Cet article date de plus d'un an.

CHRONIQUE. Réforme du RSA : la fin de la solidarité ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 15 octobre : le projet de loi "plein emploi", voté cette semaine à l’Assemblée nationale. Et notamment, sur l’une de ses mesures les plus symbolique : la réforme du RSA.
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Formulaire de demande de RSA. Photo d'illustration (RICHARD VILLALON / MAXPPP)

C’était une promesse du candidat Macron en 2022, c’est désormais chose votée : le projet de loi "Plein emploi" conditionne le versement du RSA, le revenu de solidarité active, au fait de s’acquitter de 15 heures d’activité chaque semaine. Paradoxalement, le gouvernement était initialement réticent au fait de traduire cette promesse dans la loi : le ministre du Travail, Olivier Dussopt, ne s’y est résolu que sous la pression du groupe Les Républicains, qui en avait fait une condition sine qua non pour soutenir le texte.

Ce ne sont pas 15 heures de travail qui sont exigées, mais bien 15 heures "d’activité". Le gouvernement s’appuie notamment sur un rapport de la Cour des Comptes paru en janvier 2022, selon lequel le RSA ne mènerait pas assez à l’emploi. Les chiffres sont effectivement alarmants : 35 % des bénéficiaires seraient au RSA depuis plus de cinq ans, et 15 % depuis plus de dix ans. L’idée derrière la réforme, ce serait de ramener ces personnes vers l’emploi, en leur proposant des heures d’accompagnement personnalisé, de formation, ou d’immersion en entreprise. Notons par ailleurs que certains bénéficiaires du RSA, dans des situations très spécifiques, en sont dispensés.

"Grave régression sociale"

Mieux accompagner les bénéficiaires du RSA, qui sont bien souvent livrés à eux-mêmes, c’est ce que recommande la Cour des Comptes. Tout le problème provient du caractère obligatoire de ces 15 heures d’activité. Déjà, sur le plan pratique, il y a de nombreux allocataires qui ne pourront pas s’en acquitter : ceux qui s’occupent d’un proche en situation de dépendance, ont la charge d’une famille nombreuse ou simplement n’ont pas de moyen de transport. Ces personnes risquent d’être sanctionnées, sans rien pouvoir y faire.

C’est un bouleversement dont il faut prendre toute la mesure. Rappelons que ces heures d’activité peuvent être effectuées en entreprise. Or le principe même du RSA, c’était de favoriser le retour à l’emploi, en permettant de cumuler l’allocation avec quelques heures de salaire. Pas de créer une main-d’œuvre gratuite. Martin Hirsch, l’un des initiateurs du RSA, a qualifié cela au micro de franceinfo, de "grave régression sociale".

Et au-delà, notre système de protection sociale repose un principe fondamental, inscrit dans notre Constitution : "Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence". Comme le remarque la défenseure des droits, Claire Hédon, il ne s’agit ni de charité, ni de rétribution. C’est un devoir de solidarité, qui pèse sur la Nation, et devrait être inconditionnel. On ne laisse pas un être humain sur notre sol sans moyens de subsistance.

"Pas de droit sans devoir"

C'est la belle formule, utilisée par le gouvernement pour masquer une rupture historique dans notre politique sociale. En 1988, quand il crée le RMI, l’ancêtre du RSA, François Mitterrand écrit : "L’important, c’est qu’un moyen de vivre ou plutôt de survivre soit garanti à ceux qui n’ont rien. C’est la condition de leur réinsertion sociale". L’idée derrière le RMI, ce n’était pas d’aider les gens en échange d’une activité : c’était que les aider est un préalable au fait de pouvoir reprendre une activité. Or cette intuition initiale a, depuis, été confirmée par les travaux d’Esther Duflo, économiste française, prix Nobel d’économie, qui a montré que plus on aide les plus pauvres, plus ils parviennent à s’extraire des "trappes à pauvreté".

La raison de ce renversement est simple : on retrouve, derrière, l’idée qu’il faudrait lutter contre l’assistanat. Un discours qui s’est imposé depuis une quinzaine d’années… mais n’est pourtant tissé que de préjugés. D’après Esther Duflo, aucune étude sérieuse ne permet de valider l’hypothèse selon laquelle aider les personnes en difficulté les rendrait paresseuses, et les inciterait à profiter du système.

En revanche, ce que l’on sait, c’est que plus on complique le parcours imposé pour percevoir une aide, plus on augmente le taux de non-recours, c’est-à-dire le nombre de personnes qui renoncent à la demander. D’après le rapport de la Cour des Comptes, une personne sur trois renonce d’ores et déjà à demander le RSA. Voilà, selon moi, le véritable drame. En conditionnant le RSA à des heures d’activité, cette réforme ne se contente pas de subvertir le sens même que nous donnons au mot solidarité. Elle a toutes les chances de provoquer l’inverse de l’effet recherché : plonger encore plus d’individus dans la plus grande précarité.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.