CHRONIQUE. Les travaux de la Cour des comptes : expertise technique ou préférence idéologique ?

Les magistrats de la rue Cambon alertent dans leur rapport annuel sur la situation "préoccupante" des finances publiques mais aussi sur le dérèglement climatique. Leur rôle fait cependant largement débat.
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié
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Le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. (MICHAEL ESDOURRUBAILH / MAXPPP)

Le rapport annuel de la Cour des comptes est consacré très largement, cette année, à la question de l’adaptation au réchauffement climatique. Mais les travaux de cette institution ne doivent pas forcément être considérés comme une parole d’évangile. Chaque année, la publication de ce rapport est un grand moment du débat public, très suivi par les journalistes et très commenté par les responsables politiques. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le cru 2024 aura été marquant. Les magistrats de la rue Cambon ne se contentent pas d’alerter sur la situation "préoccupante" des finances publiques. Ils fustigent également le retard pris par l’État dans l’adaptation au dérèglement climatique.

Ce rapport de la Cour des comptes ne devrait-il ne pas être pris au pied de la lettre ? Alors c’est plus compliqué que ça. Pour bien comprendre, il faut remonter d’un cran en généralités, et commencer par dire que la Cour des comptes occupe un rôle essentiel au sein de nos institutions. C’est elle qui garantit le respect d’un droit énoncé à l’article 15 de la Déclaration de 1789 : "La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration". C’est cet article qui fonde la légitimité de la Cour, et dont découle une partie de ses missions : contrôler les politiques publiques, et informer les citoyennes et les citoyens sur l’utilisation des deniers de l’État.

Dans son rôle quand elle fustige des manquements ou défaillances dans les dépenses publiques

Aujourd'hui, elle est en partie dans son rôle. La Cour des comptes est indéniablement dans son rôle quand elle pointe le gaspillage de l’argent public. Par exemple, quand elle fustige il y a quelques semaines les manquements du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, qui avait déjà été éclaboussé par le scandale du fond Marianne. La Cour des comptes est également dans son rôle quand elle met en évidence les défaillances de l’État lorsqu’il s’agit d’informer les citoyens en matière de finances publiques.

C’est ainsi qu’en novembre dernier, elle a déploré le fait que, contrairement à de nombreux pays, la France ne dispose d’aucune évaluation rigoureuse de la fraude fiscale commise par les particuliers. Enfin, la Cour des comptes est assurément dans son rôle quand elle pointe un écart entre les objectifs affichés par le gouvernement, et la réalité de ses décisions politiques.

Des recommandations qui peuvent heurter 

L’exécutif s’est fixé l’objectif de ramener le déficit public à 4,4% en 2024. Le rapport nous apprend que ce sera difficilement atteignable au rythme actuel. Le président de la République ne cesse de mettre en avant sa volonté d’instaurer une "planification écologique". La Cour des comptes nous révèle que, dans bien des domaines, cet effort de planification n’a même pas commencé. Là encore, ce qui est en jeu, c’est la bonne information du débat public, la possibilité pour chacun et chacune d’entre nous de mesurer l’écart entre ce qu’un gouvernement dit, et ce qu’il fait.

Les questions commencent à se poser dès lors que la Cour des comptes ne se contente pas d’informer le débat public, mais qu’elle formule, en réalité, des propositions de fond. Prenez, par exemple, le rapport publié en janvier 2023 sur la politique éducative. Il préconise notamment de renforcer le rôle du chef d’établissement au collège et au lycée. Une position conforme aux préférences énoncées par Emmanuel Macron, mais clivante au sein du monde éducatif. Elle a notamment été rejetée par le syndicat des personnels de direction de l’UNSA. Claude Lelièvre, grand historien de l’éducation, a lui-même critiqué cette recommandation, dont il considère qu’elle relève purement du domaine pédagogique. 

Des critiques sur "l'idéologie" de la Cour

En 2017 déjà, deux professeurs de droit, Thierry Lambert et Jean-Luc Albert, publient un ouvrage intitulé : La Cour des comptes : un pouvoir rédempteur. Ils y alertent sur le fait qu’une idéologie transparaît nettement au fil des recommandations émises par la Cour des comptes. Une idéologie qu’eux-mêmes qualifient de "néolibérale", et que l’on distingue notamment dans les moyens préconisés par la Cour pour parvenir à l’équilibre budgétaire. Alors, cela n’est en soi ni bien ni mal.

En revanche, il ne s’agit jamais que d'une politique économique parmi d’autres. Tout le problème c’est que, dans le débat médiatique, ces recommandations tendent à être mises sur le même plan que des observations qui, elles, relèvent pleinement de la mission d’évaluation des politiques publiques. Le risque, si nous n’y prenons pas garde, c’est de conférer le statut d’expertises techniques à des positions qui ne sont, au fond, que des préférences politiques. Auquel cas, les travaux de la Cour des comptes n’auraient plus pour vertu d’éclairer le débat public. Mais tendraient, au contraire, à le biaiser.

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