L'Europe, ambitieuse mais fragile
Malgré leur indignation, les 28 ont finalement renoncé à marquer le coup et à repousser l'ouverture des négociations de libre-échange. Bilan avec Thierry Repentin , ministre en charge des affaires européennes .
L'Europe restera-t-elle un "nain politique" comme le craint l'eurodéputé Vert Yannick Jadot , ou au contraire parviendra-t-elle à peser sur les États-Unis et à imposer ses normes, y compris sur la protection de la vie privée, en acceptant de s'asseoir à la table des négociations ? La question a taraudé les Européens dès la publication par le Spiegel puis le Guardian des allégations d'Edward Snowden sur l'espionnage des institutions et citoyens européens par les États-Unis.
Des pratiques qualifiées de scandaleuses, antidémocratiques, inacceptables de la part d'un partenaire et ami. "Visiblement nous ne sommes pas dans le fair-play " prôné par Barack Obama, s'indignait le ministre en charge des affaires européennes, Thierry Repentin, en la session du Parlement européen à Strasbourg où l'émotion et la colère étaient à leur comble.
L'Europe voit rouge, la fête est gâchée
L'indignation des Européens était telle qu'elle a gâché les cérémonies d'adhésion de la Croatie comme 28e État de l'Union ce 1er juillet, masqué le passage de relais entre la présidence irlandaise et lituanienne, et effacé les accords arrachés in extremis sur la réforme de la politique agricole commune et sur les perspectives financières 2014-2020, succès confirmés au dernier Conseil européen de Bruxelles.
Thierry Repentin rappelle l'importance de cet accord sur le budget européen, notamment pour l'emploi des jeunes et l'aide alimentaire, puisqu'il a permis, conformément au souhait du Parlement européen, d'entériner les 3,5 milliards d'euros pour le fonds européen d'aide aux plus démunis, soit un milliard de plus que la promesse initiale des chefs d'État et de gouvernement. La France a également soutenu la demande des eurodéputés d'une plus grande flexibilité et d'une révision à mi-parcours du budget européen.
Des normes et des droits
De la même manière, les Européens avaient réussi à surmonter leurs divergences sur l'accord de libre-échange avec les États-Unis et sur le mandat de négociation à confier à la Commission européenne. Comme le rappelle Thierry Repentin, la France est parvenue à imposer l'exception culturelle , mais sera aussi particulièrement vigilante sur les questions de défense et de sécurité, ou encore sur la protection des normes européennes, par exemple en matière d'organismes génétiquement modifiés.
Restait la délicate question de la protection des données et du respect de la vie privée , qui elle non plus ne figure pas dans le mandat de négociations. La commissaire européenne en charge de la Justice Viviane Reding , soutenue par le Parlement européen, est parvenue à l'en exclure : pour les Européens, il s'agit de droits qui n'ont pas à figurer dans des discussions commerciales, alors que les États-Unis les considèrent comme des normes et estimaient qu'elles devaient, à ce titre, être sur la table des négociations.
De fait, Viviane Reding négocie en vain depuis plus de deux ans avec les Américains sur les moyens de protéger les droits des citoyens européens contre la violation ou l'usage détourné de leurs données personnelles aux États-Unis. Elle réclame que les Européens aient les mêmes droits que les citoyens américains et qu'ils puissent saisir leurs tribunaux.
Pour rester unis, les Européens renoncent aux sanctions
En ce sens, l'affaire d'espionnage tombait à pic. Le programme américain de surveillance d'internet "Prism" et le contrôle des moyens de communication par l'agence nationale de sécurité NSA préoccupent les Européens depuis longtemps. Mais les révélations sur l'ampleur des écoutes étaient l'occasion de marquer le coup et de demander au moins le report, sinon le gel de l'ouverture des négociations de libre-échange jusqu'à ce que toute la lumière soit faite.
La France évoquait une suspension temporaire de 15 jours ; le Parlement européen semblait prêt à aller dans ce sens. Mais sans même attendre son vote (qui aurait été symbolique), la Commission et les États membres ont annoncé l'ouverture des discussions à la date prévue du 8 juillet . La France a préféré éviter le clash. Le lendemain les eurodéputés ont eux aussi renoncé à exiger un quelconque gel ou report ; même la demande d'accorder l'asile politique au "lanceur d'alerte", Edward Snowden, a été rejetée par une grande majorité.
Finalement, après avoir crié au scandale, les Européens préfèrent avaler des couleuvres , au nom de l'unité et de la défense des intérêts commerciaux et économiques des deux côtés de l'Atlantique. Les plus optimistes espèrent même que l'émotion suscitée par le scandale aura permis d'inverser le rapport de force, et qu'en acceptant de s'asseoir à la table des négociations, les Européens réussiront à imposer leurs normes aux Américains.
Ils ont en tout cas obtenu que parallèlement à ces négociations se tienne un groupe de travail sur les programmes américains de collecte de données et de renseignements, chargé également de faire la lumière sur les allégations d'espionnage. Des experts européens du renseignement y participeront aux côtés de leurs homologues américains. A la demande de la France, ces deux premières réunions se tiennent le même jour et dans la même ville, Washington. Reste à espérer qu'au delà du symbole, l'Europe aura fait le bon calcul, et ne se sera pas simplement couchée.
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