Présidentielle 2022 : comment l'espoir d'une primaire à gauche s'est (quasiment) envolé
Alors que l'appel d'Anne Hidalgo est resté lettre morte, les dernières chances de rassemblement reposent désormais sur la Primaire populaire fin janvier, à laquelle seule Christiane Taubira a choisi de se plier pour le moment.
Dans le monde merveilleux de la gauche française, les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. En enterrant sa propre primaire de la gauche lors de la célébration du 26e anniversaire de la mort de François Mitterrand, samedi 8 janvier à Jarnac (Charente), Anne Hidalgo n'imaginait peut-être pas que Christiane Taubira remettrait une pièce dans la machine le lendemain. "J'accepte les règles de la Primaire populaire et j'en accepterai le verdict (...) C'est la dernière chance d'une union possible de la gauche et j'invite les autres candidats de gauche et écologistes à en faire autant", a lancé dimanche l'ancienne garde des Sceaux, lors d'un déplacement à Bondy (Seine-Saint-Denis).
La Primaire populaire, cette initiative citoyenne indépendante des partis politiques, organise un vote entre les 27 et 30 janvier pour tenter de faire émerger un candidat unique à gauche, capable de "faire gagner l'écologie et la justice sociale en 2022". Si Christiane Taubira est donc prête à se plier au résultat de ce scrutin inédit, les noms d'autres candidats comme Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot ou encore Anne Hidalgo seront également soumis au vote, avec ou sans leur accord. "Nous saluons la décision de Christiane Taubira, car le fait qu'elle conditionne sa candidature au résultat de la Primaire populaire va dans le sens du rassemblement. Autrement dit, elle n'ajoutera pas une candidature de plus si elle n'est pas désignée", rapporte à franceinfo Mathilde Imer, l'une des porte-parole de la Primaire populaire.
"La gauche en confettis"
Cet énième rebondissement est intervenu alors que les cinq principaux candidats de gauche se regardent en chiens de faïence depuis des semaines. Et le coup de poker d'Anne Hidalgo, qui a appelé à l'organisation d'une primaire de toute la gauche, le 8 décembre dernier sur le plateau du "20 heures" de TF1, n'a pas fait bouger les lignes. La candidate socialiste, créditée de 3% à 5% des intentions de vote, reste à la peine dans les sondages. Des socialistes aux "insoumis" en passant par les écologistes et les communistes, aucun candidat de gauche ne semble, en l'état, capable d'atteindre le second tour de la présidentielle. Loin s'en faut.
La semaine dernière, Yannick Jadot a définitivement sonné le glas d'une candidature unique pourtant plébiscitée par 85% des électeurs de gauche, selon un sondage Elabe publié le 21 décembre. Le candidat écolo renvoyant vertement dans ses cordes la maire de Paris, qui le pressait une nouvelle fois d'y participer : "Quand c'est non, c'est non", a-t-il martelé, en comparant les velléités d'union de la gauche à un suicide collectif digne de la secte du Temple solaire.
"Chacun va donc porter ses couleurs. Ce sera plus difficile, mais la politique réserve de belles surprises", a réagi Anne Hidalgo dans Libération. Avant d'accuser l'eurodéputé EELV de "prendre une très lourde responsabilité". "La gauche en confettis, c'est la gauche mortifère. Au moins, on ne pourra pas nous reprocher de ne pas avoir essayé, affirme Patrick Kanner à franceinfo. Maintenant, on sait qu'il n'y aura pas de primaire à gauche, c'est fini", concède, dépité, le président du groupe socialiste au Sénat.
"Les Verts veulent tuer le PS"
Chez les écologistes, pourtant, tout le monde ne voyait pas l'idée d'une union de la gauche d'un mauvais œil, à commencer par Sandrine Rousseau, la finaliste malheureuse de la primaire écolo. "La non-participation à une primaire de la gauche a été tranchée démocratiquement avec la victoire de Yannick Jadot lors de notre primaire interne. Il faut respecter ce choix", explique-t-elle à franceinfo, tout en admettant que cette décision pourrait laisser des traces auprès d'une partie de l'électorat potentiel du candidat des Verts.
