Débat houleux entre Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon : qui est le vainqueur ?
Ce jeudi avait lieu sur BFMTV le débat entre Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. Un duel de deux heures, en direct, avec une première partie largement centrée sur l’immigration, et une seconde consacrée à la fracture sociale. Clément Viktorovitch tente de trouver un vainqueur.
La question qu’on se pose toujours après un tel débat c'est y-a-il eu un vainqueur ? Et c’est toujours difficile de répondre. Penchons-nous d’abord sur la forme, avant d’en venir au fond. Sur la forme, le débat promettait d’être calme et responsable, c’est du moins ce à quoi les deux débatteurs s’étaient engagés. "Je crois que comme moi vous ne voudrez pas que ce soir ce soit un match. Ni guerre de coqs, ni perfidie mondaine", promettait le député Insoumis.
"Ce doit être une confrontation, et un moment de responsabilité."
Jean-Luc Mélenchonsur BFMTV
Un objectif louable. Mais qui n'a pas été atteint. Très vite, Jean-Luc Mélenchon a placé les échanges sur un registre très direct : "À mes yeux, vous êtes un danger pour notre pays, lançait-il à son contradicteur. Vous avez une vision rabougrie de la France, vous êtes un raciste, vous avez été condamné pour ça. [...] Vous êtes un irresponsable. [...] Qu'est-ce que vous avez prévu grand cerveau ? [...] Écoutez petit bonhomme, ne prenez pas votre tête de victime." Ici, nous avons affaire à une longue suite d’objections ad personam, c’est-à-dire des attaques directes contre la personne-même de l’interlocuteur. Certaines sont étayées par des arguments, qu’on les trouve convaincants ou non. D’autres sont totalement gratuites (« écoutez petit bonhomme »). Cela participe à placer le débat dans une tonalité très agressive.
Mais Éric Zemmour n’était pas en reste : "Vous disiez vous-même monsieur Mélenchon, jadis, l'autre Mélenchon, que le voile islamique était une auto-stigmatisation. Qu'est devenu ce Mélenchon là ? [...] Mélenchon a trahi Mélenchon. Vous vous êtes converti à l'idéologie que vous combattiez dans les années 80. [...] Vous n'êtes jamais de l'avis de monsieur Mélenchon de jadis. [...] Monsieur Mélenchon est contre monsieur Mélenchon. [...] Vous vous trompez tout le temps et vous vous reniez tout le temps", a martelé le polémiste d'extrême droite. Ici, c’est un type d’objection bien particulier : non plus des ad personam, mais des ad hominem. Elle consiste à placer l’interlocuteur en contradiction avec lui-même. Alors, est-ce une arme efficace ? Les auditeurs jugeront, mais dans la mesure où Jean-Luc Mélenchon concède lui-même bien volontiers avoir évolué au cours de sa vie, je ne sais pas si les attaques touchent leur cible.
Les incives dévalorisantes d'Éric Zemmour
Par ailleurs, en ce qui concerne le choix des armes d’Éric Zemmour, il a beaucoup employé deux petits mots : "Bah voyons". Ce n’est pas anecdotique. C’est une véritable tactique de débat, qui consiste à ponctuer la parole de l’adversaire d’incises dévalorisantes, pour sous-entendre en permanence qu’il existe des objections, sans avoir à les formuler. Cela permet de dévaluer la parole de l’interlocuteur sans avoir à dépenser de temps de parole : cela n’a l’air de rien, mais c’est à la fois extrêmement agressif et plutôt efficace.
Une tonalité globalement agressive donc, mais est-ce que cela veut dire que l’un a pris le pas sur l’autre ? Je ne pense pas. Évidemment, sur Twitter, les partisans de Jean-Luc Mélenchon ont crié à la victoire écrasante de leur leader, et les soutiens d’Éric Zemmour ont proclamé la domination incontestable de celui-ci. Sans doute de bonne foi d’ailleurs, mais je pense qu’il s’agit largement d’un biais de confirmation. Les militants ont chacun vu ce qu’ils voulaient voir. Il me semble surtout qu’aucun des deux contradicteurs ne s’est effondré, ils ont chacun tenu le débat.
Un véritable conflit de valeurs
Match nul sur la forme donc, et sur le fond ? Est-ce que ce débat change quelque chose ? Je crois. Je disais il y a quelques semaines, ici même, que ceux qui prétendent combattre Éric Zemmour doivent le faire sur le plan des idées. Et force est de constater que c’est ce qu’a fait le leader de LFI. Quand Éric Zemmour répète assimilation des étrangers et incompatibilité de l’islam avec la République, Jean-Luc Mélenchon lui répond créolisation de la nation, et caractère fondamentalement privé de toutes les religions. On en pense ce que l'on veut, mais c’est un véritable conflit de valeurs.
Je suis un peu plus dubitatif en revanche sur certains de ses choix stratégiques, comme par exemple avoir axé l’intégralité du débat écologique sur la question du Nucléaire, où Éric Zemmour est relativement à l’aise, sans jamais avoir été véritablement le chercher sur la question des émissions carbones. Et, surtout, quand je parlais de combattre sur le plan des idées, je ne voulais pas forcément dire en face à face, sur le même plateau. Hier, Éric Zemmour aura vu ses thèses être au cœur du débat, dans une très large arène, à une heure de grande écoute, face au candidat d’un grand mouvement. Il vient probablement de passer un nouveau cap dans la légitimation de sa candidature et de ses idées. Je me demande si ce n’est pas cela, le fait politique le plus marquant du débat.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.