Punitions à l'école : jusqu'où peut-on aller ?
Un mois de prison avec sursis a été requis mardi contre un instituteur qui avait collé une étiquette sur le front d'une élève pour la punir. L'occasion pour francetv info de revenir sur les sanctions autorisées à l'école.
Il a collé une étiquette sur le front d'une élève de 10 ans qu'il trouvait dissipée. Pour ce geste, un instituteur de l'école de Bretteville (Manche) est poursuivi pour "violence aggravée", après une plainte des parents de la fillette. Le parquet a requis, mardi 4 juin, une peine d'un mois de prison avec sursis contre lui, devant le tribunal correctionnel de Cherbourg, selon France 3 Basse-Normandie. Le tribunal rendra sa décision le 2 juillet.
En attendant, l'enseignant est suspendu. Agé de 51 ans, dont vingt-neuf ans de carrière, cet homme est "connu dans la communauté scolaire pour l'originalité de ses méthodes", selon France Info. Mardi, il a expliqué qu'il avait "choisi l'humour pour faire passer son message", mais qu'il s'agissait "d'une mauvaise décision", rapporte France 3. Jusqu'où la punition peut-elle aller à l'école ? Eléments de réponse.
Quelles punitions sont bannies ?
La sanction par l'humiliation n'a plus lieu d'être. Les faits qui valent à cet enseignant de Bretteville une comparution devant le tribunal l'illustrent. Ils se sont déroulés le 22 mars. "Ce jour-là, lors d'un atelier de travaux manuels (découpage et collage), une des élèves, âgée de 10 ans, se montre moins rapide que ses camarades. Ce que le professeur prend pour une provocation. Pour la punir, il prend un tube de colle, lui en étale sur le front et y colle un papier. (...) Après ce geste du professeur, plusieurs élèves ont eux aussi collé des papiers sur le visage de la fillette", raconte France 3 Basse-Normandie.
Or "les punitions infligées doivent respecter la personne de l'élève et sa dignité : sont proscrites en conséquence toutes les formes de violence physique ou verbale, toute attitude humiliante, vexatoire ou dégradante à l'égard des élèves", indique le Bulletin officiel du ministère de l'Education nationale du 13 juillet 2000. "Humilier un enfant n'est jamais une bonne punition", estime Nathalie Anton, auteure de L'Art d'enseigner. Contactée par francetv info, cette enseignante et psychologue blogueuse n'est pas surprise de la réaction des camarades de la fillette : "Un éducateur se doit d'être exemplaire. S'il commence à adopter un comportement violent, alors la violence devient la règle."
Finis aussi le bonnet d'âne et le piquet : aujourd'hui, le règlement imposé à toutes les écoles interdit aux enseignants de mettre leurs élèves au coin, sans surveillance. Les châtiments corporels sont également interdits, et un élève ne peut être privé de la totalité de la récréation à titre de punition, selon la circulaire de l'Education nationale du 6 juin 1991 (PDF). Dans les collèges et les lycées, donner des lignes à copier ou attribuer un zéro à un élève pour sanctionner son comportement est proscrit.
Quelles punitions sont autorisées ?
"Les seules punitions dont l'instituteur puisse faire usage sont les mauvais points ; la réprimande ; la privation partielle de la récréation ; la retenue après la classe, sous la surveillance de l'instituteur ; l'exclusion temporaire", indiquait déjà un arrêté de 1887.
"Il est permis d'isoler de ses camarades, momentanément et sous surveillance, un enfant difficile ou dont le comportement peut être dangereux pour lui-même ou pour les autres", précise la circulaire de 1991. Modifiée par celles du 20 juillet 1992 et du 29 juin 1994, c'est elle qui définit le cadre dans lequel peut s'exercer la gestion de la discipline à l'école primaire.
Ensuite, chaque école a le droit de définir son propre règlement intérieur et de diversifier les punitions. "Dans chaque département, un règlement pose le cadre. Dans chaque école primaire (élémentaire et maternelle), le premier conseil d'école vote le règlement intérieur de l'école. (...) En tout état de cause, si des sanctions ou punitions sont mises en œuvre dans l'école, il conviendrait qu'elles soient prévues dans le règlement", indique Vincent Breton, ancien instituteur devenu inspecteur de l'Education nationale, sur son site La classe interactive.fr.
Quelles punitions sont réellement appliquées ?
"Je punis peu, la punition étant quelque part un échec. Néanmoins, elle est nécessaire, parfois. Alors je n'ai aucun scrupule à la donner. Cela peut être de bêtes lignes à copier, une partie de la récré passée avec moi à s'expliquer, un mot d'excuse à rédiger...", confie Lucien Marbœuf, professeur des écoles et auteur du blog L'instit'humeurs sur francetv info.
"Je donne rarement des lignes à copier. Dès que possible, je donne une punition qui a à voir avec la bêtise. Par exemple, je demande de l'expliquer par écrit. Ou si un élève lance un papier, il doit ramasser tous ceux qui traînent dans la classe", relate une institutrice qui enseigne dans la Drôme, contactée par francetv info. "Dans mon école, la plupart des problèmes sont liés à un conflit entre élèves. Dans ce cas, ils passent une bonne partie de la récré près de nous et ils n'ont pas le droit d'aller jouer. Si le problème est plus grave, j'écris un mot aux parents", précise-t-elle.
"La punition doit être exceptionnelle et sa gestion doit concerner peu d'élèves, être rapide et discrète. C'est souvent en perdant du temps pour contrôler les punitions des uns que les autres se dissipent", estime Vincent Breton. Il n'est pas favorable à la punition collective, "l'idéal pour souder une classe contre l'adulte", selon lui. En revanche, il prône la valorisation de l'élève, pour l'encourager.
Quelles punitions sont vraiment efficaces ?
"Penser à valoriser la réussite et les progrès, même infimes, plutôt que se focaliser sur les faux pas" : c'est aussi l'avis de Nathalie Anton. "Il faut penser enfin à différer les punitions données, pour ne pas le faire sous le coup de la colère", ajoute-t-elle. Pour appliquer ces conseils, elle suggère les solutions suivantes : "Pour une leçon non sue, on peut proposer à l'élève un soutien individualisé afin de lui donner plus de temps pour l'apprendre ; un cahier mal tenu : lui demander de le recopier proprement pour qu'il apprenne mieux son cours en l'aidant à bien calligraphier ; un comportement violent à l'égard des camarades : isoler momentanément l'enfant du groupe pour qu'il se calme, puis discuter avec lui de son attitude..."
Psychologue clinicienne, spécialiste des enfants et des adolescents, Geneviève Henry, interrogée par francetv info, estime qu'il faut faire la distinction entre l'acte et la personne. "On peut dire à un enfant : 'ce que tu as fait n'est pas bien, mais tu n'es pas méchant'." Elle recommande aussi de prendre du temps pour dialoguer avec l'enfant, plutôt que de lui demander de copier des lignes ou de l'exclure d'une salle de cours, car cela n'a "aucun effet".
"Comme cette fillette 'dissipée' dans la Manche, certains élèves ne sont pas disponibles. Cela ne signifie pas qu'ils ne sont pas motivés, mais qu'ils rencontrent des difficultés dans leur développement, plus ou moins importantes", explique Geneviève Henry. Selon elle, "humilier un élève, comme cet enseignant l'a fait, n'incitera pas un enfant à obéir. En plus de cela, l'humiliation laissera des empreintes psychologiques et aura des répercussions sur l'image qu'il a de lui-même".
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