Elle porte une fleur rouge dans les cheveux, l'air un peu mélancolique. Sur d'autres photos, elle sourit, à côté de sa sœur jumelle, Jessica. Dans un grand silence, des images de la courte vie de Laëtitia Perrais ont défilé devant la cour d'assises de Nantes (Loire-Atlantique), jeudi 30 mai. Jusqu'à ce fameux cliché diffusé après sa disparition, près de Pornic, le 19 janvier 2011 (ci-dessus). Laëtitia, 19 ans, vient de croiser la route de Tony Meilhon, jugé pour l'avoir étranglée, poignardée et découpée.
La septième journée de son procès a été entièrement consacrée à la personnalité de la victime. Pour la faire revivre, une dernière fois. Mais aussi pour comprendre comment cette jolie brune aux yeux malicieux, dépeinte comme "sage" et "réservée", a pu se laisser embarquer dans une telle virée funeste avec l'accusé, écumant les bars et consommant de la cocaïne.
L'une des clés réside peut-être dans le témoignage de sa meilleure amie, Caroline*. En larmes, celle-ci est venue confirmer à la cour que Laëtitia lui avait confiée, peu de temps avant sa mort, avoir été violée par le père de sa famille d'accueil, Gilles Patron. C'est
l'affaire dans l'affaire, qui ne cesse d'interférer dans le procès de Tony Meilhon. Gilles Patron est en effet poursuivi pour viols et agressions sexuelles sur six personnes, dont Jessica Perrais et Caroline. Cette dernière est la première à avoir porté plainte, à l'été 2010.
Appelé à témoigner jeudi après-midi, Gilles Patron, qui s'est vu refuser par la cour sa constitution de partie civile, a démenti avec force les allégations de Caroline : "Je n'ai jamais touché à un cheveu de Laëtitia, je le jure sur la tête de mes enfants et petits-enfants." Sa femme et ses deux filles, également appelées à la barre, ont fait bloc derrière lui, soulignant l'attachement, avéré, de Laëtitia pour sa famille d'accueil. Michèle Patron admet avoir interdit à Caroline d'assister aux obsèques de son amie, pour "le tort causé à son mari".
Cette institutrice à la retraite note toutefois un changement de comportement chez Laëtitia une semaine avant sa mort. "Un soir, elle est sortie très tard. Elle parlait beaucoup avec sa sœur. Elle se rongeait les ongles. Il s'est passé quelque chose début janvier", analyse-t-elle a posteriori. Sa fille Oriane, dont Laëtitia était très proche, se souvient avec remords que cette dernière avait souhaité lui parler à trois reprises, lors d'une fête de famille pour la nouvelle année.
C'est aussi à cette période que Laëtitia écrit des lettres testamentaires, retrouvées lors d'une perquisition dans sa chambre. Elle y fait part de son intention de se suicider, précise qu'elle souhaite faire don de ses organes et écrit cette phrase, énigmatique : "Regardez autour de vous, il n'y a pas que moi qui ment." Les Patron se disent "surpris" par la teneur de ces lettres. Même s'ils reconnaissent que Laëtitia était "secrète, peut-être même trop secrète". Elle ne leur parlait jamais de sa vie amicale et amoureuse.
Sur ces suspicions de viol de Laëtitia par Gilles Patron, "il n'y aura jamais de vérité judiciaire", pointe Cécile de Oliveira, l'avocate de Jessica. Mais en vue du procès de Gilles Patron, prévu pour début 2014, elle note une tentative, de la part de l'intéressé et de sa famille, de "déstabiliser" Jessica, en affirmant que "Laëtitia reprochait à sa sœur d'afficher son homosexualité", alors qu'il n'en a jamais été question, puis qu'"elle ne supportait plus Jessica".
De l'avis de plusieurs témoins, les sœurs jumelles étaient pourtant très proches. Elles ont grandi dans un climat de violence avant d'être placées à l'âge de 8 ans. Leur père,
Franck Perrais, a en effet été condamné pour viol sur son épouse. Celle-ci souffre de
"dépression chronique". Malgré tout, les deux sœurs ont gardé des liens avec leurs parents biologiques. Chaque année, aux fêtes de famille, c'est la même douleur.
"Jessica est là, mais il manque la moitié", répètent ces derniers. Leurs prénoms se confondent encore dans la bouche de certains.
"Laëtitia a eu 21 ans le 4 mai, pardon Jessica", rectifie son éducatrice.
Arrivées chez les Patron à l'âge de 13 ans, elles y ont longtemps partagé la même chambre. Jessica, plus "protectrice" et plus prolixe, "portait la parole commune", se souvient leur ancienne référente au conseil général de Loire-Atlantique. Présente dans la salle de la cour d'assises ce jeudi, Jessica n'a pas pu parler pour sa sœur. Trop "difficile". Son éducatrice s'en est chargée, donnant la mesure du "traumatisme" laissé par les circonstances de la mort de Laëtitia. Employée de cuisine, Jessica a longtemps eu du mal à manipuler la viande rouge, et à la découper. Certains jours, elle ne peut pas parler et communique avec ses collègues par petits papiers. Très suivie sur le plan psychologique, elle vit aujourd'hui dans un appartement avec d'autres jeunes en difficulté, la solitude lui étant "insupportable". Placée sous curatelle, elle a obtenu le statut de travailleuse handicapée.
Ce statut avait également été envisagé pour Laëtitia, qui présentait des difficultés dans son apprentissage à l'Hôtel de Nantes, à la Bernerie-en-Retz. Les professionnels qui l'ont suivie évoquent "sa grande fragilité et son immaturité", qui contrastaient avec son "désir d'autonomie" et sa "persévérance dans le travail". Laëtitia aurait manifesté, après ses 18 ans, le désir de quitter les Patron. "Les jeunes qui grandissent en famille d'accueil sont très cadrés pendant des années, d'où leur envie de liberté", explique son ancienne éducatrice. "Laëtitia cherchait à s'émanciper. Je me demande si elle n'a pas été attirée par l'âge de Tony Meilhon (31 ans)", poursuit-elle, soulignant le "contrôle" exercé par Gilles Patron sur l'emploi du temps des filles Perrais. "Il veut qu'on reste toujours avec des petits", avait dit de lui Laëtitia Perrais. C'est avec un "grand" qu'elle est sortie ce 18 janvier au soir. Pour le pire.
Car si Laëtitia était très encadrée de l'extérieur,
"elle n'avait pas les barrières intérieures nécessaires pour reconnaître le danger", conclut l'éducatrice. Le destin de celle qui rêvait
"d'aller vivre à Tahiti" avec sa sœur s'est achevé dans un étang de Lavau-sur-Loire. Et pour cela, les proches de Laëtitia réclament la peine maximum pour Tony Meilhon. Lui-même
"pense qu'il ne mérite pas de vivre" après avoir
"commis l'irréparable".
"Je me hais pour ce que j'ai fait", marmonne-t-il, après avoir entendu toute la journée la
"souffrance" des proches de Laëtitia, qu'il décrit - pour la première fois - comme
"une fille superbe, pleine de vie, franche et sincère". La cour retient son souffle. Va-t-il reconnaître l'intégralité des faits ? Non.
"Monsieur X", qui se serait chargé du démembrement, refait surface.
"Pourquoi ne pas le nommer ?", insiste Cécile de Oliveira. La réponse de Tony Meilhon sonne comme un aveu :
"Pour ne pas paraître plus désagréable que je ne le suis."
*Le prénom a été modifié
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