Avoir tout perdu et fuir : des Ukrainiens sur les routes
Plus de deux millions et demi d'Ukrainiens ont fui leur pays depuis l'invasion de leur pays par la Russie, le 24 février. Et plus de 10 000 d'entre eux ont déjà pu se réfugier en France. Ce déracinement est une violence de plus dans toute la brutalité de la guerre. La solidarité s'organise partout en Europe.
Depuis le début du conflit, le 24 février dernier, des milliers d’ukrainiens sont obligés de fuir leur pays et partout, la solidarité avec eux s’organise. Plus de deux millions et demi d'entre eux ont déjà fui l'Ukraine. Décryptage de cette nouvelle violence pour eux dans cette guerre, avec la psychanalyste Claude Halmos.
franceinfo : Nous aimerions revenir avec vous, Claude Halmos, sur ce qu’une telle nécessité de fuir fait vivre, psychologiquement aux réfugiés, adultes et enfants.
Claude Halmos : Les Ukrainiens qui quittent leur pays le font alors qu’ils ont subi déjà une série de traumatismes : ils ont vécu dans la destruction, le risque de mort permanent pour eux, leurs enfants, leurs proches, et souvent même leur mort réelle ; dans un dénuement matériel total, le chaos, et la terreur.
Confrontés à un ennemi qui se dit tout puissant et décidé à les anéantir ; ce qui est terrifiant, comme un cauchemar qui deviendrait réalité. Et peut de plus réveiller, chez certaines personnes – parce qu’un traumatisme fait toujours ressurgir, inconsciemment, les précédents – la mémoire de souffrances antérieures. Et c’est dans cette situation de fragilité psychologique extrême, que ces Ukrainiens doivent fuir.
Qu'est-ce qu'une telle fuite représente, psychologiquement ?
C’est une épreuve terrible parce qu’au moment où ils auraient besoin, après tous ces bouleversements, de retrouver un univers familier et rassurant, ils doivent pour essayer de survivre, fuir vers l’inconnu ; en abandonnant – sans savoir d’ailleurs s’ils ne vont pas totalement disparaître – leur maison, leur monde professionnel, leurs proches (c’est-à-dire tout ce qui faisait, sur le plan matériel, et relationnel, leur vie).
Et donc perdre les traces de leur histoire, mais aussi beaucoup de leurs repères identitaires parce que la conscience que nous avons de nous-mêmes s’appuie aussi sur les choses familières, qui nous entourent.
Et c’est dans cet état de détresse, et de vulnérabilité qu’ils vont devoir, comme tous les exilés, d’une part faire le deuil de la vie qu’ils ont laissée derrière eux, et de la personne qu’ils ont été. Et d’autre part mettre en place, pour essayer de construire une nouvelle vie, de nouveaux repères. Ce qui est, sur le plan psychologique, un double travail, colossal.
Est-ce que c'est aussi difficile pour les enfants ?
C’est peut-être encore plus difficile pour les enfants parce qu’ils souffrent si l’on peut dire, doublement : ils ont vécu, sans toujours les comprendre, les mêmes traumatismes, et les mêmes pertes que leurs parents. Mais en plus ils ont souvent perdu – en ayant fait l’expérience de les voir eux-mêmes, totalement paniqués – quelque chose de la sécurité absolue que représentaient pour eux, leurs parents.
Il est donc essentiel d’accueillir ces réfugiés. Ils ont besoin qu’on les aide à avoir une vie dans laquelle ils n’aient plus ni faim, ni froid ; et des perspectives d’avenir. Mais ils ont besoin surtout de chaleur humaine, c’est-à-dire de gens qui entendent leur souffrance. Ils ont besoin d’humanité pour reconstruire ce que l’inhumain de cette guerre a détruit en eux ; et retrouver une place.
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