Cet article date de plus de huit ans.

Complément d'enquête. La méthode Dan Reed

Le réalisateur britannique Dan Reed signe une minutieuse enquête sur les attentats de janvier, à voir dans "Complément d'enquête" le 7 janvier 2016, un an après l'attaque contre "Charlie Hebdo". Avant sa diffusion sur France 2, il a répondu aux questions de Francetv info.

Article rédigé par franceinfo - Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Dan Reed sur le plateau de "Complément d'enquête" (OLIVIA VILLAMY)

Dan Reed s'est fait connaître pour ses enquêtes d'une précision chirurgicale sur les attentats de Moscou en 2002, de Mumbai en 2008 ou de Nairobi en 2013. Quand la BBC et la chaîne américaine HBO lui commandent un documentaire sur les attentats de janvier 2015 à Paris, Dan Reed rencontre Luc Hermann, le gérant de la société Premières Lignes – voisine de Charlie Hebdo au moment des attaques. Premières Lignes décide de coproduire le documentaire, ainsi que France 2. Avant sa diffusion dans "Complément d'enquête" le jeudi 7 janvier, Dan Reed a bien voulu répondre à trois questions.

Francetv info : Un an après les attentats, on a l'impression d'avoir vu toutes les images, entendu tous les témoignages... Qu'est-ce que ce documentaire apporte de décisif ?
Dan Reed :
Une grande précision journalistique, car mes trois documentaires précédents m'ont demandé un énorme travail d'enquête. Ils m'ont obligé à apprendre comment établir précisément les faits. Pour celui-ci, comme nous avons réuni plusieurs chaînes, nous disposions de davantage de temps et de moyens. Face aux personnes que j'interviewe, l'expérience acquise sur les trois autres films me donne aussi une certaine "autorité" : je suis capable de leur montrer ce que je fais, ils reconnaissent l'authenticité de mon travail (certains n'aiment pas... mais heureusement c'est rare !), ça établit un rapport de confiance. Et puis, comme je suis anglais, j'ai un regard un peu décalé sur la France...

Bien sûr, il y a une couverture médiatique très importante en cette semaine de commémoration des attentats, il y a toujours le danger d'un excès d'images ou de témoignages. Je pense vraiment que ce film apporte quelque chose d'unique, qui est très défini : ce sont les événements racontés sur un mode intimiste, uniquement par ceux qui étaient là. J’essaie de faire en sorte que les gens me parlent comme s'ils étaient assis à côté de moi. C'est ce ton intime, cette expérience du vécu qui m'aident à créer une atmosphère particulière.

Trois documentaires (quatre avec celui-ci) sur des attentats, un CV qui doit aider à obtenir des images du GIGN... Comment se "spécialise-t-on" dans ce genre-là ?
Quand je suis allé au GIGN, effectivement, ils m'ont dit qu'ils me connaissaient déjà, qu'ils connaissaient mon travail – ce que j'étais ravi d'entendre, car je voudrais que mes documentaires soient utiles, et pas seulement au public. Je savais bien sûr que les forces de l'ordre travaillaient à partir de films très factuels, pour l'instruction et la formation, mais je ne savais pas que les miens étaient connus hors du monde anglophone. Cela m'a facilité l'accès à leurs images – ce qui, en France, est assez compliqué.

Comment je me suis "spécialisé" dans le genre ? Par accident... En 2002, je travaillais à la réalisation d'une fiction dont j'avais écrit le scénario. J'ai tout de même décidé de faire assez rapidement un dernier documentaire, et j'ai travaillé sur la prise d'otages du théâtre de la Doubrovka, à Moscou, qui m'a passionné. Parler russe m'a aidé à convaincre les gens de témoigner, d'autant que les Russes, contrairement aux Français qui vont avoir des réactions de pudeur, se livrent très facilement. C'étaient eux mes plus beaux témoins ! Ils n'ont aucun mal à évoquer des sentiments très douloureux qu'un Français essaierait de cacher. En Inde, c'est encore autre chose. Lors du tournage de mon documentaire Terror in Mumbai (lien en anglais), j'ai pu constater que les Indiens n'ont pas de gêne à évoquer le sang ou la souffrance, ils le font d'une façon assez détachée.

Parmi les témoins des attaques de janvier 2015, certains vous ont particulièrement marqué ?
J'adore Patrick Deschamps, le monsieur dont les frères Kouachi ont réquisitionné la voiture (juste après avoir abattu douze personnes, dont dix dessinateurs de Charlie Hebdo). Il a cette phrase très jolie : "Merde, un car-jacking !" En Angleterre (où le film a été diffusé le 6 janvier 2016), je pense qu'on a adoré qu'il récupère son chien sur la banquette arrière avant de laisser sa Clio aux terroristes... C'est un type très costaud, qui n'a pas été trop marqué par ce qu'il a vécu, je pense.

Il y a aussi la caissière (de l'Hyper Cacher) bien sûr, qui a été extraordinaire et a témoigné avec beaucoup de courage. Et puis l'agent de la voirie, Laurent, qui m'a raconté face caméra une histoire pratiquement inédite : celle de sa lutte au corps à corps avec Amedy Coulibaly le jeudi (après que celui-ci a abattu la policière de Montrouge). J'ai souvent été très ému. Le plus troublant : ces mots de Jean-Pierre Tourtier, le médecin-chef des pompiers, interviewé le 13 novembre trois heures avant les attaques : "Et tout ça n'est pas fini..."

"Au cœur des attaques", une enquête réalisée par Dan Reed diffusée dans "Complément d'enquête" le 7 janvier 2016 sur France 2.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.