: Vidéo "Est-ce qu'il y a une Année du cochon, du cheval... de l'homme ?" En 1975, "l'Année de la femme" fait descendre les féministes dans la rue
8 mars 1975 : à Paris, des milliers de personnes défilent de Bastille à la place d'Italie. Il y a longtemps (bien avant son officialisation deux ans plus tard) que la journée du 8 mars est dédiée, dans de nombreux pays, à la lutte pour les droits des femmes. Les effervescentes années 1970 voient ces revendications prendre de l'ampleur, portées notamment par le tout jeune Mouvement de libération des femmes (MLF).
C'est à son appel que ce jour-là, les manifestantes protestent contre "l'Année de la femme". "Rien que l'appellation, on trouvait ça absolument épouvantable", se souvient Martine Storti, alors journaliste à Libération. "LA femme n'existe pas, souligne l'historienne Marie-Jo Bonnet, elle aussi membre du MLF. C'est une entité, on pourrait dire, masculine. C'est l'éternel féminin de l'homme, qui est toujours en quête de LA femme."
"Ni l'ONU ni Giroud ne parleront pour nous"
Cette "Année de LA femme" qui hérisse les féministes est une mauvaise traduction du "Women's Year" (littéralement "Année DES femmes") initié par l'organisation des Nations unies partout dans le monde en vue de contribuer à améliorer leur condition. "Une erreur qui en dit long sur le peu de culture féministe de l'époque, en tout cas au niveau du gouvernement", pointe Sylvie Pierre-Brossolette, alors conseillère de Françoise Giroud, secrétaire d'Etat chargée de la Condition féminine (1974-1976).
Cette dernière, journaliste réputée, vient d'inaugurer la fonction créée par le président Giscard d'Estaing ‒ une première mondiale. Mais les manifestantes, qui scandent "Ni l'ONU ni Giroud ne parleront pour nous" n'en attendent strictement rien ‒ et du gouvernement de droite, encore moins. Elles le soupçonnent même de chercher à récupérer la révolte des femmes, maladroitement et à peu de frais.
"On dit 'Il y a une Année de la femme, donc après ça, on n'en parlera plus. On a réglé le problème, on est tranquilles'."
Anne Zelensky, militante du MLF(extrait de reportage, archives de l'INA)
Alors, dans la rue, les manifestantes s'en donnent à cœur joie. En farandole, elles esquissent les "trois pas en avant, trois pas en arrière, trois pas sur le côté, trois pas de l'autre côté" d'une comptine célèbre dont elles revisitent les paroles : "Les hommes savent plus quoi faire / pour nous remettre au pas / Voilà qu'ils nous libèrent / il nous manquait plus que ça / Ils causent de nous dans les forums / ils nous préparent des p'tites réformes…" Du jamais vu dans les manifs, où le pas était d'habitude plutôt martial, avec service d'ordre casqué en tête de cortège… mais c'est cet humour qui faisait la force du MLF, rappellent Marie-Jo Bonnet et Martine Sorti.
Ce 8 mars 1975, la contestation ne va pas en rester là. A quelques kilomètres du cortège se tient le Salon des arts ménagers. Pour les féministes, le progrès domestique qu'il célèbre est surtout symbole de double journée de travail, et non, "Moulinex ne libère pas la femme", contrairement à ce que prétend la publicité. Elles n'en veulent plus, et elles vont le faire savoir... en envahissant les allées de l'exposition. L'accueil est tout sauf bienveillant. "Elles veulent se faire avorter [la loi Veil autorisant l'IVG a été votée trois mois auparavant, le 17 janvier], et puis elles demandent des crèches..." entend-on gronder sur leur passage. N'empêche, l'opération coup de poing fonctionne : le salon est contraint de fermer ses portes.
Extrait de "1975, l'année de la femme", un document à voir le 22 octobre 2023 dans "Affaires sensibles", une coproduction France Télévisions, France TV presse, France Inter et l’INA, adaptée d’une émission de France Inter.
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