Bretagne: "Ne me parlez pas de la fin de notre modèle agricole!"
Quatre générations que l'on est
agriculteur chez les Merret. Le fief de la famille : Taulé, dans le Finistère
nord, près de Morlaix. C'est là que Thierry Merret produit artichauts et
échalotes. Il dirige une exploitation de 30
hectares. Il a quatre salariés à temps plein
et fait appel aussi à des saisonniers.
Son père élevait des veaux,
produisait salades, choux-fleurs et autres légumes. Le fils a préféré se
concentrer sur deux productions seulement, mais il les chérit et en parle avec
passion. "Le petit violet – comprenez
l'artichaut – c'est une merveille que beaucoup nous envient. Il se vend jusqu'en Italie" , explique-t-il. Ses échalotes ? Il en est encore plus
fier. "C'est une plante
particulière" , argumente-t-il. "Certains producteurs tentent de vendre des
oignons en les faisant passer pour échalotes. Mais ça n'a rien à voir. Ça
demande beaucoup plus d'attention, de temps, c'est une qualité bien supérieure.
D'ailleurs vous ne trouverez jamais à la carte d'un restaurant une bavette à
l'oignon. Tout le monde sait bien apprécier la bavette à
l'échalote" .
Tout ce qu'il produit, Thierry
Merret le livre à la SICA, un énorme groupement de producteurs basé à quelques
kilomètres de chez lui. La SICA vend ensuite aux grandes surfaces et aux
industriels. Le producteur se plaint des prix trop bas. Mais ne lui demandez pas
si ce modèle agroalimentaire breton intensif est à bout de souffle... Rien ne
l'énerve plus.
"C'est choquant de dire une chose pareille.
On a à la tête de ce pays des adeptes de la décroissance, des dogmatiques qui
doivent absolument revenir à la raison. Il y en a marre de ces Parisiens qui
voudraient nous voir tous avec trois canards, quatre poules, dix vaches et quelques rangs
de légumes, pour vendre en circuits courts. C'est ridicule. Cela fait bien
longtemps que l'agriculture, ça n'est plus ça du tout", s'emporte Thierry
Merret.
"La chair de poule quand j'ai dû
monter à la tribune"
C'est plus fort que lui. Il ne peut
pas s'en empêcher, il parle à la première personne du pluriel. On lui pose des
questions sur lui. Il répond " nous" .
Elu depuis huit ans président
départemental syndicat agricole FNSEA, il aime l'idée de défendre un collectif... "Un collectif de besogneux", ajoute-t-il.
Le succès des "Bonnets rouges" ? C'est une divine surprise pour
lui.
"Le 2 novembre, il s'est passé à Quimper
quelque chose d'exceptionnel. Je n'ai jamais vu ça en 25 ans de militantisme
syndical. C'était très fort. Une osmose grandiose. On a improvisé les prises de
parole. Je suis monté à la tribune. J'en avais la chair de poule" , confie
le quinquagénaire qui se prend à rêver d'une mobilisation encore plus importante
samedi prochain à Carhaix.
Les marées de "Bonnets rouges" et de
Gwen ha du, le drapeau breton, cela le bouleverse. Régionaliste, Thierry Merret ? Oui, et il assume. "Je me sens Finistérien avant tout. Puis
Breton. Ensuite, je me revendique Européen, mais certainement pas jacobin. Il y
a aujourd'hui bien trop de contraintes imposées par Paris, qui nous empêchent de
travailler et d'entreprendre librement chez nous" , s'agace le légumier.
"La galère tous les mois..."
Et
de lister les contraintes fiscales, sociales, administratives, écologiques.
Thierry Merret raconte la galère tous
les mois, les fournisseurs qui maintiennent la pression pour qu'il assure ses
règlements, les banquiers frileux, les comptes difficiles à boucler. "On commence par payer nos salariés. Et
ensuite on essaye de se payer, ma femme et moi, mais quand on arrive à se
dégager l'équivalent d'un SMIC pour deux, c'est déjà extraordinaire" ,
raconte-t-il.
Son épouse, c'est Martine. Ils sont
mariés depuis 30 ans. Soudés à la vie comme aux champs. Elle se concentre sur la
production de fleurs sous serre : chrysanthèmes, primevères, géraniums, etc.
Martine Merret reconnaît que depuis le début du mouvement des "Bonnets rouges" il
y a quatre mois, elle voit bien moins son mari, toujours parti en réunions,
assemblées générales et autres rassemblements. "Je dois me remonter les manches, travailler
encore plus sur l'exploitation, c'est sûr, mais c'est pour la bonne cause :
celle du monde paysan et de la Bretagne", explique la quinquagénaire qui
gère tout ce stress, en tirant sur sa cigarette.
Le couple a trois enfants. Le petit
dernier, Benoît, a 16 ans et a déjà choisi de s'orienter vers des études
spécialisées. Il est scolarisé dans un lycée agricole de la région.
Son père, bien qu'inquiet pour
l'avenir de l'agriculture en Bretagne, n'a pas souhaité le dissuader. Benoît est
passionné par la filière porcine. Il fait actuellement un stage chez un éleveur
de porcs.
- "Je trouve son combat très beau et je suis fier de lui"*
Un jeune homme admiratif de
l'engagement syndical de son père. "J'aime le voir et l'écouter quand il est sur
la tribune. Je trouve son combat très beau et je suis fier de lui" , confie
le garçon qui, comme son père, garde toujours un bonnet rouge dans la poche de son
manteau. Il fait assez doux dans le pays de Léon où ils vivent. Alors, ils ne le
portent pas si souvent au quotidien. Mais samedi à Carhaix, tous deux l'auront
bien sur la tête.
C'est en famille que Thierry Merret
ira manifester. En famille et calmement. Il promet que les agriculteurs, même
remontés, ne sont responsables d'aucune casse. "On a voulu leur prêter des violences qui ne
sont pas de leur fait" , ajoute l'agriculteur qui ne condamne pas pour
autant les destructions de portiques de ces dernières semaines. On est tenté de l'interroger aussi sur les
plaintes déposées contre lui par la SNCF en 1998 pour dégradations multiples au
cours d'un autre mouvement de colère. "C'est une vieille histoire" ,
répond-il.
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