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Gabriel Attal : l’art subtil de disqualifier les critiques

Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité. 

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal à la sortie de Élysée, mercredi 8 décemnre 2021. (BERTRAND GUAY / AFP)

Nous allons revenir sur l’affrontement qui a eu lieu, mardi 7 décembre, à l’Assemblée nationale entre le député de La France insoumise, Ugo Bernalicis, et le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal. Loin d’être anecdotique, cet échange révèle l’un des talents rhétoriques de Gabriel Attal qui excelle dans l’art de disqualifier les critiques. Plus qu’un talent, c’est presque un super pouvoir particulièrement utile quand on est porte-parole.

Des arguments fallacieux

Mais d’abord, retour sur les épisodes précédents. Mardi, pendant la séance de questions au gouvernement, le député insoumis Ugo Bernalicis a procédé à une charge vigoureuse contre le pass sanitaire : "C’est une impasse sanitaire. D’ailleurs la Cnil vous a demandé à quatre reprises des preuves de l’efficacité du pass - je ne vous parle pas du vaccin - est-ce que c’est ça votre réponse : 'Non, nous n’avons pas de preuve c’est pourquoi nous fermons quand même les boîtes de nuit.'"

Laissons de côté le fond. Le pass sanitaire est-il légitime ? Est-il même encore utile ? C’est un débat que l’on peut avoir. Mais ce qui est intéressant, c'est la réponse de Gabriel Attal. "Vous devriez être clair et dire les choses clairement, indique le porte-parole du gouvernement. Quand vous dites que vous êtes contre le pass sanitaire et pour la gratuité des tests, la réalité c’est que derrière, vous êtes contre le vaccin. Cela rejoint les mots de Jean-Luc Mélenchon au début de l’année qui a lui même mis le doute sur la vaccination."

Alors, est-ce que cet argument est convaincant ? Non ! Il est très peu convaincant et même totalement fallacieux. On peut parfaitement rejeter le pass sanitaire pour des questions de libertés publiques, tout en étant favorable à la vaccination – du reste, Ugo Bernalicis le disait très clairement. En ce qui concerne les propos de Jean-Luc Mélenchon, c’est exactement pareil. Le candidat de La France Insoumise avait effectivement émis des doutes sur l’ARN messager en décembre 2020. On peut tout à fait le lui reprocher. Mais c’est une chose de faire part de ses interrogations aux premiers jours de la campagne vaccinale. C’en est une autre d’être "contre le vaccin" aujourd’hui.

La tactique de l'homme de paille

En réalité, Gabriel Attal utilise ici un stratagème rhétorique très classique, c’est ce que l’on appelle la tactique de l’homme de paille. Elle consiste à exagérer volontairement la position de l’adversaire, jusqu’à ce qu’elle devienne ridicule, au point d’en finir par se réfuter d’elle-même. C’est bien évidemment un sophisme : un procédé trompeur et frauduleux. Ce n’est la première fois que Gabriel Attal utilise un tel procédé. Par exemple sur Europe 1, le 26 octobre, il commentait la vision de l’écologie promue par les Républicains et les écologistes : "Vous avez à droite une ligne qui est climatosceptique. Il y a un député LR qui aux questions au gouvernement a parlé ‘de prétendu réchauffement climatique’. Puis, vous avez à gauche, notamment chez les Verts ,certains qui vous expliquent que l’écologie devrait se résumer à taxer et punir, et à sanctionner.”

À nouveau, quoi qu’on en pense sur le fond, est-ce que les propositions des écologistes se limitent à "taxer, punir et sanctionner" ? Non, bien sûr. Et est-ce que la position des Républicains peut être résumée par celle de leur député le plus outrancier sur cette question ? Non plus. On est, à nouveau, en plein sophisme de l’homme de paille. Ce n’est pas fini, le 2 septembre 2021, Gabriel Attal sur franceinfo réagissait aux critiques de Jean-Luc Mélenchon à l’encontre du plan d’Emmanuel Macron pour Marseille : "Est-ce que vous avez déjà entendu Jean-Luc Mélenchon tenir des propos constructifs sur l’action menée par le gouvernement ? Et si j’en crois ce qu’il dit, si Jean-Luc Mélenchon était élu président de la République, il considérerait qu’un an avant l’élection présidentielle il faut s’arrêter d’agir, il ne faut plus rien faire ? Ce n’est pas notre conception des choses." Une fois de plus oui… mais non ! On peut parfaitement critiquer le fait qu’un président annonce soudain de grands plans d’investissement à peine quelques mois avant les élections, sans réclamer pour autant qu’il ne fasse plus rien : c’est, encore et toujours, un homme de paille.

Mais au fond, n’est-ce pas le rôle du porte-parole, de répondre aux critiques ? C’est Justement tout le problème. Ici, Gabriel Attal ne répond pas aux critiques, il les esquive ! Or, c’est justement dans la confrontation frontale entre les objections de l’opposition et les arguments du gouvernement que nous, citoyens et citoyennes, devrions pouvoir nous forger un avis éclairé sur les questions politiques. Stratégiquement, le procédé utilisé par Gabriel Attal est très pratique. Démocratiquement, en revanche, il me semble problématique.

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