L'étoile Bételgeuse révélée par le télescope spatial européen
Durant nos longues nuits d'hiver , elle trône, brillante et hautaine, au-dessus de l'horizon sud, entre 21 heures et minuit. Il s'agit de l'étoile Bételgeuse , à l'éclat orangé si frappant. A sa droite, la plus discrète Bellatrix. Au-dessous d'elles, le magnifique alignement des trois Rois, Alnitak, Alnilam et Mintaka, encore au-dessous, Saïph et Rigel, un diamant céleste qui, seul, surpasse légèrement Bételgeuse en éclat. C'est normal : la jeune supergéante Rigel est l'une des plus brillantes étoiles de la Galaxie.
Toutes ensemble, ces jeunes étoiles supergéantes dessinent dans le ciel la plus belle des constellations : Orion. Mais c'est vers la belle Bételgeuse qu'il faut lever les yeux, car cette brillante étoile tient une place très particulière, décisive, dans l'histoire de l'astronomie. Au XIX e siècle, les astronomes ont commencé à soupçonner qu'il s'agissait probablement d'une étoile tout à la fois très grande et relativement proche de la Terre. Et très vite, ils ont rêvé de la "résoudre", c'est à dire, en jargon d'astronome, de tenter de percevoir son disque, sa surface, et non plus seulement le point lumineux optique, sans dimension, offert par l'observation à la lunette ou au télescope : la taille de ce point lumineux, appelé " tache d'Airy ", est fictive, tributaire de la taille du miroir du télescope, mais ne représente pas le disque de l'étoile elle-même, infiniment plus petit.
En 1920 , sur ce haut-lieu de l'astronomie qu'est l'observatoire du mont Wilson, en Californie, deux astronomes, Albert Michelson et Francis Pease, décidèrent d'utiliser le plus grand télescope du monde , le nouveau télescope Hooker, équipé d'un miroir de 2,5 m de diamètre, pour, enfin, mesurer la taille réelle d'une étoile. Ils eurent l'idée d'utiliser une nouvelle technique optique, dite interférométrique, mise au point quelques décennies plus tôt par le Français Hippolyte Fizeau afin de "doper" le télescope : en installant au bout de son tube une poutre équipée de deux miroirs plans mobiles, à chaque extrémité, distantes de 6 m, le télescope Hooker devenait un télescope "virtuel" de 6 m de diamètre. Avec leur interféromètre, ce n'est pas le disque lui-même de l'étoile que les astronomes espéraient observer – un tel système ne peut pas former d'images – mais des franges d'interférences. En mesurant l'écart des deux miroirs
– mobiles – le long de la poutre, et en notant le moment où les franges disparaissaient, l'étoile, espéraient-ils, allait être "résolue", et une simple règle de trois – via le diamètre angulaire et la distance de l'étoile – donnerait, enfin, pour la première fois dans l'histoire de l'astronomie, le diamètre réel d'une étoile.
Oui, mais laquelle choisir ? Durant l'hiver californien, deux cibles clignotaient, complices, non loin l'une de l'autre, dans le ciel : Aldébaran du Taureau et Bételgeuse d'Orion . C'est cette dernière qui fut, pour la première fois, résolue et mesurée : Michelson et Pease découvrirent que la jolie étoile rubis qui trône à l'épaule nord-est du chasseur céleste, était un véritable monstre cosmique. Près d'un siècle après l'observation fondatrice de Michelson et Pease, on connaît mieux, bien sûr, les caractéristiques de Bételgeuse, mais les deux Américains avaient approché, déjà, les bonnes valeurs.
Bételgeuse est l'une des plus grandes étoiles connues dans la Galaxie . Son diamètre apparent (l'angle que sous-tend son disque dans le ciel), avoisine 0,05 seconde d'arc. Pour fixer les idées, un tel angle correspond à un détail de 90 mètres sur la Lune. C'est, aussi, le pouvoir de résolution (la capacité à observer des détails), d'un télescope de 2,5 m de diamètre, comme le télescope spatial Hubble, qui parvient, tout juste, d'ailleurs, en observant dans l'ultraviolet, à percevoir Bételgeuse comme un minuscule disque.
Pourtant , malgré près d'un siècle d'observations de Bételgeuse, dans la plupart des observatoires du monde et dans toutes les longueurs d'ondes possibles et imaginables, l'étoile supergéante rouge d'Orion demeure mystérieuse . Sa masse ? On ne la connaît pas, elle doit avoisiner dix à vingt fois la masse de notre propre Soleil. Sa distance ? Inconnue, elle doit approcher 500 années-lumière. Sa taille réelle ? Ignorant la distance de Bételgeuse, il est évidemment impossible de la connaître précisément : elle avoisine 1,4 milliard de kilomètres. Oui, c'est beaucoup : 1,4 milliard de kilomètres, c'est 1000 fois la taille du Soleil. Cela signifie que, placée par un coup de baguette magique à la place de notre Soleil, Bételgeuse engloberait Mercure, Vénus, la Terre, Mars et Jupiter. L'éclat réel de Bételgeuse, tributaire, lui aussi, bien sûr, de sa distance, approche celui de un million de Soleil...Après avoir mis tous ensemble ces chiffres dans la machine à calculer la vie des étoiles, sans oublier d'ajouter la température de sa surface – 3200 °C contre 5480 °C pour le Soleil, et maintenant vous savez pourquoi votre fille voit Bételgeuse rouge – les astronomes ont calculé que Bételgeuse est une très jeune... et très vieille étoile !
