Restaurateur dans les Côtes d'Armor : "pas facho" mais "pense à voter FN"
"Ici, on n'est pas dans un bureau... les 35 heures, je les fais en deux jours !"
Gérant d'une paillotte en bord de plage dans les Côtes-d'Armor, Christophe Bouquin est capable d'alpaguer le chaland en tongs pour causer politique en lui servant une galette complète au soleil couchant. Surtout quand il s'agit d'étriller "l'absurdité" du droit du travail dans la petite restauration saisonnière.
"Bouc", pour les habitués, loue la souplesse de ses employés, "déclarés en bonne et due forme mais capables de prendre un jour de congé au pied levé si le temps est mauvais" . Comme de "ne pas prendre de pause si ça booste" . La loi, elle, impose un planning à quinze jours et des horaires plus orthodoxes.
Grands-parents communistes, parents "socialos" et bulletin Mitterrand à 18 ans en 1981, Bouc avait "le cœur à gauche" . Depuis qu'il a repris le "Lolly papaye" sur la plage de Lancieux, il trouve surtout qu'on déprécie le travail en France :
"Demander aux chômeurs qui reçoivent les allocations de donner quelques heures à la collectivité, je ne vois pas ce que ça a de choquant. Au SMIC à 1.200 euros en revanche, j'aimerais bien qu'on m'explique comment un travailleur motivé peut vivre correctement."
Ouvert d'avril à octobre, il n'a pris que deux saisonniers cette année, au lieu de quatre l'an dernier. Vue la météo désastreuse et l'affluence maigrichonne de juillet (les campings du coin annoncent 40% de touristes en moins par exemple), il estime à mi-saison qu'il a été bien inspiré.
Entre 1500 et 2000 euros de loyer annuel
Moyennant un loyer "entre 1 500 et 2 000 euros l'année" versé à la mairie pour occupation du domaine public maritime, il anime durant sept mois sa paillotte, seul commerce à même la plage, hormis la cabane de location de bateaux et un glacier au bout de la rue. Chemise hawaïenne, boissons, galettes de blé noir, et deux concerts gratuits par semaine.
En dépit de variations du chiffre d'affaires "de un à dix parfois d'un jour sur l'autre", la devise du "Lolly Papaye" barde les t-shirts maison décorés d'une fleur de Tiaré : "Si t'as pas d'humour, fais demi-tour" . Ca ne vaut pas pour les politiques, "des comiques" qui tendent à le navrer.
À 49 ans, Bouc est de plus en plus sceptique sur la politique. Sa reconversion dans la restauration version micro-entreprise après un court passage dans la fonction publique et vingt années sur les routes comme commercial, n'y est pas pour rien : plus le temps passe et plus il fait grief aux politiques d'avoir "perdu le sens des réalités" .
"Petit patron, je ne me retrouve pas dans la politique"
Bouc a fini de rembourser le prêt sur cinq ans qui lui a permis de racheter aux précédents gérants le fond de commerce. C'était en 2003, au sortir de la canicule, année faste pour les buvettes côtières, même en Bretagne. Le prix (qui restera discret parce que, dit-il, un tel emplacement avec pignon sur baie "ça vaut un prix et ça ne vaut rien" ) s'en était ressenti. L'année suivante avait été désastreuse, il a failli boire la tasse, a "fait bosser les amis" , et s'en est remis finalement.
Aujourd'hui, malgré un attachement historique à la gauche, il juge que la classe politique ne fait rien pour lui "que ce soit la gauche ou la droite" .
A la dernière élection présidentielle, il était déjà à son compte depuis plus de trois ans. Un peu provoc, il dit pourtant qu'il avait "tiré à pile ou face" pour qui voter. Certes, il penche plus à droite aujourd'hui qu'autrefois. Mais il n'avait voté "ni Chirac ni Le Pen" en 2002 pour "ne pas choisir entre un comique et quelqu'un dont je me sens très loin des valeurs" .
Et cinq ans plus tard, Nicolas Sarzkoy ne l'avait pas convaincu plus spontanément que "Ségolène" "pas crédible même si c'est sûrement une femme charmante" . L'UMP ne séduit pas nécessairement le petit patron qu'il est.
"Je ne veux pas dire de mal de notre cher Président, mais je me sens quand même décalé. Sarko, c'est peut-être bien pour les gros patrons mais je me sens loin de tout ça."
"Tout sauf facho"
Bouc ne sait pas encore s'il ira voter en mai 2012. Ni surtout s'il aura le cran de se frotter au vote contestataire. Car il ne l'exclut plus tout à fait, même s'il précise aussitôt qu'il est "tout sauf raciste et facho" et s'est toujours senti "très loin de Jean-Marie Le Pen" . "Marine" pourrait bien être "plus maligne pour comprendre les préoccupations des gens" .
Le restaurateur gage en tous cas qu'il ne faudra pas s'étonner si elle se retrouve au second tour "parce que les gens en ont ras le bol" :
"Je crois qu'on est allé très loin dans la bétise. Je suis quelqu'un qui aime les gens, je ne suis pas raciste, mais je crois qu'il serait temps que les politiques s'occupent enfin des Français qui sont travailleurs. Qu'ils se réveillent une bonne fois s'ils ne veulent pas que les Français fassent n'importe quoi."
Voter FN au second tour lui semble à peu près impensable. Même s'il avait voté "non" au traité constitutionnel européen en 2005 ce n'était "pas le même 'non' que les souverainistes" . Il n'est "pas d'accord sur tout" et égraine ses divergences avec l'extrême-droite :
"Revenir au franc, fermer les frontières de manière extrême, dire que l'équipe de France n'est pas une équipe de France... ne disons pas n'importe quoi !"
Cependant, le coup de gueule le chatouille. Il l'a dit récemment à ses parents qui votent socialistes. Il assure qu'il est loin d'être isolé et qu'il entend de plus en plus de gens qui épousent son cheminement. Dans une région - assez - peu acquise au vote contestataire traditionnellement (7% pour Jean-Marie Le Pen et 2,94% pour Olivier Besancenot en 2007 à Lancieux), on sent qu'il n'est pas loin d'en être le premier étonné.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.