Au Japon, le programme des "apprentis techniques" venus de l'étranger dénoncé comme une "fabrique à esclave" par des ONG
On les appelle les "apprentis techniques". Harcelés, humiliés, battus… ces travailleurs immigrés sont à la merci de l’entreprise qui les emploie.
Avec une natalité défaillante, un vieillissement démographique rapide et une pénurie de main-d’œuvre, le Japon devrait, en toute logique, être favorable à l’accueil de travailleurs étrangers. Or, au contraire, le pays se montre plutôt réticent à l’idée, même s’il commence à accueillir un nombre croissant d’apprentis immigrés.
Sur le papier, tout est beau. Le programme dits des "apprentis techniques" permet à 350 000 étrangers d’apprendre au Japon, en trois ans, un métier manuel pour faire valoir ensuite dans leur propre pays les compétences acquises. Mais au Japon, ils sont considérés comme des travailleurs de seconde zone. Mitsugu Muto représente un syndicat qui a, entre autres, recueilli l’an passé un apprenti vietnamien de 41 ans, tabassé pendant deux ans par ses collègues japonais dans une firme de construction.
"Les apprentis étrangers subissent souvent du harcèlement, surtout dans le secteur du bâtiment. C’est en partie à cause d’une absence de conscience des droits humains et d’un courant raciste dans la société japonaise."
Mitsugu Muto, syndicalisteà franceinfo
"Dans le cas présent, il ne faut pas voir comme problème que la violence subie, mais regarder en face les importantes failles du dispositif via lequel ce travailleur étranger était employé", pointe le syndicaliste. Ces ouvriers sont sélectionnés par des recruteurs dans leur propre pays, ils paient même des frais de procédures énormes, s’endettent généralement pour venir au Japon, et sont ensuite à la merci d’un agent superviseur et de l’entreprise qui les emploie.
Privés de vie sociale
Le gouvernement fait mine de se pencher sur le problème quand les cas tragiques sont médiatisés, mais de façon cosmétique. En fait, il refuse de supprimer un programme qui offre à de nombreuses entreprises des travailleurs bon marché pour des métiers délaissés par les Japonais eux-mêmes. Pourtant, entre 2012 et 2019, pas moins de 269 apprentis étrangers sont morts au Japon par accident, maladie ou suicide. "Ces ouvriers sont privés de vie sociale, beaucoup sont logés au sein même de l’entreprise. Ils ne vivent que là, personne ne voit ce qui s’y passe, explique Oshimi Saito, professeur à l’Université de Kobe. Le cas de l’apprenti vietnamien tabassé n’est pas isolé non plus, c’est fréquent. Leur frayeur, c’est qu’ils ne peuvent pas changer d’employeur."
"Même s’ils sont victimes de harcèlement sexuel, que leur salaire n’est pas payé, ils se taisent."
Oshimi Saito professeur à l’Université de Kobeà franceinfo
"S’ils déposaient plainte et n’avaient pas gain de cause, ils devraient rester dans la même société en y étant encore plus maltraités", assure le professeur. La plupart des défenseurs des droits humains au Japon décrivent ce système non seulement comme liberticide mais aussi comme servant, ni plus ni moins, à "fabriquer des esclaves".
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