Cet article date de plus de huit ans.

Place de la République, la place des mots

Ils affluent toujours, place de la République. Jeunes, pas jeunes, travailleurs, lycéens, étudiants ou non. Elle est quadrillée par la police. Eux, viennent parler, échanger, rêver. La nuit, le jour.
Article rédigé par Nathalie Bourrus
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
  (La Nuit Debout et ses prises de paroles, place de la République, à Paris © MaxPPP)

Contrairement à ce que des journalistes qui ont perdu leurs yeux racontent...il ne se passe pas RIEN, sur cette place, dédiée à Charlie et aux attentats. Une place mille-feuille : mille-feuille, mille mots, mille idées, mille envies.

Il est 11h, tout est calme, jusque-là, tout va bien. Pas grand-chose à faire, à part trainer, regarder, s’inspirer. Rien, si ce n’est cette photo à prendre : une place de la République, quadrillée par la police. À droite… à gauche… devant… derrière. Au ciel ? Non, pas au ciel.

Police, comme des Playmobil 

Des dizaines de camions de CRS sont plantés là. J’en compte au moins vingt. Une grappe d’hommes traverse la place, au sol gris. D’un pas sérieux et sévèrement accoutrés. Ils procèdent à un relevé. Des passants pressés, les regardent, l’air presque amusé. Je les observe. On dirait des Playmobil. Des garçons, avec des chiens, les méprisent.

Il est midi. Des jeunes commencent à arriver. Il est 13h, Matthieu, prof de Lettres, explique comment il est bon de pousser son caillou. Il parle d’une œuvre littéraire, célèbre : le mythe de Sisyphe. On est place de la République, ou à la Sorbonne d’antan ? "Ben, ne vous moquez pas… asseyez-vous, plutôt ", me dit un jeune homme, qui fait office de passeur de parole.

Passeur de paroles 

Visiblement, il n’a pas vu de draps, ou de couettes, depuis un moment. Les yeux cernés, le regard aiguisé malgré la fatigue, il n’est pas étudiant. "Je suis là, depuis le début… je n’ai pas trop de boulot en ce moment ", me confie-t-il. Le début, au fait, c’était quand ? Il y a 13 jours… la place est envahie par la pensée et surtout l’envie d’être ensemble.

Depuis le 31 mars au soir, précisément. "Mais ça veut pas dire, que je suis un zonard ", ajoute immédiatement, le passeur de parole. Je m’assois, sur le rebord de la statue. Rebords,  inondés de petites bougies, depuis les attentats Charlie. "Donc, cet individu, dans le mythe de Sisyphe, pousse éternellement, cette pierre, pour échapper à sa volonté… " Le prof de lettres a abandonné le méga phone en papier et sorti un micro, un vrai.

Une Sorbonne? 

"Asseyez-vous, ne restez pas debout, sinon la police croit a un attroupement, et on ne pourra pas rester ", lance aux arrivants, le passeur de parole. Et les gens s’arrêtent, peu à peu. "La première condition du bonheur, poursuit Matthieu le prof de lettre, c’est d’accepter l’absurdité disait Camus… et être révolté, puis on finit par l’amour de la vie. "

Une fille : "Merci de m’avoir fait connaitre ce mythe. Et merci d’être là, tous… " Où suis-je ? Ah oui, place de la République, au cœur de Paris. La place mille-feuille… mille envies, mille désirs, mille rencontres. Les mots les mots les mots… qui s’accumulent ici, depuis Charlie, jusqu’à la loi El Khomri. Une place que l’on croyait, devenue mausolée… comme figée dans la douleur. Non. C’est la place la plus vivante qui soit. Celle où il se passe des choses, mine de rien.

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