Gabriel Attal : l'art d'esquiver les questions
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
La situation tendue à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie est un sujet délicat. Le porte-parole du gouvernement en a même semblé embarrassé, au point de donner un véritable cours… dans l’art d’esquiver les questions.
Gabriel Attal était, en effet, l’invité de la matinale de France Inter mardi 16 novembre. La question posée était simple : la France soutient-elle la volonté de la Pologne d’ériger un mur pour empêcher le passage des migrants ? Mais vous connaissez le dicton : en politique, question simple, réponse… compliquée. "D'abord, il faut expliquer ce qui se passe quand même à la frontière, il y a une mise en scène inhumaine et macabre par le régime biélorusse, pointe le porte-parole du gouvernement. Pourquoi une mise en scène? Ils prennent des milliers de migrants qui sont dans la détresse. Ils les massent à la frontière. Ils réalisent eux mêmes des images telles qu'on voit régulièrement passer sur nos télés. C'est le régime qui réalise ces images. Dans quel objectif ? Dans le but de nous diviser."
La stratégie du cadrage
Alors, savons-nous quelle est la position de la France sur construction de ce mur ? Réponse… Non. Gabriel Attal commence son propos en disant : "D’abord, il faut expliquer ce qui se passe à la frontière…". Et derrière, il se contente de rappeler des faits que nous connaissions déjà. On appelle ça une stratégie de cadrage. Elle consiste à donner une pléiade d’informations pour éviter d’avoir à préciser sa position. C’est une manière efficace… de ne pas répondre à la question !
La ficelle est un peu grosse… Est-ce que Léa Salamé s’est laissée avoir aussi facilement ? Non bien sûr : elle lui a posé une deuxième fois la question, voilà la deuxième réponse : "La France, ce qu'elle dit et l'Europe, ce qu'elle dit, c'est qu'on doit faire respecter nos frontières. Ce qu'elle dit, c'est qu'elle est en solidarité avec les pays qui sont confrontés à cette situation. On a envoyé de l'aide humanitaire en nombre dans les pays concernés : Lettonie, Lituanie. On est prêts à le faire avec la Pologne. On a renforcé les moyens de Frontex aux frontières. On a envoyé un hélicoptère de la Sécurité civile, des gendarmes pour les aider à sécuriser la frontière."
"La France, ce qu’elle dit, c’est qu’on doit faire respecter nos frontières" . Alors, c’est très intéressant… Mais ça ne répond toujours pas à la question qui était posée. Ici, on a le deuxième procédé permettant d’esquiver une question : la stratégie de contournement. Elle consiste à répondre à une question légèrement différente que celle qui était posée. En l’occurrence, au lieu de se prononcer sur la construction du mur polonais, Gabriel Attal se contente de rappeler la position générale de la France concernant la politique migratoire européenne.
Le retournement de la question
Mais vous imaginez bien qu’il n’allait pas s’en tirer à aussi peu de frais : la question lui a été posée une troisième fois. "Ce que je dis, Léa Salamé, répond Gabriel Attal, c'est qu'évidemment la situation et cette escalade, elle me désole. Ce que je dis, c'est que je n'ai pas de leçon à donner aujourd'hui à des pays qui sont confrontés à cette situation."
"Donc, il n'y a rien qui vous choque dans la construction d'un mur aux frontières de l'Europe ?", lui demande la journaliste. Nouvelle réponse du porte-parole du gouvernement : "Ce n'est pas ce que j'ai dit, ce que j'ai dit, c'est que je n'ai pas de leçon à donner. Vous ne pouvez pas dire, comme vous disiez tout à l'heure, qu'on n'est pas unis et solidaires et en même temps attendre de moi que je vienne donner des leçons à des pays qui sont confrontés à cette situation."
Gabriel Attal ne veut pas "donner des leçons". Alors, c’est très bien… Sauf que personne ne lui a demandé ça. Il aurait pu exprimer des réserves, de la désapprobation, une condamnation même, sans forcément donner des leçons. En d’autres termes, au lieu de nous donner sa position, Gabriel Attal vient de nous indiquer… ce que sa position n’est pas. C’est la troisième stratégie classique pour esquiver une question : non plus le contournement, mais le retournement.
Laisser parler le ministre concerné
Nous ne saurons donc pas quelle est la position de la France sur cette question ? Eh bien si ! Il suffisait en fait de changer de chaîne, pour écouter Clément Beaune. Le secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes était, mardi matin, l’invité des "4V", sur France 2 : "Je ne suis pas pour une Europe qui se hérisse de barbelés ou se couvre de murs, et donc nous avons ce débat entre Européens. Il faut être honnête, il y a plus de dix pays européens aujourd'hui qui disent il faut que l'Europe nous aide à financer des murs. La France n'a pas soutenu cela pour l'instant."
Voilà, cette fois, une position claire exprimée par un membre du gouvernement français. Alors, qu’est-ce qui empêchait Gabriel Attal de répondre cela ? Il faut prendre conscience du fait que nous sommes là sur un dossier diplomatique ultra-sensible. La parole de Gabriel Attal ne vaut pas seulement pour le gouvernement, elle engage la France. On peut comprendre qu’il préfère rester en retrait sur cette question, pour laisser les ministres directement concernés formuler la position officielle.
Et c’est quelque chose qui me paraît intéressant. Les trois stratégies utilisées par Gabriel Attal portent un nom, dans le langage courant on appelle ça faire de la langue de bois. Dans l’immense majorité des cas, les responsables politiques s’en servent pour se soustraire à des questions auxquelles nous sommes en droit d’attendre une réponse. Mais il arrive également que ces stratégies apparaissent comme un moyen compréhensible, voire légitime, de se protéger. C’est quelque chose, je crois, que nous devrions garder à l’esprit. En rhétorique, ce ne sont pas toujours les procédés qui sont contestables. C’est aussi, parfois, l’usage qui en est fait.
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