Trêve de quatre jours à Gaza, conflit au Proche-Orient, guerre en Ukraine... Le "8h30 franceinfo" de Jean-Yves Le Drian
Jean-Yves Le Drian, ancien ministre des Affaires étrangères et représentant personnel du président de la République pour le Liban, était l'invité du "8h30 franceinfo", mercredi 22 novembre 2023 Trêve de quatre jours à Gaza, conflit au Proche-Orient, guerre en Ukraine... Il répondait à Jérôme Chapuis et Salhia Brakhlia.
Accord entre Israël et le Hamas : "Le mot trêve n'est plus tabou"
Pour Jean-Yves Le Drian, ancien ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, l'accord d'Israël avec le Hamas "montre deux choses". D'abord, "que le mot trêve n’est plus tabou", explique-t-il. Depuis le 7 octobre, la trêve "n'était pas envisageable pour les autorités israéliennes". Ensuite, cet accord montre que "des canaux fonctionnent" entre les parties. "On peut indirectement se parler."
L'accord entre Israël et le Hamas survenu dans la nuit de mardi à mercredi prévoit la libération de 50 otages aux mains du Hamas en échange de la libération de prisonniers palestiniens et une trêve de quatre jours dans la bande de Gaza. "Quatre jours, ce n'est pas rien", analyse Jean-Yves Le Drian qui salue le rôle important joué par le Qatar et les États-Unis dans les négociations.
Au-delà des explications, pour le représentant officiel du président de la République au Liban, cet accord est aussi "une bonne nouvelle", la "première depuis le 7 octobre". Toutefois, l'ancien ministre reste prudent : "Tant que les choses ne sont pas faites, elles ne sont pas faites. J'attends avec impatience de voir les images des otages libérés". "De là à ce que la trêve puisse aboutir à un cessez-le-feu, il n'y a qu’un pas et j'espère qu'il sera franchi."
Gaza : "Il ne faudrait pas que la volonté d’éradiquer le Hamas ne joue l'effet boomerang"
En attendant, "il ne faut jamais oublier ce qui s’est passé le 7 octobre". Jean-Yves Le Drian revient sur l'attaque du Hamas en Israël qu'il qualifie d'"insupportable" et rappelle le positionnement de la France : "Je comprends qu’Israël estime devoir riposter parce qu'il est en légitime défense. Mais, poursuit-il, d’un autre côté, il ne faudrait pas que la volonté d’éradiquer le Hamas ne joue l'effet boomerang". Jean-Yves Le Drian s'explique. Selon lui, il ne faudrait pas que les actions "extrêmement violentes" menées actuellement par Israël, "fassent en sorte qu'un peuple palestinien sans avenir, sans perspective puisse se réfugier dans la violence".
L'ancien ministre craint les attaques de demain et confie ne pas voir "l’effet final recherché". L'objectif d'Israël n'est pas clair d'après lui : "Éradiquer le Hamas, oui. Mais le Hamas ce n’est pas qu’une organisation". Pour lui, le sujet est bien plus vaste et soulève d'autres questions : "On ne va pas sortir les deux millions de Palestiniens qui habitent dans la bande de Gaza. Ils vont rester là. Il faudra donc bien traiter cette question. À quel moment on s'arrête ? À quel moment on dit que le Hamas est éradiqué ?", questionne-t-il sans pouvoir apporter de réponse. Il souhaite donc que cette période de trêve puisse "peut-être" être "le point de départ d'une réflexion sur le jour d’après", car "il faudra bien se poser la question du jour d'après".
Conflit au Proche-Orient : "Le grand vainqueur pour l'instant, pour moi, c'est l'Iran"
Après 47 jours de guerre entre Israël et le Hamas, "le grand vainqueur pour l'instant, pour moi, c'est l'Iran", estime Jean-Yves Le Drian. Pour l'ancien ministre, la "hantise" de Téhéran, "c'est la force que peut représenter l'Arabie saoudite", ennemi de l'Iran. Le régime craignait qu'une "réorganisation régionale" au Proche-Orient, à travers le rapprochement qui était engagé entre Ryad et Israël et qui est suspendu depuis l'attaque du Hamas, ne se fasse "à son détriment". Donc, selon Jean-Yves Le Drian, le drame du 7 octobre "sert l'Iran" : "Parce que le massacre initié par le Hamas a d'abord permis d'éviter la normalisation entre l'Arabie saoudite et Israël. C'était sans doute le premier but recherché".
