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Référendum en Nouvelle-Calédonie : l'article à lire pour comprendre le troisième et dernier scrutin sur l'indépendance

Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial en Nouvelle-Calédonie
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Un bulletin de vote lors du deuxième référendum sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, le 4 octobre 2020. (DELPHINE MAYEUR / HANS LUCAS / AFP)

Les habitants de cet archipel situé à 17 000 km sont appelés aux urnes dimanche pour dire s'ils souhaitent quitter la République française. Mais cet ultime vote a lieu dans un contexte tendu.

Non, non et... non ? Après 2018 et 2020, les habitants de Nouvelle-Calédonie ont, dimanche 12 décembre, une troisième et dernière opportunité de se prononcer sur leur indépendance. La question qui leur sera posée est la même que pour les deux précédents référendums : "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?" Une simple phrase susceptible de tout changer et sur laquelle deux camps s'affrontent : les indépendantistes d'un côté, les loyalistes de l'autre. Franceinfo vous remet les idées au clair avant ce scrutin décisif.

Parlez-moi un peu de la Nouvelle-Calédonie d'abord...

La Nouvelle-Calédonie, qui baigne dans le Pacifique Sud, se situe à 17 000 km de Paris mais à seulement 1 500 km à l'est de l'Australie et à 1 800 km au nord de la Nouvelle-Zélande. L'archipel est divisé en trois provinces : la province Sud (avec le chef-lieu Nouméa), la province Nord et les îles Loyauté (Lifou, Maré, Ouvéa et Tiga). Les deux premières forment l'île principale, qu'on appelle "Grande Terre", et qui s'étend sur 500 km de long et 30 km de large

Nouméa, la seule grande ville du territoire, concentre les deux tiers des 271 000 habitants du "Caillou", le surnom donné à la Nouvelle-Calédonie. Deux communautés prédominent : les Mélanésiens, enracinés depuis plus de 2 000 ans, et les Européens, présents depuis environ cinq générations et descendants généralement des colons. Les autres populations, Asiatiques et Polynésiens, sont arrivées plus récemment au XXe siècle.

Ce territoire d'outre-mer dispose de sa propre monnaie, le franc pacifique français (100 CFP valent environ 80 centimes d'euro), et possède son propre régime de sécurité sociale, de sa propre allocation-chômage, de ses propres prestations familiales... La Nouvelle-Calédonie a aussi son gouvernement, qui est l'organe exécutif de la collectivité, et son Congrès. Enfin, il existe un Sénat coutumier compétent sur les questions touchant à la coutume et au statut personnel des Kanaks. L'Etat est, lui, représenté en Nouvelle-Calédonie par un Haut-Commissaire de la République.

Pourquoi ce référendum sur l'indépendance est-il organisé ?

Le processus d'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie remonte à plus de trente ans. Il trouve son origine après une décennie, celle des années 1980, marquée par des violences entre groupes kanaks et caldoches (essentiellement des descendants des colons d'origine européenne et vivant sur le territoire depuis plusieurs générations). Vous avez certainement entendu parler de la sanglante prise d'otage de la grotte d'Ouvéa en mai 1988 qui a fait 21 morts, 19 militants kanaks et 2 militaires. De ces événements tragiques découleront des négociations avec l'Etat français pour ouvrir le chemin vers la réconciliation. C'est ce qu'on appelle les accords de Matignon, signés en juin 1988, puis celui de Nouméa, paraphé dix ans plus tard, en mai 1998. Ce dernier prévoyait au total trois consultations si "la réponse des électeurs" aux deux premières était "négative" (le texte complet est ici).

Le Premier ministre Lionel Jospin donne une poignée au leader indépendantiste Roch Wamytan et au loyaliste Jacques Lafleur, le 5 mai 1998, après la signature de l'accord de Nouméa (Nouvelle-Calédonie). (PASCAL GUYOT / AFP)

Qu'ont répondu les Calédoniens aux deux premiers votes ?

Le "non" à l'indépendance l'a emporté à chaque fois mais les résultats étaient plus serrés que prévus : 56,67% des suffrages lors du premier référendum de novembre 2018, puis 53,26% à l'occasion du deuxième référendum d'octobre 2020. Pour ce troisième et dernier scrutin, ce sont environ 185 000 électeurs qui pourront se rendre dans les isoloirs.

