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En direct de l'Europe. Condamnation record de la France pour une bavure policière

La France devra verser plus de 6,5 millions d'euros à Abdelkader Ghedir, victime d'un coma après son interpellation en 2004 dans une gare de région parisienne. 

Article rédigé par franceinfo, Anja Vogel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le bâtiment de la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg, conçu par l'architecte italien naturalisé britannique Richard Rogers (JEAN MARC LOOS / MAXPPP)

La Cour européenne des droits de l'homme vient de condamner la France à verser plus de 6,5 millions d'euros à Abdelkader Ghedir, victime d'un coma après son interpellation en 2004 par des agents de la sûreté ferroviaire et des policiers dans une gare de la région parisienne.

Une décision de justice historique

14 ans après, il reste paralysé et totalement dépendant. C'est une décision de justice historique, une condamnation à une compensation record pour des "traitements inhumains et dégradants" infligés à l'un de nos concitoyens : la France va devoir verser 6 539 950 € à Abdelkader Ghedir, cet homme victime de violences de la part d'agents de sûreté de la SNCF et de policiers lors de son interpellation, violences qui l'ont plongé plusieurs mois dans le coma, mais pour lesquelles la justice française n'avait finalement rendu que des non-lieu, lui demandant même de rembourser les indemnisations perçues.

Jamais l'Etat français n'avait été aussi lourdement condamné par la CEDH

Me Thuan Dit Dieudonné, avocat de la victime

"La Cour européenne des droits de l'homme vient d'en prendre le contre-pied et ce n'est que justice", se réjouit Me Thuan Dit Dieudonné, avocat au barreau de Strasbourg, qui le défendait devant la Cour aux côtés de son collègue parisien Me Ursulet. "Jamais l'Etat français n'avait été aussi lourdement condamné par la CEDH".  

Soupçonné à tort et passé à tabac 

Les faits remontent à novembre 2004 et se déroulent en gare de Mitry-Villeparisis en Seine-et-Marne. Abdelkader Gedhir est originaire de Villepinte, il a 21 ans, il erre dans la gare, est alcoolisé. Les agents du SUGE (Service de Surveillance générale), la police ferroviaire, le soupçonnent, à tort, d'avoir jeté des cailloux sur les trains, le contrôlent puis l'arrêtent de manière particulièrement musclée, en le précipitant à terre.

Alors qu'il est couché au sol, menotté dans le dos, l'un des agents lui porte un coup de genou au visage; un témoin évoque un coup de matraque lors de sa remise aux policiers. Une vingtaine de minutes plus tard, alors qu'il est conduit en garde à vue, il perd connaissance, tombe dans le coma, et lorsqu'il en sort  trois mois plus tard, il est souffre de nombreuses séquelles neurologiques, paralysé par une double hémiplégie et une incapacité partielle permanente estimée à 95%. 

La France n'a pas fait appel

L'information judiciaire à l'encontre des agents s'est conclue par un non-lieu, confirmé en appel puis en cassation. Agents de la SNCF et policiers se sont renvoyés la responsabilité, les versions divergeaient : ce non lieu constitue "un défaut d'explication satisfaisante et convaincante à l'origine des blessures constatées" avait jugé la Cour dès 2015, estimant "le faisceau d'indices suffisant" pour condamner la France pour traitement inhumain et dégradant. Donnant 6 mois au gouvernement et à la victime pour s'accorder sur une indemnisation. Ce ne fut pas le cas. D'où une nouvelle audience et ce deuxième arrêt au titre de la satisfaction équitable, en février 2018. La France avait trois mois pour demander un renvoi devant la Grande chambre de la CEDH, elle ne l'a pas fait.

Une condamnation lourde, pour une vie brisée

Aujourd'hui le gouvernement "prend acte de l'arrêt et va s'y conformer", en versant d'ici le 15 août les 6,5 millions d'euros pour l'ensemble des préjudices subis, moral et surtout matériels, les frais d'assistance sont très importants depuis 14 ans. Abdelkader Ghedir, sous tutelle, est toujours cloué dans un fauteuil et a besoin d'aide pour chaque geste. Il pourra maintenant s'acheter une maison équipée et accessible pour soulager son quotidien, rémunérer des personnes qui pourront l'assister 24h/24. La condamnation est lourde, y compris pour les contribuables, mais elle est proportionnelle au long feuilleton judiciaire qui a finalement conduit la France à devoir assumer ses responsabilités, et surtout au drame qui s'est joué ce 30 novembre 2004 et qui a brisé à jamais la vie d'un jeune homme, aujourd'hui âgé de 35 ans.

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