"Il va aussi falloir faire cicatriser très vite la blessure provoquée chez nos électeurs par cette union impossible à gauche."
Sandrine Rousseau, ex-candidate à la primaire écologisteà franceinfo
Malgré les coups de téléphone et même plusieurs rencontres entre les proches d'Anne Hidalgo et de Yannick Jadot tout au long du mois de décembre, il n'y aura donc pas de terrain d'entente. Selon plusieurs ténors socialistes, si l'eurodéputé EELV a rejeté en bloc cette idée d'une primaire à gauche, c'est avant tout parce que les Verts ont "une stratégie d'élimination définitive du PS". D'après un député socialiste, "les écologistes sont dans une démarche jusqu'au-boutiste, ils veulent prendre l'ascendant sur le PS et le tuer". Un autre parlementaire va même plus loin et soupçonne les Verts de se focaliser uniquement sur "leur nombre de candidats aux élections législatives" et sur "les sous qu'ils pourront récupérer en cas de victoire dans les circonscriptions".
Dans l'entourage de Yannick Jadot, les justifications sont bien différentes. Ses soutiens rappellent que le candidat a déjà remporté une primaire citoyenne et que son programme est d'ores et déjà ficelé. "Yannick a proposé à Anne Hidalgo d'être sa Première ministre et elle a refusé. Nous pensons surtout qu'elle a lancé cette idée de primaire pour essayer de trouver une porte de sortie à sa campagne calamiteuse et faire oublier ses sondages catastrophiques", tacle sèchement un membre de l'équipe de campagne du candidat vert.
Mélenchon, toujours le mieux placé
La porte fermée par Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon l'a claquée depuis bien longtemps. L'ancien ministre socialiste de Lionel Jospin et candidat pour la troisième fois à l'élection présidentielle ne veut pas entendre parler de cette primaire. Pour lui, il existe beaucoup trop de divergences programmatiques avec les autres écuries de gauche. Et à moins de 100 jours de l'élection présidentielle, "il n'est pas sérieux" de vouloir élaborer un projet politique commun.
Le candidat de La France insoumise, qui a récemment qualifié Anne Hidalgo de "François Hollande en pire", assure aussi que, dans l'histoire politique de la Ve République, la gauche n'a jamais été unie au premier tour lorsqu'elle a gagné. "En 1981, François Mitterrand a gagné alors qu'il y avait un candidat communiste [Georges Marchais] contre lui, alors qu'on était dans l'union de la gauche contre lui", a-t-il expliqué le 3 janvier sur France Inter.
Chez ses fidèles soutiens, on avance également d'autres arguments. En premier lieu, celui des sondages. "Personne à gauche ne peut dire aujourd'hui qu'il est mieux placé que nous. Nous sommes la seule liste à gauche à pouvoir accéder au second tour parce que nous sommes la seule force capable de rassembler l'électorat populaire et les classes moyennes", lance le député LFI Eric Coquerel. Confiant sur les chances de victoire de son champion (qui émerge en moyenne autour de 10 ou 11% dans les derniers sondages), le parlementaire de Seine-Saint-Denis rappelle aussi que Jean-Luc Mélenchon n'est pas "par principe contre le rassemblement" et qu'il continue de tendre la main à ses partenaires de gauche.
"Je pense que des composantes des Verts et du PS nous rejoindront. Il peut se passer des choses d'ici le premier tour de la présidentielle... Nous continuons de dire à Fabien Roussel [le candidat communiste] de nous rejoindre."