Pour donner davantage d'influence à la population kanak, rendue minoritaire par des vagues successives d'immigration depuis la colonisation en 1853, l'accord de Nouméa a instauré des restrictions. Pour pouvoir voter, il faut être inscrit sur une "liste spéciale pour la consultation référendaire". Et pour y être inscrit, il faut répondre à certains critères, en justifiant par exemple "d'une durée de 20 ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie".

L'association Un cœur, une voix, qui réclame l'ouverture à tout le corps électoral, estime à 43 000 (sur 271 000 habitants) le nombre d'électeurs potentiels exclus du scrutin : il s'agit essentiellement de "zoreilles", comme ils sont surnommés sur place, des non-natifs qui ne sont ni caldoches, ni kanaks. 

Les indépendantistes ont-ils leurs chances cette fois-ci ?

Pas plus tard que "cet été", "la dynamique électorale était clairement dans le camp des indépendantistes", analyse l'anthropologue Benoît Trépied, spécialiste de la Nouvelle-Calédonie. "En deux ans, entre les deux premiers scrutins, l'écart de voix s'était resserré : 18 000 en 2018, un peu moins de 10 000 en 2020... Etrangement, ce sont les vaincus qui avaient plutôt le sourire, et les vainqueurs qui doutaient puisque leur raz-de-marée annoncé n'avait pas eu lieu."

Si on dessine la carte électorale de l'archipel, "on se retrouve en effet devant un pays coupé quasiment à parts égales, avec deux grands blocs", remarque Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique à l'université de la Nouvelle-Calédonie. "Et surtout, élection après élection, malgré la percée indépendantiste lors du deuxième référendum, on observe une sorte de stabilité et d'imperméabilité des électorats." 

"Peu d'électeurs vont changer de camp : ceux qui ont voté oui voteront oui, et ceux qui ont voté non voteront non.

Pierre-Christophe Pantz

à franceinfo

Concrètement, "c'est donc le taux de participation dans chaque camp qui va compter, reprend l'anthropologue Benoît Trépied. On établit à 25 000 le nombre d'abstentionnistes, ce sont eux le dernier réservoir de voix."

J'ai entendu dire qu'ils refusaient de participer à ce scrutin...

En effet, les indépendantistes ont fait savoir qu'ils ne souhaitaient pas participer au référendum. Ils considèrent que l'épidémie de Covid-19 rend "impossible" la tenue d'une "campagne équitable" à cause des nombreux décès et des restrictions sanitaires. L'archipel, qui a vécu sans le virus pendant un an et demi, a été rattrapé à la rentrée, avec 270 morts en six semaines pour une population de 271 000 habitants.

Les indépendantistes ont demandé à plusieurs reprises à la France de reporter le vote de quelques mois en 2022. Refus catégorique de Paris. Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a donc dit à ses militants de "rester chez eux" le 12 décembre. Le Palika (Parti de libération kanak) estime de son côté qu'il s'agit d'une "provocation politique" de l'Etat. 

Cette décision s'apparente à une véritable déclaration de guerre contre le peuple kanak et les citoyens progressistes du pays.

Le porte-parole du Palika

dans un communiqué

Mais quelle valeur aura le résultat du scrutin ?

Les indépendantiste ont prévenu qu'ils ne reconnaîtraient pas le résultat qui sortira des urnes le 12 décembre. "Quelle lecture pourra-t-on en faire ? Quel sens aura-t-il ?", s'interroge Benoît Trépied. "Ça promet un drôle de référendum", constate, amer, Pierre-Christophe Pantz.

"Quelle que soit l'issue le 12 décembre au soir, rien ne sera réglé, ça nous maintient dans une forme d'impasse."

Pierre-Christophe Pantz

à franceinfo

Jean-François Merle, ancien conseiller de Michel Rocard, qui a suivi la négociation des accords de Matignon à la fin des années 1980, est lui aussi "perplexe". "En décidant de maintenir le référendum, je trouve qu'Emmanuel Macron engage la Nouvelle-Calédonie dans une aventure incertaine, s'étonne-t-il auprès de franceinfo. Je crains qu'il n'y ait que des perdants le 13 au matin."

De son côté, le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, répond que "la non-participation est un droit en démocratie". Selon lui, "le fait de ne pas participer n'emportera pas de doute sur la sincérité" du scrutin et cela "n'empêche pas qu'il soit légitime au sens juridique du terme".