Par ailleurs, "l'Iran part vainqueur de la situation parce que la question palestinienne est revenue au centre et il s'en fait le porte-parole. Il s'en fait leader. Il s'en fait le défenseur. Et il montre qu'il n'y a pas d'invulnérabilité d'Israël aujourd'hui (...) et que l'action violente paye". Sans oublier le fait que la communauté internationale détourne ainsi son regard de la situation intérieure en Iran : "Pendant ce temps-là, ils poursuivent leurs efforts de renforcement de leurs possibilités nucléaires et ils poursuivent leurs efforts en matière de technologie des missiles. Ils poursuivent leurs efforts dans le spatial. Bref, pendant ce temps-là, l'Iran continue à asseoir son autorité."
Conflit au Proche-Orient : "On voit les tensions s'accroître au Sud-Liban"
Jean-Yves Le Drian, qui occupe aujourd'hui la fonction d'envoyé spécial d'Emmanuel Macron pour le Liban, s'inquiète aussi de la situation au nord d'Israël avec la menace du Hezbollah, soutien du Hamas : "On voit les tensions s'accroître au Sud-Liban avec des échanges de tirs, avec des dizaines de morts dont on parle peu, y compris deux de vos collègues qui ont été tués hier au Sud-Liban", des journalistes de la chaîne de télévision Al Mayadeen qui couvraient les bombardements israéliens dans la région.
"Les déclarations du leader [Hassan] Nasrallah du Hezbollah montrent qu'il n'a sans doute pas envie d'aller trop loin. Mais il faudrait que personne n'aille trop loin et les risques, si la tension se poursuit, c'est qu'il y ait des incidents qui ne puissent plus être maîtrisés, et à ce moment-là, une déflagration qui toucherait le Liban lui-même. Je pense qu'il peut y avoir des étincelles qui provoquent des embrasements plus grands", estime l'ancien ministre.
D'autant que le "pays est au bord de la guerre" au moment où il subit une crise politique majeure depuis plusieurs années, "il n'y a pas de président de la République, il n'y a pas de Premier ministre, puisqu'il ne fait que gérer les affaires courantes. Le gouvernement ne se réunit pas et l'Assemblée ne se réunit pas. (...) Qui commande le Liban ? Personne. Donc il est urgent que les Libanais prennent conscience qu'il en va de la vitalité de leur propre État".
Conflit au Proche-Orient : "C'est une aubaine pour Poutine, on ne parle plus de l'Ukraine"
Alors que le conflit au Proche-Orient entre dans une nouvelle phase avec l'accord de trêve conclu entre Israël et le Hamas, la guerre entre la Russie et l'Ukraine continue de rester au second plan. "C'est une bonne aubaine pour Poutine, on ne parle plus de l'Ukraine", déplore Jean-Yves Le Drian. Pour l'ancien ministre des Affaires étrangères, "c'est aussi pour lui une bonne nouvelle dans la mesure où le soutien militaire qu'apportent les Américains et les Européens, à la fois à Israël et à l'Ukraine risque d'être un peu compliqué", notamment car les capacités militaires "disponibles sont quand même relativement limitées".
Dans ce contexte, et avec les difficultés auxquelles fait face Kiev, notamment dans sa contre-offensive, il ne faut pas attendre du président russe qu'il décide de mettre fin à la guerre, observe l'ancien ministre des Affaires étrangères : "Je pense que Poutine ne réfléchit qu'en fonction de l'échéance américaine. Il faut se dire que l'année 2024 sera une année majeure en termes électoraux. On va voter aux États-Unis [pour la présidentielle] et on va aussi voter en Europe pour les élections européennes. On va peut-être voter en Ukraine."
"Ça veut dire que la Russie considère que l'arrivée de Trump est possible et, que si l'arrivée de Trump est au rendez-vous, alors ils pourront discuter plus facilement avec les Américains pour obtenir davantage de ce qu'ils le souhaitent en matière de négociations sur la crise ukrainienne", analyse Jean-Yves Le Drian, pour qui Vladimir Poutine "joue la montre".
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Retrouvez l'interview complète du "8h30 franceinfo" de Jean-Yves Le Drian :
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