CHRONIQUE. Alcool, prévention : les lobbys plus forts que notre santé
"Ne laissez pas l’alcool vous mettre KO" : voilà les mots que nous aurions dû voir s’afficher sur nos écrans à l’occasion de la Coupe du monde de rugby. Une campagne claire sur les dangers de l’alcool. Elle ne verra jamais le jour, pas plus qu’une autre série d’affiches, au message similaire, qui auraient dû être diffusées dès cet été. Ces deux opérations avaient pourtant été spécifiquement commandées par le ministère de la Santé, avant d’être subitement retoquées par celui qui était alors ministre de la Santé, François Braun.
Son successeur, Aurélien Rousseau, est apparemment sur la même ligne : il vient à son tour d’annuler la diffusion d’une campagne de prévention, destinée à toute la population.
L’argument donné officiellement par le ministère de la Santé, c’est qu’ils auraient décidé de cibler plus spécifiquement leurs actions de prévention sur les publics à risque, et notamment de "prioriser la cible jeunes". Soit. On peut l’entendre. On peut aussi en douter. Les journalistes de Radio France ont révélé l’existence d’une lettre, adressée en janvier 2023 par les acteurs de la filière viticole à Emmanuel Macron. Ils y protestent vigoureusement contre une précédente campagne de prévention, jugée "diabolisante". C’est bien la preuve qu’il existe des pressions du lobby alcoolier, exercées au plus haut niveau de l’Etat.
Les arguments des lobbys repris par le gouvernement
C’est le moment d’apporter ma propre pierre à l’édifice. J’aimerais citer le rapport publié en mai 2021 par l’Inserm, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, concernant les dommages liés à la consommation d’alcool. Un document rédigé par un collège d’experts, fondé sur l’état de la littérature scientifique et, surtout, établi à la demande même du ministère de la Santé. Ce rapport officiel prend notamment le temps d’analyser les arguments utilisés par le lobby des alcooliers : "Les acteurs de la filière [ont tendance à] dédramatiser les méfaits du produit en mentionnant qu’ils touchent une minorité de la population et que la consommation modérée de ce produit apporte des bénéfices sur la santé. En conséquence, les mesures proposées par ces acteurs du lobbying reposent sur des interventions ciblées sur les publics à risque, notamment les jeunes, alors qu’ils se montrent hostiles aux mesures qui touchent l’ensemble de la population."
Ce sont, mot pour mot, les éléments de langage utilisés par le gouvernement pour répondre aux journalistes de Radio France !
Le rapport est pourtant très clair : les études récentes ont démontré que toute consommation d’alcool est néfaste pour la santé, fut-ce un seul verre par jour. Les chercheurs de l’Inserm recommandent donc, entre autres, de "rendre plus claire la communication vis-à-vis du grand public sur les risques liés à la consommation d’alcool". C’est exactement ce que devaient faire les campagnes de communication qui ont été retoquées.
Ce n’est pas la première fois que l’on observe ce type d’influence. Fin 2019, Santé publique France s’était engagée dans l’organisation d’un "Dry January", un mois de janvier sans alcool, dont la recherche a, là aussi, démontré l’efficacité. Et, là aussi, ce projet a été débranché au dernier moment à la suite d’une décision gouvernementale.
Les gouvernements d’Emmanuel Macron rétifs à déployer de véritables campagnes de prévention
Pour l'expliquer, il y a déjà d’évidents enjeux économiques : la filière viti-vinicole revendique, en France, près de 500 000 emplois directs et indirects. Par ailleurs, il est difficile de ne pas y voir, aussi, une question de communication. Emmanuel Macron a communiqué à de nombreuses reprises sur son amour pour le vin. Une manière de renvoyer l’image d’un homme enraciné dans les terres et les traditions françaises, lui à qui on a beaucoup reproché d’être le président des centre-villes.
Le seul problème, c’est qu’en parallèle, l’alcool serait responsable chaque année, dans notre pays, de 49 000 décès. Son coup social est estimé à 118 milliards d’euros par an, 6% du PIB, pour des recettes fiscales de seulement quatre milliards d’euros – 30 fois moins ! Nous avons de toute évidence besoin d’une véritable politique de prévention des risques liés à l’alcool. Il semble hélas que, pour lors, les lobbys aient été plus forts que notre santé.
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