Jeune ? Dix millions d'années seulement, un souffle dans l'histoire cosmique. Vieille ? La magnifique étoile rouge d'Orion va bientôt disparaître dans l'éclair fulgurant d'une supernova. Actuellement l'étoile, après avoir brûlé une partie de ses réserves d'hydrogène, consume dans son cœur nucléaire de l'hélium, du carbone et de l'oxygène. Autour de ce cœur, porté à près de 100 millions de degrés, une coquille d'hydrogène continue de brûler. Un tel système est instable, d'ailleurs l'éclat et la taille de Bételgeuse varient légèrement au fil du temps : l'étoile a commencé à pulser. Dans les millénaires à venir, la forge nucléaire de Bételgeuse sera alimentée par du néon, du magnésium, du sodium, du silicium. Et puis viendra un jour – proche, mille ans, cent mille ans ? – où il ne restera plus, au cœur de l'étoile, que du fer. Même à un milliard de degrés, le fer ne peut fusionner pour créer un nouvel atome en libérant de l'énergie et conserver l'équilibre thermodynamique de l'étoile.
Privée brusquement d'énergie, en quelques heures, toute l'étoile – plus de dix milliards de milliards de milliards de tonnes, quand même... – s'effondrera brutalement . Implosion, puis explosion : l'éclair de la supernova sera visible dans toute la Galaxie, Orion aura perdu une étoile, et, avant de s'éteindre, la supernova brillera dans le ciel de la Terre, sa lumière intense portera ombres, son éclat rivalisera avec celui de la Pleine Lune.
Nous allions oublier la spectaculaire image qui ouvre cet article . Il s'agit, bien sûr, de Bételgeuse . Mais l'étoile est vue ici dans l'infrarouge lointain, avec le télescope spatial européen Herschel. L'image a été enregistrée, avec les capteurs infrarouges du télescope, à 70, 100 et 160 micromètres de longueur d'onde (l'œil humain voit autour de 0,5 micromètre). A une telle longueur d'onde, et avec un télescope de 3,5 m de diamètre, impossible, comme Michelson et Pease, de voir le détail de la surface de l'étoile. La résolution de cette image de Herschel avoisine six secondes d'arc, c'est dix fois mieux que l'œil nu, et comparable à... une paire de jumelles ! Évidemment, l'intérêt de l'image de Herschel est ailleurs : le champ de l'image, 25 minutes d'arc, comparable à la taille apparente de la Lune, révèle l'environnement, inconnu jusqu'ici, de l'étoile supergéante.
Au cours de sa vie mouvementée , Bételgeuse, tout en libérant une énergie colossale – environ un million de fois plus intense que celle que produit le Soleil – projette d'énormes quantités de gaz et de poussières autour d'elle. L'image infrarouge de Herschel "éteint" littéralement l'étoile elle-même, et révèle les immenses coquilles concentriques que la supergéante a libéré ces derniers milliers d'années. L'étoile se déplace, à 30 kilomètres par seconde , vers la nébuleuse que l'on voit à la gauche de l'image. Dans cinq mille ans, ces immenses coquilles, qui mesurent 10.000 milliards de kilomètres environ, soit une année-lumière, entreront en collision avec ce voile nébuleux, qui s'embrasera sous le choc. Puis, 2.500 ans plus tard, l'étoile elle-même traversera ce chaos de gaz et de poussières. A moins, bien sûr, que Bételgeuse n'ait explosé d'ici là.
Une dernière chose. Cet été, cet automne, si tout va bien, l'ESA, l'agence spatiale européenne, lancera dans le ciel le satellite Gaia . On parle assez peu de cette mission d'astrométrie fondamentale, parce que, peut-être, Gaia ne produira pas d'images, elle scannera le ciel entier, afin de dresser la carte de la Voie lactée, notre galaxie, en 3 D. Pour nos lecteurs que les étoiles font rêver, ceux qui, le soir, ne manquent pas de lever un œil vers le ciel, et repèrent Véga, Altaïr, Deneb, Régulus et l'Epi de la Vierge, qui scintillent silencieusement dans le ciel, ceux et celles qui reconnaissent ici Capella, Arcturus, Aldébaran – l'oeil rouge du Taureau – Antarès – la rivale de Mars – et là Rigel et Bételgeuse, les données de Gaia seront très précieuses, car le satellite européen, pour la première fois, mesurera exactement la distance des étoiles – et donc de Bételgeuse, bien sûr, avec une précision vertigineuse. Alors, Bételgeuse perdra de son mystère et de sa magie, peut-être : nous saurons tout, ou presque, de la belle supergéante rouge qui brille à l'épaule nord-est d'Orion.
D'autres images de Bételgeuse d'Orion sur le site de notre partenaire, Science & Vie.
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