leurs yeux un signe encourageant. Trompeur, répondent les "insoumis". "Les médias vantaient 'l'effet Brossat' et sa belle campagne aux européennes. Résultat : le score le plus bas du PCF et zéro député européen", se moque un responsable LFI. A défaut de convaincre Fabien Roussel, le parti de Jean-Luc Mélenchon a réussi à décrocher le ralliement du député PCF de Seine-Maritime, Sébastien Jumel, et promet qu'il sera suivi par d'autres.
"Il faut choisir le mieux placé à gauche pour bousculer le scénario de la réélection de Macron", se justifie Sébastien Jumel. Le parlementaire salue une candidature Roussel "courageuse et méritoire" mais qui "fait 2%". "Il faut se rassembler à gauche", prône-t-il encore. Se rassembler à gauche ? "Ce n'est pas le nombre de candidatures qui fait la différence, rétorque Fabien Roussel. En 2012, quand on additionne les candidatures, ça fait 43%. Là, ça fait 25%. Ils sont où les 20% qui manquent ?"
"Le problème, ce n'est pas le nombre de candidats à gauche mais la faiblesse idéologique de celle-ci et son incapacité à s'adresser à des millions de Français. Le sujet n'est pas de se rassembler pour faire 25%, mais d'élargir ce socle", explique Ian Brossat. C'est l'objectif que se fixe Fabien Roussel, bien décidé à prendre le contre-pied de la morosité à gauche. Tout à coup, il se lève de son fauteuil et écarte ses bras. "Ils ont des boulets aux pieds, moi j'y vais léger comme l'air ! J'y vais parce que j'y crois, parce que j'ai envie. Eux, on a l'impression qu'ils ne sont pas heureux. Ils s'auto-plombent."
Pour son équipe, la présidentielle "est déjà réussie". "On avait quasiment disparu du paysage politique, on avait du mal à apparaître dans les médias. Maintenant, on a une visibilité politique et on développe notre programme", se réjouit André Chassaigne. Pas de quoi satisfaire Fabien Roussel, qui affiche désormais sa gourmandise. "Certains disent que c'est gagné parce qu'on est rentrés dans le paysage, mais c'est trop faible comme objectif. Je souhaite que l'on arrive à convaincre une majorité du peuple de voter de nouveau à gauche." Ambitieux. "J'espère que dans les 80 jours qui nous séparent du premier tour, on va faire le tour du monde !" Reste à savoir si le ballon Roussel va décoller.
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