Des tensions pourraient-elles éclater ?

Malgré son appel au boycott, le FLNKS demande aux maires indépendantistes d'assurer "le déroulement normal" du scrutin. Il n'appelle pas à la violence mais il n'exclut pas "des débordements" le jour du vote du fait "de jeunes sensibles à la cause indépendantiste" qui ne suivent pas les consignes.

Pour assurer la sécurité du référendum, 1 400 gendarmes, 250 militaires et une centaine de policiers ont été envoyés en renforts. Le tout accompagné de 160 véhicules légers, 30 engins blindés, deux hélicoptères Puma et un avion Casa de l'armée. Et l'antenne locale du GIGN a aussi été renforcée "pour faire face à tous types de situation".

"Ce n'est pas un scrutin classique au titre des enjeux et des attentes", justifie le général de gendarmerie Christophe Marietti, en charge de l'opération. "Ce dispositif compte deux fois plus d'effectifs que lors du premier référendum en 2018. Il se veut rassurant, dissuasif et réactif." 

Que se passera-t-il si le "oui" l'emporte ?

La Nouvelle-Calédonie quitterait la République française pour former un Etat souverain, qui exercerait l'ensemble des compétences régaliennes (justice, maintien de l'ordre, éducation, santé...). C'est ce qui est écrit noir sur blanc dans le document officiel dévoilé par l'Etat. Intitulé "Discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie", il détaille sur 104 pages les conséquences économiques, juridiques et sociales d'une victoire du "oui" ou du "non" à la troisième consultation. 

Le document officiel qui détaille les conséquences d’une victoire du "oui" ou du "non", le 12 décembre 2021, à la troisième consultation référendaire en Nouvelle-Calédonie. (GOUVERNEMENT DE LA NOUVELLE-CALEDONIE)

Pour autant, si le "oui" l'emporte dimanche 12 décembre, la France ne prévoit pas de se désengager des affaires calédoniennes du jour au lendemain. "La sécurité, l'ordre public, la monnaie, la justice continueront d'être assurés par la France", le temps d'une période de transition, qui doit durer dix-huit mois, jusqu'au 30 juin 2023, afin d'aboutir à la rédaction d'une Constitution.

Et si le "non" est à nouveau majoritaire ?

Dans le document officiel, cette partie tient en une petite douzaine de pages (à partir de la page 42), contre une quarantaine en cas de victoire du "oui". Preuve que ce scénario suscite, de fait, beaucoup moins de changements et de questionnements qu'une sortie de la République française. La Nouvelle-Calédonie resterait une collectivité française et sa population "conservera la nationalité et la citoyenneté française, ainsi que la citoyenneté européenne".

Fin de l'histoire ? Pas tout à fait. Tout ne serait pas terminé le 13 décembre au matin : le choix du maintien dans la France et la fin de l'accord de Nouméa ne constituent en effet pas en soi la consécration du statu quo actuel. Les partenaires politiques devront là encore se réunir pendant la période de transition pour "examiner la situation ainsi créée" et coucher sur le papier un nouveau statut pour l'archipel au sein de la République française. Et ce nouveau texte sera lui-même soumis à référendum à l'issue de cette transition, peut-on lire page 45. 

J'ai eu la flemme de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ? ;)

Le 12 décembre, les habitants de Nouvelle-Calédonie sont invités à dire une troisième et dernière fois s'ils veulent rester ou quitter la République française. Lors des deux derniers référendums, en 2018 et 2020, ils avaient d'une courte tête répondu "non" à la question suivante : "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?" 

Mais pour cette ultime consultation, un adversaire inattendu a fait son apparition : le Covid-19. Les indépendantistes, qui estiment ne pas pouvoir faire campagne, ont demandé à l'Etat de repousser le scrutin à l'an prochain. En vain. Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a donc fait savoir qu'il ne participerait pas au vote et qu'il ne reconnaîtrait pas le résultat.

En cas de victoire du "oui", les 271 000 habitants de l'archipel, surnommé le "caillou", quitteraient la République française pour former un Etat indépendant, après avoir observé une période de transition de dix-huit mois. En cas de nouvelle victoire du "non", la Nouvelle-Calédonie resterait une collectivité française mais un nouveau statut serait alors débattu.

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