Crise des sous-marins australiens : Christophe Castaner, le député qui en veut au Parlement
Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
La Conférence des présidents du Sénat a acté mardi 21 septembre, l'audition dans les jours à venir de Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, de Florence Parly, la ministre des Armées, Bernard Emié, le directeur de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de Pierre-Éric Pommellet, le président directeur général de Naval Group, après la rupture par l'Australie d'un contrat à 56 milliards d'euros pour la fourniture de sous-marins français. La Conférence des présidents du Sénat décidera à l'issue de ces auditions, s'il y a lieu d'installer une commission d'enquête parlementaire.
À l’Assemblée nationale, les députés de la majorité s'y sont opposés. C’est ce qu’a rappelé mercredi 22 septembre sur franceinfo, Christophe Castaner, le président du Groupe La République en marche (LREM).
Christophe Castaner un parlementaire qui exprime sa défiance à l'égard... du Parlement
Cette position est surprenante. Elle l'est d'autant plus par la virulence des propos. Christophe Castaner aurait pu se contenter d’éluder la question, en affirmant simplement que cette crise diplomatique ne justifiait pas la constitution d’une commission d’enquête. Mais il est allé un cran plus loin : "Le cirque, je le dis avec une forme de brutalité, des [partis d'] opposition sur les commissions d'enquête, nous savons tous que c'est un cirque médiatique. Vous savez on en parle beaucoup quand elles sont mises en place mais quand elles aboutissent, généralement, on en parle assez peu parce que finalement elles n'éclairent pas le débat de fond mais elles mettent en scène certains responsables politiques qui prennent ça pour une tribune".
"Le cirque des commissions d’enquête", une disqualification brutale de ces organes de contrôle essentiels du Parlement. Christophe Castaner le concède lui-même. Mais alors, qu’est-ce qui justifie une telle hargne de la part d’un député ? Selon lui, elles n’aboutiraient jamais à aucune conclusion. Il a d’ailleurs donné un exemple : "Je peux citer celle que Éric Ciotti a présidé sur l'attentat de la préfecture police de Paris où il est rentré comme président en voulant faire le procès du ministre de l'Intérieur à l'époque, moi-même. Il a rendu ses conclusions, il n'y a pas une ligne qui me mette en cause et personne n'en a parlé à ce moment-là."
Les exemples ont un intérêt : permettre de choisir celui qui nous arrange. Christophe Castaner aurait pu en citer un autre : la commission d’enquête du Sénat sur l’affaire Benalla. Il y a plus de 30 auditions, largement diffusées et commentées. Le rapport d’enquête qui relevait de nombreuses "invraisemblances, incohérences et contradictions". Il pointait "des dysfonctionnements majeurs" au sommet de l’État, et formulait une série de "recommandations" pour y parer. Il semble donc difficile d’affirmer que cette commission n’a été qu’une tribune et qu’elle n’a pas éclairé le débat public.
Néanmoins, les commissions d’enquête ne sont pas les seuls organes de contrôle du Parlement. Il y a aussi une commission des affaires étrangères et une commission de la défense. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé sur franceinfo Christophe Castaner : "Nous pensons que la transparence sur ce dossier, sur ce qui ne relève pas du secret défense, sera faite et que les ministres se tiennent totalement à la disposition des commissions parlementaires pour rendre compte de la totalité de ce dossier".
Une commission d'enquête parlementaire a plus de pouvoir qu'une commission permanente
Pourquoi diable s’embêter à créer une commission d’enquête quand on a déjà des commissions permanentes ? Parce qu’une commission d’enquête parlementaire, c’est quelque chose qui ne plaisante pas : les rapporteurs ont des pouvoirs de contrôle étendus. Les individus convoqués ont l’obligation de répondre présent, fussent-ils ministres. Les auditions se font sous serment et, en cas de parjure, peuvent donner lieu à des poursuites pénales. Bref, politiquement, c’est un sacré caillou dans la chaussure. On comprend que Christophe Castaner cherche à l’esquiver.
Le président du groupe LREM à l'Assemblée nationale agit plus comme un soutien du gouvernement que comme membre du Parlement. Plus encore, Christophe Castaner continue d’agir comme un membre du gouvernement. D’ailleurs, il a cette phrase qui lui échappe : "les ministres se tiennent totalement à la disposition des commissions parlementaires". Mais qui parle comme ça ? Le porte-parole du gouvernement, éventuellement un ministre mais en aucun cas un député, qui est sensé contrôler le gouvernement, et ne doit donc pas parler en son nom.
Or, tout ceci est moins anecdotique qu’il n’y paraît. Depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron a témoigné d’une grande défiance, pour le dire gentiment, envers l’Assemblée nationale et le Sénat. Des textes importants ont été adoptés par ordonnance. Le Parlement a été tenu à l’écart de la gestion de la crise sanitaire, se contentant de ratifier après coup les annonces présidentielles. Il a même été envisagé, dans le cadre de la réforme avortée des institutions, de réduire le droit d’amendement des parlementaires, qui est pourtant au cœur de leur mission première : faire la loi.
Que l’exécutif cherche à contourner ces embarrassants contre-pouvoirs que peuvent être, parfois, l’Assemblée nationale et le Sénat, c’est une chose. Mais que l’on retrouve cette défiance du Parlement dans la bouche d’un parlementaire, fût-il patron de la majorité, c’en est une autre.
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