Eric Coquerel, député LFI de Seine-Saint-Denisà franceinfo
Du côté du Parti communiste justement, la primaire, c'est un grand "non" également. Pour le candidat Fabien Roussel, "on ne retrouvera pas l'espoir à gauche en réglant un problème de personne ou de nom". Selon le candidat crédité de 3% d'intentions de vote dans les sondages, "si Anne Hidalgo et Arnaud Montebourg [qui soutient la proposition de la maire de Paris] doutent de leur candidature, qu'ils viennent nous rejoindre".
"Personne ne se retirera au profit de Christiane Taubira"
Face à l'échec de la primaire à la sauce Hidalgo, tous les yeux sont donc rivés sur la Primaire populaire. Mais ce système d'arbitrage citoyen peut-il vraiment permettre à une gauche divisée de se rabibocher ? Dans l'entourage de Christiane Taubira, on est persuadé que ce processus est celui de la dernière chance. "La bataille de janvier, c'est la bataille de l'union pour Christiane Taubira. Elle préfère la primaire à l'impasse et elle sait qu'il lui reste encore du temps pour rassembler derrière elle", assure l'ancien parlementaire Christian Paul, qui pilote aujourd'hui le projet politique de la candidate.
Erwann Binet, ancien député PS qui a porté la loi sur le mariage pour tous avec l'ancienne garde des Sceaux durant le quinquennat de François Hollande, salue le choix "au-delà des partis et des egos" de l'ancienne ministre. "Christiane Taubira ne parle jamais pour ne rien dire et là, elle nous dit : 'Si je ne suis pas le catalyseur de l'union, je n'irai pas'", confie-t-il à franceinfo.
>> Présidentielle 2022 : comment Christiane Taubira s'est laissé convaincre d'entrer en campagne
Si Christiane Taubira venait à être désignée lors de ce scrutin citoyen, elle deviendrait toutefois la huitième candidate de gauche dans la course à l'Elysée, hypothéquant encore davantage les chances de son camp d'accéder au second tour. Pour l'heure, ses ambitions sont accueillies fraîchement chez les candidats déclarés. "Madame Taubira n'accroche pas dans les sondages car elle n'a pas de programme et je crois que les Français ne votent pas pour un personnage providentiel, mais avant tout pour un projet et des idées", juge Eric Coquerel. "Même si c'est une grande femme politique, personne ne se retirera à son profit. Christiane Taubira a voulu provoquer un effet 'wahou' autour de sa candidature, mais il n'y a pas d'effet du tout !", assène de son coté Patrick Kanner.
Quelle campagne après la primaire ?
Quelle que soit l'issue de la Primaire populaire, pour laquelle 120 000 électeurs ont à ce jour confirmé leur participation, un ralliement de tous derrière le vainqueur apparaît très hypothétique. "L'idée de cette Primaire populaire est louable, mais je me demande comment cette communauté va évoluer s'il n'y a pas d'union. Est-ce que vous croyez vraiment qu'on peut obliger ces citoyens libres à faire campagne pour le vainqueur de cette primaire ? Bien sûr que non, ils feront ce qu'ils veulent et ils auront bien raison", lâche une proche de Yannick Jadot.
"Si le 30 janvier, Jean-Luc Mélenchon ou Yannick Jadot l'emportent, et même s'ils ont été mauvais joueurs avec nous, nous serons quand même très déterminés à faire campagne pour eux, ce sont les règles de la Primaire populaire", tente de rassurer Samuel Grzybowski, le jeune porte-parole de la Primaire populaire, qui espère attirer 300 000 votants.
En attendant ce rendez-vous décisif, les cinq principaux candidats de gauche et Christiane Taubira continuent de mener leur campagne, chacun dans leur coin. Jean-Luc Mélenchon sera par exemple en meeting à Nantes dimanche. Anne Hidalgo présentera, elle, son programme complet jeudi, avant un meeting à Paris le 22 janvier. Yannick Jadot attendra pour sa part le 29 pour lever le voile sur le projet définitif des écologistes. Quant à la presque candidate Christiane Taubira, elle compte multiplier les déplacements dans tout le pays.
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