En Turquie, la présence des millions de réfugiés syriens suscite de plus en plus d'hostilité dans la société
A plusieurs mois d’élections qui s’annoncent difficiles pour le président Erdogan, l'opposition dénonce la situation des migrants syriens notamment et propose de les renvoyer à Damas, malgré la guerre.
La Turquie est le pays qui accueille le plus de réfugiés au monde : 3,7 millions de Syriens sont présents, selon un chiffre officiel, qui grimpe à 5 millions, si l'on ajoute les réfugiés d’autres nationalités, notamment des Afghans. Or, dans la société turque, leur présence suscite de plus en plus d’hostilité, que l’opposition tente d’instrumentaliser à un an d’élections qui s’annoncent difficiles pour le président Erdogan.
Alors, pour tenter d’apaiser ce sentiment anti-réfugiés, les autorités turques ont pris une mesure inédite : les Syriens enregistrés dans le pays n’ont pas le droit de faire l’aller-retour avec la Syrie pendant les fêtes de fin du ramadan, qui ont commencé ce 2 mai, comme une petite partie d’entre eux le faisaient chaque année.
Cette décision est intervenue après une énième polémique déclenchée par le principal parti d’opposition, le CHP, le Parti républicain du peuple, créé par Mustafa Kemal Atatürk. Son dirigeant, Kemal Kiliçdaroglu, a promis, une fois de plus, de renvoyer tous les Syriens chez eux en cas de victoire aux élections de l’an prochain, alors que les autorités – à commencer par le président Erdogan – répètent jusqu’ici qu’il n’est pas question de les renvoyer contre leur gré, tant que leur pays ne sera pas en paix.
"Entre le paradis et l’enfer"
Cette surenchère anti-réfugiés inquiète beaucoup Shady Eed, un artiste syrien qui vit à Istanbul depuis 10 ans. Ce denier n’avait pas prévu de rentrer en Syrie pour l’Aïd el-Fitr. Mais les polémiques à répétition dans l’arène politique et sur les réseaux sociaux renforcent chez lui le sentiment d’être "coincé" dans un entre-deux. Il utilise le mot "Araf" qui signifie, dans l'Islam, l’endroit situé entre le paradis et l’enfer : le purgatoire.
"C’est la situation de ceux qui ont quitté la Syrie. En Turquie, si vous vous habillez bien, on dit : 'Regardez ces Syriens, ils prennent du bon temps !' Quand vous n’êtes pas bien habillé, on dit : 'Regardez leur accoutrement, ils ne savent pas se tenir !' Quand vous trouvez un emploi, on dit : 'Et voilà encore un Syrien qui vole notre travail !'’ Quand vous ne travaillez pas, on dit : 'Quels fainéants, ces Syriens !' Même si j’ai fait un doctorat en Turquie, même si je suis artiste et même si je parle plusieurs langues, je suis coincé à Istanbul. Je ne peux pas quitter la ville pour faire des recherches universitaires. Je ne peux pas quitter le pays pour exposer mes œuvres ailleurs. En Europe, de toute façon, personne ne veut de nous... Quoi qu’on fasse, c’est sans issue", déplore-t-il.
Comme les autres Syriens de Turquie, le peintre ne bénéficie pas du statut de "réfugié" à proprement parler, mais d’une "protection temporaire". Une protection qui, certes, lui offre des droits, tels que l'accès aux soins, à l’éducation, au marché du travail, mais avec d’immenses lacunes. Ce statut l’empêche par exemple de sortir de sa province d’enregistrement, à savoir Istanbul. Shady et ceux de ses compatriotes qui ne souhaitent pas participer à l’un des programmes de "retour volontaire" en Syrie mis en place par les autorités turques sont donc bel et bien coincés, physiquement et mentalement. Et vu l’attitude de l’opposition, l'artiste appréhende beaucoup la campagne pour les élections législatives et présidentielle de juin 2023.
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