Environnement : faut-il renoncer aux Zones à Faibles Emissions ?
Une bombe à retardement : c'est l’expression qui revient fréquemment pour qualifier ces Zones à Faibles Émissions. Et elle n’est pas exagérée. D’abord, retour en arrière : c’est en 2019 que le gouvernement décide d’imposer les ZFE dans les villes où l’air est très pollué, avant de les généraliser deux ans plus tard aux grandes agglomérations. Elles n’entrent toutefois en application que très progressivement, avec des calendriers qui s’échelonnent jusque 2025. C’est la raison pour laquelle l’interdiction de rouler en ville dans un véhicule polluant ne commence que maintenant à faire débat.
>> Carte : où en est la mise en place des ZFE en France ?
Ces ZFE sont justifiées, d’un point de vue environnemental : d’après Santé Publique France, chaque année, la pollution de l’air serait responsable de 40 000 décès prématurés dans notre pays. C’est énorme. En ville, plus de la moitié des oxydes d’azote que nous respirons sont issues du transport routier – ce sont les chiffres de l’Agence de la transition écologique.
En 2019, la France a été condamnée par la Cour de Justice de l’Union européenne pour manquement à ses obligations en matière de qualité de l’air. D’un point de vue à la fois éthique et juridique, nous ne pouvions pas nous permettre de ne rien faire. Et il se trouve qu’on a du recul sur ces Zones à Faibles Émissions. D’après un article publié en 2021 dans la revue Transportation Research, Les ZFE ont permis de réduire la concentration en dioxyde d’azote à Madrid, Londres, Amsterdam et Berlin. Si on veut faire reculer la mortalité liée à la pollution, c’est effectivement une solution.
Un problème de justice sociale
Dans les faits, les ZFE vont avant tout pénaliser les plus pauvres, c’est-à-dire ceux qui roulent dans les véhicules les plus anciens. D’après la dernière enquête mobilité de l’Insee, 38% des ménages les moins favorisés possèdent un véhicule très polluant, et seront donc exclus de la circulation en ville – chez les plus riches, ce chiffre est quatre fois moins élevé. En Seine-Saint-Denis, ce sont même trois quarts des voitures qui devront rester au garage en 2024. D’autant que, bien évidemment, ceux qui roulent dans les voitures les plus délabrées sont aussi ceux qui ont le moins les moyens d’en changer.
Certes, le gouvernement a mis en place des aides à l’achat d’un véhicule moins polluant. Mais le reste à charge est trop lourd pour de nombreux foyers. Quant à la location de voiture électrique à 100€ par mois, promise par Emmanuel Macron, elle devrait arriver cette année. Mais on n’en connaît pas les contours, il y a des tensions sur le marché des véhicules électriques, les bornes de recharge ne sont pas disponibles partout. Bref, dans l’état actuel des choses, les ZFE risquent effectivement de priver de leur voiture une partie des plus pauvres. Et je ne parle même pas des professionnels, qui ne pourront pas tous renouveler leur flotte. Nous avons bien, devant nous, une véritable bombe sociale.
Le gouvernement tente de compenser cette situation par des mesures de soutien : depuis le 1er janvier 2023, les aides sont concentrées sur les foyers qui en ont le plus besoin. Auparavant, elles profitaient avant tout à ceux qui avaient les moyens de changer de voiture. Par ailleurs, Elisabeth Borne a annoncé un plan d’investissement dans le ferroviaire, pour offrir des alternatives à la voiture. Mais on peut tout de même s’interroger : pourquoi ne prendre ces mesures que maintenant, alors que les conséquences des ZFE auraient pu être anticipées dès le départ ? Et surtout : ces mesures seront-elles suffisantes pour éviter des situations socialement explosives ? Ne se dirige-t-on pas irrémédiablement vers un report, voire, un détricotage des ZFE – détricotage qui a d’ailleurs commencé, puisque la Première ministre a déjà annoncé qu’il pourrait y avoir des dérogations ?
Ecologie des petits pas
Il y avait pourtant des moyens de se sortir de ce dilemme : développer massivement les transports en commun, favoriser le vélo, aménager les villes pour réduire les distances – et tant qu’à faire, revoir enfin le fonctionnement des vignettes Crit'Air, parce que les gros SUV électriques qu’on laisse circuler en ville, c’est peut-être moins polluant, mais cela reste une absurdité énergétique. Sauf que, pour ça, il aurait fallu de l’anticipation, du temps, et des investissements. Faute de quoi, nous nous retrouvons aujourd’hui à tenter de concilier deux impératifs qui sont devenus inconciliables : l’écologie et la justice sociale.
Ce que cela nous montre, c’est que, si nous n’agissons pas assez tôt et pas assez fort, non, la fin du monde et la fin du mois ne sont pas toujours le même combat. Peut-être serait-il temps de sortir enfin de l’écologie des petits pas. Pour, cette fois, prendre les problèmes à bras-le-corps.
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