Bruno Le Maire : gloire aux entreprises !
Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Jeudi 8 octobre avait lieu, à l’Accord Hôtel Arena de Paris, l’événement Big 2021, un grand salon consacré au business et à l’investissement. De nombreux membres du gouvernement étaient présents, parmi lesquels Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie. L’occasion pour ce dernier d’adresser aux entrepreneurs de France, après la crise sanitaire du Covid-19, un message… tout en nuance et en modération : "La France s’est relevée de cette crise économique grâce aux entrepreneurs et entrepreneuses de France, martèle Bruno Le Maire. Grâce à leur ténacité, grâce à leur courage, grâce à leurs embauches, grâce à leur inventivité : vous avez été exceptionnels dans cette crise !"
Certains seront surpris par la tonalité du discours du ministre, qui enfile les qualificatifs mélioratifs comme les perles sur un collier : "ténacité", "courage", "inventivité". Pour finir sur ce mot, dont il détache chaque syllabe : "exceptionnel". Ce n’est pourtant que le début : "Les entrepreneurs de France, poursuit Bruno Le Maire, non seulement ils sont forts, non seulement ils sont créatifs, non seulement ils ont été courageux pendant cette crise, non seulement ils ont été résistants, mais en plus ils sont généreux et solidaires et c’est cela qui fait l’entreprenariat français. Alors vive les entrepreneurs de France, et vive la France tout court !"
Une inhabituelle célébration immodérée des entreprises
Avec, en sus, en fin d’intervention, un tapis musical digne des meilleurs discours motivationnels, et une nouvelle brochette de qualificatifs : "forts", "créatifs", "courageux", "résistants", "généreux", "solidaires". On est bien dans la célébration immodérée des entreprises et des entrepreneurs. Cela explique pourquoi ce discours peut nous paraître inhabituel. Il s’agit en fait du dépoussiérage contemporain d’une vieille tradition rhétorique : celle du genre épidictique. Dans l’Antiquité, à Athènes et surtout à Rome, c’est ainsi que l’on nommait les discours prononcés pour louer ou blâmer. Ceux qui visent à distinguer, au sein de la vie de la cité, le noble et le beau du vil et du laid. Aujourd’hui, ce type de discours est largement tombé en désuétude.
Les oraisons funèbres et les discours de commémoration en sont des traces. Il est à cet égard intéressant que Bruno Le Maire s’en saisisse dans un contexte particulièrement politique. Parce que cela permet de comprendre ce qui, selon le pouvoir politique, mérite d’être porté au pinacle. En l’occurrence, la réponse est claire : ce qui est le plus remarquable, pour le ministre de l’Économie, c’est la générosité des entreprises.
On touche tout de même là à quelque chose de discutable. Bruno Le Maire met en avant la "générosité" des entreprises, qui ont bien voulu jouer le jeu de ce que le gouvernement leur a "demandé". Il ne s’agit pas ici de nier que les entreprises ont fait des efforts pendant la crise sanitaire et, pour certaines, ont payé un tribut, mais un élément est totalement absent du discours de Bruno Le Maire : les centaines de milliards d’euros d’argent public qui ont été engagés par le gouvernement pour soutenir les entreprises, financés en grande partie par la dette. Et payés, donc, par le contribuable et les générations futures.
Une curieuse forme de renversement
Il est incontestable qu’il s’agissait d’un investissement nécessaire pour éviter une crise économique, mais le discours, ce n’est pas rien, en politique : louer la générosité des entrepreneurs, quand il s’agit en réalité de la générosité de tous les Français rassemblés, remercier les entreprises d’avoir joué le jeu, quand il s’agit d’un juste retour des choses après les efforts consentis par l’État, il y a là tout de même une curieuse forme de renversement. L’intérêt du discours épidictique est qu’il nous permet de bien identifier qui mérite les louanges, selon le gouvernement. Un discours pareil n’a pas été entendu pour célébrer en grande pompe les travailleurs en "première ligne", les soignants, les caissières, les livreurs, les éboueurs, les personnels d’entretien, qui ont pris des risques, qui ont tenu leur poste, sans masque ni vaccin, pendant la première vague. Peut-être leur générosité mériterait-elle également d’être célébrée.
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